Bon. Ocean’s Heart est un clone de Zelda : A Link to the Past. Voilà, c’est dit, et c’est même revendiqué par son auteur. Qu’on aime ou pas la tendance des jeux vidéo indé à s’inspirer lourdement (et dans le cas présent très lourdement) de l’héritage d’un demi-siècle de game design, il devient difficile de disqualifier un projet juste parce qu’il est réalisé « à la manière de », tant les bonnes comme les très mauvaises surprises en la matière deviennent la norme. Ocean’s Heart c’est donc : Zelda III au bord de la mer, avec des mouettes, des falaises et des pirates. Une fois qu’on a dit ça et qu’on a vaguement ricané sur le côté très évidemment copié-collé des mécaniques et des assets de Zelda, on peut évacuer la question et aborder tout le reste : Ocean’s Heart est-il un bon jeu ?
Nous vous avions parlé du développeur solo Max Mraz, auteur entre autres d’un surprenant demake de Bloodborne il y a quelques mois. De fait, Ocean’s Heart est le quatrième Zelda Like de son auteur, qui en a visiblement fait sa « patte » personnelle, avec une maîtrise impressionnante du moteur Solarus, permettant de rendre accessible à tous la création d’action RPG inspirés des Zelda 2D de la Super Nintendo et de la Game Boy. Pour la première fois, Mraz bénéficie de l’appui d’un éditeur, en la personne des Lituaniens de Nordcurrent. En résulte un jeu forcément plus ambitieux, plus grand, traduit en de nombreuses langues dont le français, et bénéficiant d’une petite campagne marketing efficace, insistant sur le côté épique et rafraîchissant d’un titre porté sur l’appel du grand large. À voir les trailers, on pourrait même penser qu’Ocean’s Heart renouvelle efficacement la formule en proposant un véritable open world et une aventure au long cours aussi ambitieuse qu’un AAA en 3D à gros budget. On est loin de la vérité, le résultat final étant un jeu assez ramassé, aux ambitions tout de même assez modestes. Néanmoins Ocean’s Heart reste une excellente petite surprise sortie de nulle part qui m’a bluffé à plusieurs reprises.
Brise of the Wild
Certes, on est en terrain connu : jusqu’à sa tunique, la jeune Tilia est plus ou moins un décalque de Link qui serait doué de parole. Et certes, il sera une fois de plus question d’aller secourir une personne disparue en écumant donjons, villages et grottes. Mais dès le départ, Ocean’s Heart a l’intelligence d’inventer un scénario qui se démarque complètement des habitudes du genre. Ici pas de menace démoniaque, de princesse enlevée ou de narration muette minimaliste dans un monde au bord du gouffre. À la recherche de son père et de sa meilleure amie après l’attaque de son village par une bande de pirates sanguinaires, Tilia est une jeune engagée de la Marine Volontaire, une sorte de garde nationale chargée de protéger les habitants de l’archipel. Elle va devoir explorer les différentes régions maritimes du coin, toutes très vivantes, avec des villes peuplées, une agriculture variée, des routes de commerce et du tourisme.
Troquer les grands mondes vides et menaçants de la franchise Zelda contre un univers foisonnant et grouillant de vie est une excellente idée, peut-être la clé qui fait d’Ocean’s Heart un jeu si attachant. L’archipel que vous aurez à parcourir, tantôt à pied tantôt en bateau, est admirable de cohérence et de vraisemblance, avec ses champs, ses vergers, son économie compréhensible, ses routes balisées et ses contrées plus sauvages. Peu de jeux du genre donnent à ce point l’impression de traverser un univers aussi tangible, dont les enjeux se dessinent aussi en creux (la piraterie endémique, l’isolation de certains villages éloignés…). Si l’aventure gagne en souffle épique sur la fin, une fois les plans des antagonistes révélés, Ocean’s Heart ne se départit jamais de son ambiance de RPG cosy en bord de mer, dans un univers globalement plus doux et accueillant que ses concurrents.
Il faut, à ce titre, souligner les efforts importants apportés à l’écriture des personnages et des dialogues, qui ont une épaisseur qu’on aimerait retrouver plus souvent dans ce genre de jeu. Parfois un poil trop bavard pour son bien, Ocean’s Heart déploie néanmoins des trésors d’humour et d’échanges bien ciselés entre les protagonistes, en premier lieu Tilia, qui est une des héroïnes les plus sympathiques que j’aurais incarné depuis un bon bout de temps. Entre son sens de la répartie, sa capacité à s’attirer la sympathie de ses interlocuteurs et son sens de la galéjade adorable et frais, la jeune exploratrice est à elle seule un argument de vente. Là encore, quelle bonne idée d’avoir divergé d’un simple Zelda like en donnant aux dialogues une importance si particulière et une tonalité si joyeuse. On regrettera tout de même quelques énoncés de quête imprécis, et un ou deux contresens (une quête qui, par exemple, confond sud-est et sud-ouest dans son intitulé), aggravés par une traduction globalement très réussie, mais contenant parfois quelques imprécisions et phrases qui ont manifestement été traduites sans connaissance du contexte.
Au long cours
Autre point qui m’a agréablement surpris (et marginalement un peu irrité, j’y reviens) : la durée de vie d’Ocean’s Heart, dont la quête principale pourra vous occuper une bonne vingtaine d’heures, sans compter la montagne de quêtes annexes parfois tortueuses dont l’aventure est parsemée. L’épopée de Tilia est longue, riche en rebondissement, et si la structure du jeu commence de manière simple, avec des zones et des donjons minuscules servant de tutoriel, la suite gagne en complexité dans sa seconde moitié, une fois débloqué tout l’arsenal à disposition de Tilia (arc, bombe, lance, magie… Autant d’objets pour atteindre des zones au départ verrouillées). Honnêtement, je m’attendais à plus court et plus simpliste.
Hélas, Ocean’s Heart tombe à cet égard dans deux petits écueils parfois très agaçants. Tout d’abord, le manque de marqueurs (manuels ou automatiques) sur la carte du jeu, qui se contente de faire figurer les grandes régions de l’univers sans laisser zoomer sur des détails. Pas très grave quand on cherche à aller d’une ville à l’autre, nettement plus agaçant quand on cherche à retrouver telle grotte ou telle palissade vue trois heures plus tôt au fond d’une crique. Il m’est ainsi arrivé de rester coincé plusieurs dizaines de minutes sans retrouver l’endroit où j’étais supposé me rendre. Si Breath of The Wild réussissait l’exploit de ne pas perdre le joueur tout en ne lui donnant aucune explication précise, c’était entre autres parce qu’il avait une map absolument exemplaire, avec ses tampons, ses balises et ses indications topographiques qui étaient autant d’indices sur ce qui était attendu du joueur. Ici, ce n’est pas le cas, donc notre pauvre Tilia se retrouve souvent à tourner en rond dans l’espoir de retrouver son chemin.
Dans le même ordre d’idées, si l’ambiance maritime du jeu est admirable, la relative difficulté à y voyager en bateau est particulièrement plombante dès qu’on doit faire un trajet un peu conséquent, par exemple quand une quête nécessite qu’on aille activer des phares aux quatre coins de l’aire de jeu. Si quelques points de la carte sont bien accessibles rapidement une fois que l’on a débloqué un NPC qui permet les voyages maritimes (après plusieurs heures de jeu tout de même), ces téléporteurs ne sont accessibles qu’après avoir retrouvé ledit NPC dans les différents ports de l’archipel, rendant l’hinterland particulièrement fastidieux à explorer, faute de port proche. Une fois passée la phase d’exploration et de découverte du monde, on se retrouve donc souvent à remonter des routes interminables que l’on connaît par cœur pour arriver au prochain spot de voyage rapide. On aurait apprécié une méthode simple pour se télétransporter au port de départ, par exemple. Rien de grave, mais cela ralentit clairement le rythme de l’aventure. On notera encore quelques autres problèmes de ce genre : des menus bordéliques, une implantation des commandes un peu fantaisiste par exemple ou des magasins assez fastidieux d’usage dans les villes. Des défauts qui ne ruinent jamais l’aventure mais l’éloignent de la perfection.
Pour les mousses comme pour les amiraux
Le véritable tour de force d’Ocean’s Heart se révèle plutôt vers la fin du jeu, quand Tilia se retrouve complètement équipée, et bardée d’un certain nombre de quêtes annexes, pour l’essentiel facultatives (visiter des stèles, soigner des arbres, améliorer son équipement…). La fiche du jeu insiste sur le fait que l’aventure peut être parcourue en ligne droite pour ceux qui le souhaitent, ou explorée façon monde ouvert en picorant des dizaines de quêtes si c’est votre style. Ce n’est pas un argument en l’air : Ocean’s Heart est vraiment pensé ainsi. À l’exception de certaines quêtes obligatoires pour équiper correctement Tilia (impossible de finir le jeu sans l’arc, par exemple), une immense majorité d’activités annexes est là uniquement pour le plaisir, vous permettant d’arrêter à tout moment quand vous en avez assez sans perdre grand-chose. Le niveau de difficulté de la campagne principale étant assez faible et la mort assez peu punitive (vous conservez or et objets en mourant, et vous revenez au début de l’écran ou du donjon de votre mort), vous pouvez tout à fait finir Ocean’s Heart d’une traite si vous ne vous sentez pas l’âme d’un explorateur. Vous n’en aurez pas moins pour votre argent, la quête principale étant déjà assez conséquente.
En revanche, pour ceux qui le souhaitent, une option (clairement inspirée de la cloche de Sekiro) sera rapidement disponible pour ajuster à la hausse la difficulté du titre et permettre d’ajuster le challenge, pour le relever au niveau d’un « vrai » Zelda, en diminuant la défense de Tilia, en augmentant la vie des monstres, en réduisant les frames d’invincibilité, etc. Poussée au maximum, la difficulté d’Ocean’s Heart est retorse, et vous forcera purement et simplement à essorer la map pour recueillir toutes les pièces d’armures, les magies au niveau maximum ou l’intégralité de la barre de vie. Je suis personnellement très sensible aux initiatives de modulation de la difficulté et aux quêtes pouvant s’adapter à la fois aux joueurs ayant du temps devant eux et à ceux qui ont besoin d’aller à l’essentiel.
Il est évident que Max Mraz, passionné autant des expériences très user friendly de Nintendo que de l’âpreté des jeux FromSoftware a tenté avec Ocean’s Heart une habile synthèse entre les deux expériences. C’est un pari réussi : que vous soyez un joueur occasionnel ou un amateur de jeu ouvert à taille modeste, que vous aimiez les jeux faciles ou les challenges à relever, Ocean’s Heart s’adapte. Sans doute que le jeu ne marquera pas plus que cela les esprits dans une année 2021 qui s’annonce saturée de grands jeux, mais il me restera longtemps en mémoire pour les efforts de son développeur à réussir à s’adresser à tout le monde, des jeunes joueurs aux explorateurs confirmés.
Ocean’s Heart a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Ocean’s Heart, sous ses aspects de clone un peu douteux de Zelda, est sans doute l’une des toutes meilleures propositions du genre. Vaste, accueillant, bien pensé et à peine terni par quelques grossières erreurs de gameplay que l’on oublie vite, le jeu de Max Mraz est une pépite indé de ce début d’année, qui donne envie d’aller se promener au bord de la mer et d’y vivre de folles aventures. Un régal !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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