God Eater 3 s’avance dans l’ombre de Monster Hunter, la plus fameuse série de JRPG de chasse aux monstres autour de laquelle gravitent un certain nombre d’autres franchises moins connues. Et ce, en déclinant une formule assez bien rôdée de type On Tue des Trucs / On Grind des Equipements / On recommence. Plus scénarisée, plus sombre, mais aussi réputée plus cheap, la série God Eater en est -déjà- à son troisième épisode principal.
Vous savez quoi ? Avant de rentrer mon code de téléchargement dans ma PlayStation 4, je n’avais qu’une idée assez vague de ce qu’était God Eater. Je savais que c’était le développeur japonais Shift, pour le compte de Bandai Namco, qui était à la manœuvre. Et je savais aussi que je possédais les deux précédents épisodes, acquis lors de soldes Steam au prix de deux pour le prix d’un. Je ne les avais jamais lancés. Qu’à cela ne tienne : mon énorme coup de cœur pour le renouveau de Monster Hunter l’an passé m’a convaincu que je pouvais y aller les yeux fermés. Quand je les ai rouverts, ils étaient devant ce que je redoutais tout de même un peu : un mur en crépi tranchant de didacticiels à la japonaise.
C’est la fin du monde (tutoriel 1 sur 768)
Je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est passé dans God Eater 1 et 2. Et d’ailleurs, God Eater 3 n’a pas vraiment fait d’effort pour me l’expliquer. Le fastidieux et austère codex fourni avec les menus du jeu m’a quand même donné quelques éléments : des sales bêtes nommées les Aragamis ont balayé une grosse partie de l’Humanité, et des particules empoisonnées invisibles nommées « brume » rendent la surface inhabitable. La réponse de l’Humanité, un peu un classique du post-apo à la japonaise : s’enterrer dans des citadelles souterraines dystopiques et créer des mutants-esclaves capables de manipuler des armes destructrices, de survivre à la brume, et je ne sais quoi d’autre. Ces mutants, ce sont les God Eaters. En bref : vous.
Balancé à la truelle en ne prenant jamais la peine de partir du principe que vous pourriez être un nouveau venu, le scénario de God Eater 3 a une mise en scène minimaliste, ce qui est d’autant plus dommage qu’il est loin d’être inintéressant. Malgré des graphismes et une mise en scène qui hurlent « je suis un jeu conçu pour la PS Vita mais converti à la hâte pour la PS4, achevez-moi », God Eater 3 déploie de gros efforts pour proposer une trame intéressante, des personnages bien pensés, et quelques rebondissements bienvenus. On sent que Shift a fait avec les moyens du bord, mais qu’ils ont vraiment fait de leur mieux. Par rapport à la moyenne des JRPG fauchés, cet opus s’en sort plutôt pas mal. On regrettera cependant un chara design au-delà du facepalm et une absence de capacité à cadrer correctement l’action pendant les nombreuses cinématiques (sauf quand il s’agit de faire un zoom de mauvais goût sur la poitrine ou les fesses des PNJ féminins, vous aurez été prévenus).
En revanche, le fait qu’une grosse partie de ce que vous avez à savoir pour connaître les tenants et les aboutissants de cette fin de trilogie vous soit restituée sous forme de pâté de texte moche et sans illustrations est un symptôme. Le fait que la situation assez simple (des mutants opprimés qui défendent les derniers bastions de l’humanité) vous soit restituée à coup de notions farfelues et d’empilement de sigles en est un autre. La Brume, les God Eaters, les God Eaters adaptatifs, les armes d’absorption, les Aragamis, les symbioses, les Fenrir, Gleipnir, les God Arcs, les Cellules Oracles, les Arts de Salve, les PO, et j’en passe. Rapidement, un effet d’accumulation vient étouffer le joueur tel un gâteau uniquement constitué de dizaines de couches de crème pâtissière. Car, à l’image de nombreux autres JRPG ces quinze dernières années, God Eater 3 ne fonctionne que par accumulation. Sur ce, je vous propose un petit entracte pour découvrir le lore de God Eater. Sautez-la si ça ne vous intéresse pas. J’ai souffert pour vous sur les Wikis de fans de la série.
God Eater pour les nuls
En 2071, une grande partie du monde a été réduite en pulpe sanglante et en gravats par les Aragamis, combattus par les God Eaters, armés d’armes faites en cellules d’Aragami. Le protagoniste de God Eater 1, après une mission qui tourne mal, découvre qu’une de ses camarades peut absorber les pouvoirs des gens quand elle dort, parce qu’elle a été hypnotisée par un savant fou. A la suite d’événements louches qui découlent de cette découverte, le Protagoniste et ses amis sont envoyés retrouver un Aragami humanoïde nommé Shio, et décident de le cacher à leur hiérarchie, ladite hiérarchie enquêtant elle-même sur un plan destiné à envoyer une partie de l’Humanité dans l’espace et de laisser 99% du reste se faire bouffer par les Aragamis. Non sans avoir avant réveillé Nova, un Aragami très puissant, pour heu, on ne sais pas trop pourquoi.
Les God Eaters se déchirent pour savoir quoi faire de Shio et pour soutenir ou non ce projet spatial, mais on découvre rapidement que Shio est une sorte de catalyseur pour réveiller Nova et que les chefs des God Eaters ont tout manigancé. Le chef du protagoniste fusionne avec Nova pour essayer d’empêcher sa résurrection (ou l’accélérer, allez savoir), mais finalement Shio se trouve une conscience humaine et s’envole dans l’espace avec Nova pour empêcher la destruction de l’Humanité. Trois mois plus tard, on découvre que les Aragamis survivants ont infiltré les rangs des gentils, et que l’arme du Protagoniste ne fonctionne plus. Diverses péripéties plus tard, on découvre que Ren, un sidekick, est en fait un Aragami depuis le début, puis on découvre qu’en fait non c’est pas vrai et qu’il s’agit de l’âme de l’arme d’un compagnon disparu, qui se sacrifie pour sauver tout le monde.
Pendant ce temps, Arius Nova, un monstre fait à partir de cellules de Nova, est vaincu par d’autres coéquipiers, mais pas tout à fait quand même, alors le Protagoniste reprend du service, aidé par une sorte de Clone (ou de projection sous forme de rêve ???) de Shio, qui se trouve physiquement sur la Lune. Après un tas de péripéties, Arius Nova est vaincu et Shio a l’occasion de dire au revoir à tout le monde.
Un peu plus tard, alors qu’on pensait que ça y est on pouvait souffler un peu, une pluie empoisonnée tue presque tout le monde, et de nouveaux Aragamis, les Psions, arrivent de partout, insensibles aux attaques des God Eaters. Heureusement, l’Humanité parvient à concevoir de nouveaux God Eaters encore plus forts, ça tombe bien. Un nouveau Protagoniste devient God Eater, mais plusieurs missions tournent cacao, et les gentils se déchirent une fois de plus, jusqu’à subir un coup d’état qui n’arrange pas les perspectives de survie à court terme de quiconque. Il y a encore plein de bails d’effacement de mémoire, de noyaux de cellules de monstres, deux de vos meilleurs amis meurent puis reviennent puis re-meurent pour planter un arbre gréant, à la suite de quoi on a l’impression que les choses vont aller un peu mieux, d’ailleurs plein de gens morts reviennent un peu par magie même si leur mort était vachement triste quand même. Jusqu’à ce que de la brume toxique se mette à tuer tout le monde et à faire redoubler les Aragami d’agressivité, c’est là que commence God Eater 3 et franchement si j’étais à la place des humains qui survivent encore dans tout ce fatras, je laisserais tomber une bonne fois pour toutes et j’irais me coucher. Pour la suite, je vous renvoie au début de ma critique, dans une boucle narrative que ne renieraient pas les auteurs de God Eater.
Je me suis contenté de God Eater 1 et 2. En ce qui concerne les animés, mangas et romans qui épaississent l’univers de la série, je refuse de m’y pencher sans une compensation financière, même symbolique.
Press F to Charabia
Réduit à sa plus simple expression, God Eater 3 se résume facilement : vous allez dans une zone, vous tuez un monstre, vous récoltez des matériaux, et vous recommencez, un peu plus fort. Mais vous savez quoi ? On ne va pas réduire God Eater 3 à sa plus simple expression. Munissez-vous d’un sac en papier : vous allez hyperventiler.
Pour attaquer un monstre, le joueur (accompagné de son compagnon I.A) muni d’une arme choisie dans un panel de possibles, peut appuyer sur carré (attaque faible) ou triangle (attaque forte). Mais il peut aussi appuyer sur R1 pour transformer son arme en fusil et utiliser des munitions faibles ou fortes. Ces munitions (qui peuvent aussi être échangées contre des balles spéciales à usage limité) consomment des PO, lesquels se rechargent en rebasculant en mode normal. Dans ce mode normal, il y a aussi les attaques de burst (R1 + un bouton d’attaque ou triangle longtemps) qui permettent ou d’extraire des matériaux OU de déclencher des arts de Salve, qui se déclinent eux-mêmes en attaque normale, aérienne ou au sol, ou en attaque à distance de salve, qui consomme un autre type de munition. S’ajoutent à cela des compétences d’attaque en duo avec votre compagnon, utilisant d’autres gâchettes, ainsi que des effets de statut qui s’appliquent en fonction des munitions que vous avez ou non équipées dans les menus. Ceci vous permet de gagner des points de pourcentage de compétence pour augmenter ces divers coups, mais aussi des points de mutation (soyons honnête, j’ai oublié le nom exact) ainsi que des points d’expérience (qui ont encore un autre nom) qui ne servent qu’à votre compagnon, qui peut s’en servir pour équiper de nouvelles compétences, qui peuvent par ailleurs avoir une influence sur les fameuses compétences en duo, tandis que vous-même gagnez un autre type d’expérience, que vous pouvez investir ou dans le craft, ou dans le renforcement d’éléments que vous possédez déjà. A ceci s’ajoute donc la récolte de matériaux qui permettent de crafter des armes, des variations plus ou moins fortes d’archétypes déjà existants, mais aussi de confectionner des accessoires, des objets, des tenues alternatives que vous débloquez en fonction de votre notation à certaines missions, et qui consomment aussi de l’argent que vous gagnez soit en vendant des matériaux soit en ré-accomplissant des missions, et je pense que je vais m’arrêter là en vous signalant que j’en ai laissé les deux tiers de côté. Vous avez rien compris ? Moi non plus, et j’ai joué une bonne vingtaine d’heures avant de commencer la rédaction de ce papier.
La courbe de difficulté de God Eater 3 est pourtant assez lente. Pendant des heures et des heures, vous n’allez rien faire d’autre que suivre des tutoriels assez permissifs, et les premiers vrais pics de difficulté arrivent quand vous avez la maîtrise nécessaire à les affronter. Vous n’êtes quasiment jamais bloqué, dans God Eater 3. Vous êtes parfois obligé de grinder un peu, mais rien de trop frustrant, en partie grâce à une IA des compagnons très bien pensée, qui répond au doigt et à l’oeil à votre façon de combattre. Pour peu que vous ne vouliez QUE voir la fin du jeu et aller au bout des multiples rebondissements de l’intrigue, vous n’allez jamais vraiment peiner. Ni vraiment comprendre ce qui se passe, à moins de vous investir énormément, tous les jours, et sans laisser trois jours entre deux sessions de jeu : j’ai fait cette erreur, j’en avais oublié la moitié. Dommage de passer après un Monster Hunter World qui, malgré d’autres petits problèmes d’interface, parvient bien davantage à concilier complexité du gameplay et simplification de l’expérience utilisateur.
Un jeu atteint du syndrome de Diogène
C’est la maladie d’un nombre incalculable de jeux japonais ces dernières années : l’incapacité chronique des équipes de développement à fonctionner autrement que par accumulation. Empiler, empiler, empiler, ne jamais élaguer, simplifier, couper ce qui ne sert à rien.
En multipliant les menus, les notions, les systèmes, les informations à l’écran, God Eater 3 force le joueur à passer davantage de temps à patauger pour retrouver telle ou telle bricole et à jongler entre des fenêtres redondantes qu’à véritablement proposer du temps de jeu. C’est dommage ! Malgré son côté moche et l’évident manque de moyens qu’il déploie mission après mission (arènes minuscules et très semblables, bestiaire qui tourne vite en rond…), God Eater 3 reste un excellent jeu de chasse aux monstres, qui fourmille de petites idées, et qui parvient à trouver son identité propre qui se détache largement de Monster Hunter. Rien que le dynamisme étonnant des combats est un plaisir. C’est rapide, brutal, on est parfois plus proche du beat them all que de la lente guérilla silencieuse de la série de Capcom, et le tout est servi par une bande-son orchestrale extrêmement kitsch, mais diablement efficace. Les affrontements touchent parfois à l’épique, et on comprend que la série n’a pas volé son petit noyau de fans très fidèles.
Mais pour que l’expérience soit pleinement agréable, il aurait fallu beaucoup plus de polish, une simplification massive des systèmes de combat, et une prise en considération de tout ce que l’évolution du Game Design de ce type de jeux a pu apporter depuis une dizaine d’années. Je ne compte plus les éléments de menus ou de compétences qui auraient pu être fusionnés en une seule variable, ou le nombre de menus et de sous-menus qui n’auraient dû être qu’un seul écran, comme si les auteurs du jeu s’étaient refusés au moindre compromis d’épure, et restaient persuadés que gaver le joueur de features était la garantie que personne ne leur reprocherait un manque de contenu. Un peu l’équivalent en terme de gameplay de ces Open World qui vous saturent une carte de milliers de points d’intérêt par peur que vous ressentiez la moindre seconde d’ennui. Peut-être que pour vous, ce n’est pas si grave. Mais en ce qui me concerne, c’est avec une certaine lassitude que je quitte ce jeu à qui il aura manqué peu de choses pour être bien meilleur.
Ce test a été réalisé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur
S’il était sorti avant Monster Hunter World, God Eater 3 aurait (presque) pu donner le change. Hélas, si le jeu de chasse aux monstres de Shift a pour lui un univers travaillé et une narration plus ambitieuse que prévue, le jeu est plombé par une technique indigne. Un défaut qu’on lui passerait volontiers si le gameplay n’était pas parasité par une interface catastrophique qui ne fonctionne que par l’accumulation de systèmes et de sous-systèmes de jeu parfois redondants, parfois contradictoires. Ce n’est pas le seul JRPG de ces dernières années à souffrir de cette maladie du trop-plein, mais dans celui-ci, c’est particulièrement frustrant. Dommage, car au milieu de toute cette bouillie, God Eater 3 ne manque pas de charme.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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