Sorte de décalque de Darkest Dungeon développé par la société sud-coréenne KRAFTON, Mistover n’a pas la main légère sur les « inspirations ». Mais ce n’est pas toujours un défaut : l’Histoire du Jeu Vidéo compte une liste longue comme le bras d’excellents hommages appuyés. En revanche, quand on se frotte aux meilleurs, il faut rendre une copie en béton.
Mistover est un cas un peu insolite dans mon expérience de joueur. Très déplaisant, j’ai néanmoins eu besoin de me forcer à arrêter de jouer tant je le trouvais addictif. Un cas rare pour moi qui ai l’habitude de ne pas m’acharner sur les causes perdues. Mais Mistover m’a bouffé tout un dimanche, presque 8 heures d’affilée, alors que je n’y trouvais aucune forme de plaisir ludique. C’est finalement lors d’une conversation à l’oral avec une tierce personne qui n’avait pas touché au jeu que j’ai réussi à mettre le doigt sur ce qui fait de Mistover une expérience si profondément déplaisante : il s’agit d’un de ces titres dont l’habillage sert à masquer des mécaniques dont on aurait retiré tout le fun pour ne laisser qu’un ensemble de variables confuses, mais en mouvement perpétuel et hypnotisant, poussant le joueur à rester toujours un peu plus longtemps vissé sur son siège.
Déséquilibre
Je n’ai pas souvent vu beaucoup de jeu jongler avec autant de grenades dégoupillées que Mistover, chacune d’entre elles représentant un emprunt à un jeu sorti ces cinq ou six dernières années, et réussir à les faire toutes exploser quasiment en même temps à la face du joueur. Quelque part entre Darkest Dungeon, Disgaea, Crypt of the Necrodancer et Labyrinth of Refrain, Mistover vous propose de recruter un crew d’aventuriers dans six ou sept classes différentes assez originales (Loup-Garou, Bonne Soeur, Onmiyouji…), puis de vous lancer dans l’exploration des régions avoisinant le hub central. Vous devrez arpenter ces régions couvertes d’un brouillard pollué et dangereux en gérant au plus près vos ressources de lumière et de nourriture, ainsi que la jauge de santé et de debuffs de vos compagnons. Toute mort est définitive, et toute expédition ne remplissant pas ses objectifs (dévoiler la carte, revenir indemne, allumer assez de lampes, tuer assez de monstres, ramasser assez de trésors…) fait avancer une horloge qui mène le monde à sa perte, tandis que les sorties plus réussies la font reculer.
Et sur le papier, ce mélange d’exploration de donjons en damier couverts de brouillard de guerre et de combats de JRPG au tour par tour fonctionne assez bien. Mais si la direction artistique du titre l’emballe avec élégance, elle peine à masquer un jeu profondément dysfonctionnel. On dirait que les développeurs de Mistover ont omis de jouer à leur propre jeu avant de le commercialiser, tant tout manque drastiquement d’équilibrage, voire d’équilibre tout court.
Les combats sont lents à en hurler, les ennemis respawnent à un rythme infernal, les déplacements sur le damier sont mal pensés (ceux en diagonal obéissent à des logiques au moins aussi brumeuses que le décor), les ressources semblent distribuées de manière totalement aléatoire, et Mistover se permet même par moments des curiosités presque incompréhensibles. Ainsi, le titre vous force à explorer chaque carte quasiment en entier, y compris quand vous n’avez parfois aucune mission principale ni secondaire à y accomplir. L’horloge de la fin du monde peut ainsi vous sanctionner d’une expédition victorieuse au simple prétexte que vous n’avez pas pensé à allumer une ou deux loupiotes quasiment inaccessibles.
De même, il vous force à recruter en permanence de nouveaux soldats aux skills aléatoires, car tenez-vous bien : avoir dans votre roster un personnage avec un skill donné est la seule façon pour un autre personnage de la même classe d’acquérir cette compétence. Pour peu que votre équipe de départ ait par un hasard quelconque des compétences moisies, vous êtes bons pour pédaler pour rien, puisqu’il vous sera impossible d’obtenir en début de partie des pouvoirs adéquats, et que le leveling n’en débloquera pas davantage. En bref, tout cela est un peu bancal et pensé en dépit du bon sens. Vous gagnez par hasard, vous perdez par hasard, le rythme est mou, et chaque aventure dans les donjons présente une lourde tendance à être un reskin du précédent. Mais j’ai tout de même passé plusieurs soirées dessus, et gâché un week-end entier sur l’autel de ce truc : pourquoi ?
Pensé pour faire rester
La seule chose qui est à peu près rythmée dans Mistover, c’est la fréquence à laquelle le jeu vous envoie un élément pour faire monter une jauge ou une statistique quelconque. Ou à défaut de tout cela, une variation dans les décors, un monstre inédit, un combo à débloquer.
Il ne le fait pas de manière très subtile, mais en utilisant tout ce qui se fait de pire dans le domaine des jeux free-to-play, les microtransactions en moins : multiplication des différents systèmes d’expérience et de monnaie, craft qui pousse à ramasser encore plus d’armures et de bidules divers, missions qui surgissent en vous poussant à réexplorer des maps pour ramasser des items pour des marchands, reskin de terrains déjà visités avec d’autres couleurs pour vous donner un sentiment de nouveauté : tout est fait pour que toutes les vingt à trente minutes, le joueur soit récompensé d’une manière ou d’une autre par un objet, un bloc de texte ou un élément quelconque qui vous force à redescendre encore une fois.
Cela ne rend jamais les expéditions moins déplaisantes, mais il y a quelque chose de fascinant à vouloir ramasser de nouvelles pièces d’armures pour renforcer celles que portent nos personnages, à injecter de la puissance dans une compétence qui rendra les combats légèrement plus simples, ou à optimiser son stock de consommables pour la prochaine sortie dans le brouillard. Et je plaide absolument coupable : cela a parfaitement fonctionné sur moi. Tout en ayant conscience après une ou deux heures de jeu que Mistover ne m’offrirait quasiment rien d’autre que des jauges ascendantes et quelques monstres supplémentaires dans d’autres environnements que la forêt de base. Mistover abat toutes ses cartes rapidement, et elles ne sont franchement pas très bonnes, mais vous n’avez pas le temps de quitter la table de poker que vous vous apercevez qu’il vous a collé les mains à la table.
Ce qui est dommage, c’est qu’avec un scénario un peu plus captivant, davantage de variété, un véritable équilibrage des combats et un ensemble plus ergonomique et mieux rythmé, Mistover aurait eu les mêmes défauts et une boucle de gameplay à peine plus inventive que celle du premier Diablo, le génie en moins, mais s’en serait sorti avec l’excuse de proposer un voyage un tant soit peu mémorable. En l’état, il ressemble surtout à une version à peine améliorée de n’importe quel bidule à lootbox que vous pouvez installer pour vider en vain la batterie de votre téléphone. Pour un titre vendu 30€, c’est tout de même un peu court. Et les joueurs japonais et coréens, pour qui est avant tout conçu Mistover, qui plombent la note du jeu sur Steam sont, si j’en crois les bons services de Google Traduction, d’un avis encore bien plus négatif que le mien.
Et puisque j’ai commencé en citant du Eluard, je vous laisse avec un autre grand poète contemporain :
J’aime quand tes yeux couleur de brume
Me font un manteau de douceur
Et comme sur un coussin de plumes
Mistover a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur
(à peu près Jean-Michel Larqué)
Mistover n’est pas très bon, en cela qu’il peine énormément à faire des différentes mécaniques qu’il pique à droite et à gauche quelque chose de bien huilé et de fonctionnel. Il se rabat alors sur un ensemble de mécaniques addictives pour le joueur, à base de décors qui changent et de jauges qui évoluent, le tout emballé dans une direction artistique plutôt plaisante qui donne le change pendant quelques heures. A sa décharge, il n’est pas le seul à être conçu ainsi, tant j’ai l’impression que cela pourrait constituer une définition d’une bonne partie des jeux que nous recevons chaque année.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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