J’en discutais avec les copains de la rédaction pas plus tard que la semaine dernière : le jeu vidéo a ce point commun avec la cuisine que tous les mélanges ne sont pas forcément judicieux et qu’il vaut parfois mieux en mettre moins et le faire mieux, que de tenter d’en mettre un maximum sans prendre la peine d’exploiter correctement ses ingrédients. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : libre à vous d’essayer cette recette interdite du tiramisu aux sardines à la provençale ou du croque-monsieur aux huîtres sauce BBQ. Ce que je pense, en revanche, c’est que cette entreprise est hautement périlleuse, et qu’il vous faudra des ingrédients exceptionnels, beaucoup de talent pour parvenir à faire cohabiter tous ces éléments ensemble et probablement pas mal de chance. Regardez, par exemple, Lightbulb Crew se sont lancés tête baissée dans la préparation de cette choucroute melba vidéoludique qu’est Othercide, sans tellement prendre la peine de regarder la qualité de leurs ingrédients, ni visiblement se préoccuper de la stabilité du mélange. Le résultat est similaire à ces repas du dimanche soir où je balance tous les restes du frigo dans une casserole : ça remplit le ventre, mais je ne passe pas un moment délicieux.
La recette possède pourtant des éléments de base solides, voyez plutôt. Othercide est en grande partie un tactical : c’est notre choucroute, un plat au potentiel délicieux quand le chou est bien cuit et que les viandes sont de bonne qualité, mais qui peut rapidement virer à la purge acide ou trop lourde si la préparation est négligée. De l’autre côté, nous avons un aspect roguelite que Lightbulb Crew tente de déposer par-dessus le tactical, c’est notre pêche melba : un dessert très apprécié, assez passe-partout et possédant de nombreuses variantes. Le roguelite étant collé à toutes les sauces ces derniers temps, avec des résultats plutôt variables mais régulièrement bons voire excellents, il parait logique de voir un studio tenter un nouveau mélange sous nos yeux ébahis.
Étape 1 : Préparation de la choucroute
Je suis malheureusement aussi expert et adepte du tactical que de la choucroute : ça m’attire de base assez peu et il faut que ce soit excellent pour que ça me plaise, au risque de ne pas terminer mon assiette. Et manque de bol pour Othercide, j’ai un point de comparaison récent et solide, puisque j’ai pu toucher à l’étonnant Gears Tactics pendant le confinement, qui m’avait donné la sensation de manger la meilleure choucroute royale de l’année dans un restau de gros beaufs, avec ses tutos d’une clarté totale, son interface impeccable et un très gros confort de jeu.
Avec Othercide, on part sur un chou de bien moindre qualité, on sent qu’il n’a pas été bien rincé, ni correctement cuit. Résultat : c’est très acide et rebutant. Lightbulb Crew donne l’impression d’avoir ignoré un certain nombre d’innovations dans le genre du tactical, et quand même un néophyte comme moi le perçoit, ça ne sent pas très bon. Ce n’est jamais rien de grave, ni d’injouable, mais Othercide manque globalement de confort de jeu et de clarté, un aspect qui peut finir par sérieusement exaspérer quand la durée de vie dépasse largement les quarante heures et que l’on a régulièrement l’impression de se démener contre le titre lui-même et son interface. Dans les choix étonnants, on pourra se pencher sur l’impossibilité de tourner la caméra, ce qui rend parfois l’action très peu lisible dans les arènes les plus étriquées ou quand les personnages partent se cacher derrière des colonnes et autres éléments de décor, d’autant plus quand certains monstres un peu trop gros sont à cheval sur plusieurs cases et qu’on ne sait plus très bien sur laquelle il faut se déplacer pour les frapper.
Une ergonomie faiblarde que l’on pourrait facilement pardonner, si le côté tactical et stratégie n’était pas lui aussi plutôt chiche. Hé oui, Lightbulb Crew ont été plutôt radins : la viande et les patates sont bonnes et de qualité, mais elles ont un sacré goût de trop peu. Le titre ne met à disposition que très peu de classes de combattantes, aux compétences certes spécifiques, mais elles aussi peu nombreuses. Le guide de jeu, ainsi que le tutoriel incitent lourdement à expérimenter divers combos pour s’en sortir, mais on en fait malheureusement assez rapidement le tour, puisque l’on joue toujours les mêmes personnages, avec plus ou moins toujours les mêmes compétences. L’expérimentation laisse très rapidement place à la routine une fois les combinaisons et stratégies efficaces repérées et l’équilibrage étant ce qu’il est, on se retrouve très vite face à seulement deux cas de figure : la mission est soit trop facile pour notre équipe et on lui roule dessus, soit bien trop corsée, et on se fait dégommer en un rien de temps – exception faite des boss, qui peuvent parfois mettre une éternité avant de sortir leur dernier pattern qui bute l’équipe en un tour.
Étape 2 : La pêche melba
Je vous l’ai rabâché inlassablement ces derniers temps : le roguelite est un exercice d’équilibriste, qui demande une attention toute particulière à la répétitivité dans lequel le genre peut très vite s’engouffrer, à la difficulté, aux récompenses apportées, aux synergies et combinaisons provoquées par l’aléatoire, le tout dans un seul but : donner constamment envie de relancer une partie. Et une fois encore, nous avons récemment eu d’excellentes pêches melba à nous mettre sous la dent : des très fins Hades à Dicey Dungeons, en passant par les vénérables Binding of Isaac ou Dead Cells ou les récents ScourgeBringer et Curse of the Dead Gods en cours de préparation, il y a de quoi faire.
Malheureusement, la recette de pêche melba de Lightbulb Crew est aussi décevante que celle de leur choucroute et se révèle à la fois très vite écœurante et présente en bien trop grande quantité. Si Othercide est avant tout un tactical dans ses mécaniques, sa structure entière est régie par une logique roguelite. Quand on meurt, on repart du début – en emportant avec soi les bonus récoltés durant la partie – et les missions, arènes et ennemis sont choisis aléatoirement. Et c’est là que la partie écœurante entre en jeu, car visiblement les devs n’avaient pas vraiment de fruits secs, de chantilly ou de fruits rouges pour agrémenter leur dessert, mais seulement du coulis de framboise. Alors ils ont vidé toute la bouteille dedans. Les objectifs sont toujours les mêmes, on retrouve les mêmes arènes bien trop de fois dans une même run, et le bestiaire est finalement assez pauvre, malgré ce que laissait espérer le Codex : un certain nombre de nouveaux ennemis se résument à « c’est le même qu’avant mais avec plus de biscottos, tu vas souffrir ». On enchaîne donc pendant des plombes les mêmes missions ad nauseam, les seules variations venant de bonus et malus s’ajoutant aux personnages tout au long de la partie, jusqu’au moment où celles-ci se font fracasser – le plus souvent contre un boss.
Une fois notre équipe piétinée, on recommence Jour 1 – celui qu’on retient – avec cependant un petit twist : tous les points permettant d’acheter des bonus se cumulent d’une partie à l’autre et on se retrouve riche très, très vite. Ces bonus étant des joyeusetés de type « passer tous les boss déjà vaincus au moins une fois », « commencer directement avec des personnages niveau 7 » ou « ressusciter une combattante », on ne crache évidemment pas dessus. L’opulence de points à dépenser dans ces bonus est à double-tranchant : d’un côté la défaite s’en trouve assez peu punitive d’un point de vue progression – on ne perdra ainsi pas ce personnage monté au niveau 12 à la sueur de son front -, mais tout cela rend le côté roguelite assez caduque, puisque depuis le début, j’ai toujours pu acheter 100% des bonus disponibles, avec une grande marge. Moins de points ou des bonus plus chers auraient pu donner un peu d’enjeu et forcer le joueur à faire des choix.
Avec ce système, on se retrouve ainsi à récupérer en partie son équipe d’origine dès le Jour 1 – celui qui s’efface, quand tu m.. oui d’accord – et continuer de grinder missions après missions – généralement bien trop faciles – et parties après parties jusqu’à avoir le niveau nécessaire pour poutrer ces sacs à PV de boss, pour lesquels la difficulté explose incroyablement à chaque apparition – l’équilibrage, c’est vraiment pas ça. La seule chose que l’on perd à la fin de chaque partie, finalement, c’est son temps.
Étape 3 : Le mélange
Peut-être avez-vous déjà essayé d’incorporer des blancs en neige dans de la crème, et peut-être, en étant inexpérimenté·e, avez-vous tout mélangé salement et fait retomber les œufs. Point de blancs en neige dans la choucroute melba, mais il semblerait tout de même que le studio ait essayé d’incorporer délicatement ses ingrédients, plutôt que de mélanger tout ce petit monde comme des barbares. La présentation finale dans l’assiette est ainsi plutôt agréable à l’œil et s’il y a bien quelque chose qu’on ne reprochera pas à Othercide, c’est sa direction artistique accrocheuse, tant du côté des personnages, que des monstres, boss et environnements : le titre mise – un peu trop – sur une patte visuelle forte et de ce point du vue, c’est très réussi. Le bestiaire est dégueu et original comme il faut, et si l’architecture des arènes est bien trop basique, leur apparence réussit à leur conférer une aura assez unique. Le moment le plus plaisant passé sur Othercide restera probablement la lecture de son artbook numérique.
Agréable à l’œil disais-je donc, mais c’est sans compter que le chef cuisinier se la joue, mais alors vraiment fort durant toute la dégustation, et quand on voit le résultat, peut-être aurait-il été plus judicieux de travailler sur sa cuisine. Outre une histoire pas spécialement intéressante – mais qui tente de se faire passer pour plus compliquée qu’elle n’est en casant des formulations tarabiscotées et des répliques se voulant profondes et mystiques, tout en semant des bribes de chapitres dans le désordre tout au long du jeu – le monde d’Othercide se veut sombre et dramatique, mais les répliques vaguement edgy et poseuses, cumulées à cette BO rock-metal émo le font se prendre bien trop au sérieux pour ce qu’il a à proposer et le font régulièrement tomber dans le côté ridicule de la force. Pète un coup un peu, c’est à ça que ça sert la choucroute enfin.
Enfin, puisque nous nous intéressons à l’aspect fini du plat – retrouvez-moi bientôt au jury de Top Chef -, Othercide me fait très exactement le même effet que lorsqu’on tente une recette pour la toute première fois. Il y a de l’idée, et en la rôdant, le résultat pourrait être pas mal. En l’état, le titre a plus la tête d’une early access sur laquelle le studio tâtonne encore, que d’un titre fini et commercialisable. Avec son équilibrage aux fraises, son cruel manque de variété dans ses arènes, missions, ennemis et personnages, son interface austère et incomplète et son utilisation fainéante et sans enjeux du roguelite, Othercide n’a bien pour lui que d’être joliment présenté dans une belle assiette.
Othercide a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PS4 et Xbox One, et plus tard sur Nintendo Switch.
Pour un premier essai de choucroute melba, le résultat réussit à sauver les meubles, mais il va falloir retravailler la recette de fond en comble et choisir de meilleurs ingrédients pour la prochaine fois. Même en me forçant, je ne suis pas parvenu à terminer mon assiette et à moins d’un nouvel assaisonnement, je ne suis pas sûr de vouloir le faire. Comme tant d’autres essais culinaires étranges, Othercide se plante sans surprendre grand monde. Le mélange aurait pu prendre, peut-être. Mais serait-ce vraiment nécessaire de mettre autant d’efforts pour un plat, qui, au mieux, finira par être seulement pas mal ? Certaines choses ne sont peut-être effectivement pas faites pour être mélangées.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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