Monark est le nouveau jeu des studios FuRyu et Lancarse, signé par d’anciens développeurs ayant travaillé sur les franchises Shin Megami Tensei et autres Inazuma Eleven. La vieille école du JRPG, en somme. Et c’est un jeu qui n’en fait pas mystère : on y arpente une école maudite, au sein de laquelle on lutte à l’aide de créatures invoquées contre la matérialisation des péchés capitaux. Bref, on n’est pas tout à fait en terrain inconnu.
Attention, l’article ci-dessous contient de légers spoilers.
À l’image de la presse spécialisée, le développement de jeux vidéo est un domaine qui manque de vétérans. Tout simplement parce que les salaires y sont comparativement plus bas et les conditions de travail plus mauvaises que dans d’autres branches du développement informatique. Passé un certain âge, un nombre très élevé de développeurs quittent l’industrie pour faire autre chose, le faire en freelance, ou travailler sur des projets plus personnels. Ceux qui restent sont ceux qui ont eu la chance de devenir patrons de studio, pas toujours pour le mieux, ou qui ont accepté de sacrifier une bonne partie de leur santé pour s’accrocher malgré tout. Les projets comme Monark, portés par de vieilles gloires de l’industrie nippone, ne sont donc pas inintéressants en ce qu’ils offrent un regard différent sur la production vidéoludique. Le problème, c’est qu’il faut aussi parfois vivre avec son temps, ce que Monark ne fait pas du tout, semblant délibérément ignorer tout ce qui s’est passé entre la sortie de Shin Megami Tensei III : Nocturne et 2022.
Les Sept Péchés Capillotractés
Monark, c’est encore ses créateurs qui en parlent le mieux : dans une interview à Silliconera, Fuyuki Hayashi et Ryutaro Ito, les auteurs du jeu, font mention de Shin Megami Tensei sept fois en sept questions. Avec l’affirmation de vouloir produire avant tout un successeur spirituel à une série qui, par ailleurs, se porte de son côté assez bien au sein d’Atlus. Mais admettons. Davantage qu’une série, Megami Tensei est devenu un genre à part entière, que l’on pourrait définir par « arpenter des donjons dans une ambiance urbaine apocalyptique avec un groupe de jeunes gens dotés du pouvoir d’invoquer des trucs ». De plus en plus de jeux reprennent la formule mais c’est une des premières fois qu’elle est reprise par certains de ses auteurs d’origine avec un nouveau template. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la proposition est tout sauf décoiffante : on baigne dans le conservatisme le plus complet.
À la fois assez faiblement scénarisé mais terriblement bavard, Monark nous place in media res à la Shin Mikado Academy, une école japonaise prisonnière depuis peu d’une épaisse nappe de brouillard impénétrable, au sein de laquelle des phénomènes paranormaux impliquant les sept péchés capitaux semblent se multiplier. Chaque zone de l’école est victime d’un mal précis et chaque sous-zone dévoile un petit bout de l’intrigue nous expliquant comment on en est arrivé là. On y incarne un jeune homme bien décidé, avec ses amis ramassés en route, à faire toute la lumière sur ces événements et ainsi… (un instant je regarde mes notes) protéger sa petite sœur qui s’est retrouvée par hasard piégée dans la purée de pois.
Qu’on se le dise, on peut faire d’excellentes histoires résumables en une demi-phrase sur un demi-timbre. Tout est surtout question d’implication du joueur ou de la joueuse via des artifices de mise en scène, des personnages charismatiques et une narration un minimum rythmée. Monark, hélas, n’a rien de tout ça, avec une structure particulièrement monotone, des retournements de scénario qui s’anticipent depuis l’espace et une mise en scène que je qualifierai d’inexistante : l’essentiel du temps, les personnages se contentent de demeurer les bras ballants comme des pantins rigides, donnant l’impression d’être des modèles PlayStation 2 inanimés et perdus dans la brume.
Tout n’est pas à jeter dans la mise en scène, ceci dit : quelques illustrations, designs de boss et fulgurances dans la retranscription d’une école lugubre lentement engloutie par la folie demeurent. Mais hélas, la plupart du temps, le jeu vous conduit à ne faire que traverser et retraverser les mêmes assets vides de salles de classes grisâtres pour parler à des PNJ quelconques dont vous oublierez aussitôt les joies et les peines. Tout ceci est cependant à relativiser. Si on s’ennuie beaucoup face au scénario et à sa mise en image, on doit admettre que le focus du jeu n’est pas là, mais bien dans son étrange système de combat.
Les échecs mais tu peux doper les pions
Si un bon projet doit pouvoir se résumer en une ou deux idées majeures, ça tombe bien, puisque Monark en a très exactement deux : son système d’Ego qui façonne la personnalité du protagoniste, et son système de combat (un peu) inspiré d’une version boostée des échecs.
Le système d’Ego est ce qui fonctionne clairement le moins bien des deux. C’est ce qui façonnera une partie de votre aventure, en particulier son issue : le protagoniste voit chacune de ses réponses et de ses actions récompensées par des points venant incrémenter des valeurs liées aux péchés capitaux. Soyez égoïstes et vous recevrez des points d’avarice ; faites preuve de convoitise et des points d’envie s’ajouteront au compteur. Au contraire, ayez une attitude passive et pouf, voilà les points de paresse. Ces points permettent d’accéder à variété de bonus et de situation et façonnent (un peu) la coquille vide qui vous sert d’avatar. L’idée n’est pas déplaisante, on regrettera juste que Monark vous laisse trop vous dépatouiller seul·e avec elle, n’expliquant jamais vraiment ce qui va déclencher tel ou tel compteur, et quelles seront les conséquences à moyen terme de vos actions. De plus, les points pouvant se gagner en combat, il est un peu trop facile de « hacker » le système et d’enchainer des duels en boucle qui vont faire monter tel ou tel péché.
L’autre point central, c’est donc ces combats qui, par bien des côtés, sont une version un poil révisée de jeux classiques comme le shogi, le go ou les échecs, dans lesquels tous les personnages pourraient se déplacer en cercle au lieu d’aller uniquement vers l’avant. En plus des deux personnages humains que vous contrôlez, vous pouvez invoquer des pions, dont les compétences sont façonnées par le péché qu’elles incarnent. Ces combats, pour le moins étranges, obéissent à des mécaniques nécessitant quelques heures pour être clairement appréhendées. Les premières parties sont décourageantes, tant les adversaires semblent quasi invincibles : ils sont à peine écorchés par vos attaques, sifflent votre barre de vie en deux coups de lance, et vous voyez l’écran de Game Over un peu trop souvent. Une approche qui n’est pas sans rappeler l’antique Vagrant Story et ses mobs indestructibles.
C’est uniquement avec de la pratique qu’on finit par comprendre les trucs qui marchent : certains pouvoirs permettent de jouer deux fois, le placement des unités peut déclencher des attaques en série, et il est possible d’en placer certaines en état « d’éveil » voire « d’illumination » pour booster leurs stats. Et il y a des mécaniques assez fines permettant d’économiser ou de récupérer de la vie. Quand on s’accroche, la récompense consistant à plier en deux tours, avec la note maximale, des combats a priori impossibles est vraiment satisfaisante. Dommage que tout ça ne soit pas plus progressif et inclusif… et qu’il soit possible de complètement casser la courbe de difficulté du jeu avec une ou deux heures de grind effréné.
Un JRPG de plus dont les menus sont l’adversaire le plus redoutable
Monark propose une idée pour le moins bizarre en ce qui concerne la progression de personnages et des pantins que vous contrôlez : la monnaie (les esprits) sert également à débloquer des compétences, dont une capacité conditionnant le passage de niveau des personnages et l’amélioration de leurs statistiques générales dans des proportions assez rapides, du moins dans la première partie du jeu. En clair, si l’aventure principale propose de fait assez peu de combats (en général une demi-douzaine par chapitres), il est complètement possible de faire en boucle des affrontements annexes qui vont permettre de looter tout un tas de pouvoirs pas forcément intéressants mais conférant aux personnages une montée en niveau ultra rapide qui va les transformer en char d’assaut sur pattes, chaque niveau boostant l’ensemble des stats. Un processus auquel l’équilibrage du jeu ne résiste pas longtemps, et qui vous rendra très (trop) vite invincible, pour peu que vous ayez pigé le truc.
Ce défaut reflète en fait quelque chose d’encore un peu trop commun dans les JRPG sortis ces dernières années : là où certains font un travail exemplaire de simplification des interfaces, des menus et des mécaniques, d’autres se perdent encore et toujours dans des menus pléthoriques et des strates de gameplay intriquées nécessitant de passer beaucoup trop de temps à faire du micro-management relativement fastidieux. On prend par exemple un temps fou à optimiser l’équipement des pantins que l’on manipule, puisque chaque combat est l’occasion de récupérer de nouvelles pièces d’équipement qu’il n’est pas possible d’arranger de manière automatique. De même, il est impossible de vendre les objets inutiles par lot, ce qui pousse à passer de longues minutes en boutique pour les vendre à l’unité et récupérer l’argent nécessaire à faire leveller tout le monde. Autant de petits procédés qu’il aurait été bon d’organiser et d’optimiser pour ne pas se retrouver avec un menu comportant pas loin d’une quinzaine d’onglets et de sous-onglets extrêmement redondants et fouillis.
Ce côté frustrant et pataud du gameplay s’illustre parfaitement dans la mécanique d’énigmes proposées régulièrement par Monark. Que ce soit pour progresser ou pour accéder à des niveaux cachés, vous serez en permanence confronté à des puzzles vous demandant de trouver des codes ou des numéros de téléphone. Une mécanique certes rouillée mais qu’il aurait été possible d’intégrer de manière organique à l’aventure. Sauf que décoder une information nécessite souvent de fouiller les différents codex du jeu : numéros de cartes étudiantes des PNJ, registres encyclopédiques détaillant le lore, logs ramassés dans les couloirs, etc. On découvre par exemple qu’il est impossible d’effectuer un simple copier-coller d’un numéro complexe dont vous avez besoin pour avancer depuis le menu du codex vers le registre téléphonique. Ce qui pousse à multiplier les screeenshots, les manipulations inutiles et autres petites choses déplaisantes qui cassent le rythme du jeu. Comme si le game design n’avait eu aucune idée nouvelle à proposer pour fluidifier l’expérience de jeu ces quinze dernières années.
Monark a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PlayStation 4 et 5.
Monark est un jeu étrange : c’est comme si toutes ses bonnes idées et son excellent système de combat étaient systématiquement dézingués par une approche antédiluvienne et rétrograde de la conception d’un jeu vidéo et un équilibrage douteux. Sa structure monotone, ses menus calamiteux et son écriture baroque ne parviennent pas tout à fait à faire oublier ses qualités, mais donnent l’impression que, davantage qu’un JRPG ambitieux, il s’agit d’une capsule temporelle de 2003 retrouvée enterrée au fond du jardin. Une sorte de suite presque pas spirituelle aux premiers épisodes de la série Shin Megami Tensei, avec ce que ça comporte d’étincelles de génie et d’anachronismes frustrants, en somme.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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