A chaque fois que sort un nouveau produit estampillé Yakuza, je tombe amoureux. Yakuza 0, Kiwami, Kiwami 2, Yakuza 6, autant de grands moments vécus et partagés de mes dernières années de gaming. Cependant, je ne pouvais pas m’empêcher d’attendre avec une certaine crainte Fist of the North Star : Lost Paradise, déclinaison de la formule de beat them all en open world de Sega avec une skin Ken le Survivant. En effet, le jeu n’était pas précédé de la meilleure des réputations.
Avec son casting vocal étrange ne reprenant pas les voix originales de la série pour les remplacer par les doubleurs de la série Yakuza, la décision du Ryu ga Gotoku Studio de ne pas utiliser le Dragon Engine pour préférer utiliser le vieux moteur de la PS3, et sa promesse d’intégrer des mini jeux de tuning et de courses poursuites dans le désert, Fist of the North Star avait en effet de quoi inquiéter. Une fois le jeu lancé, on se retrouve face au paradoxe d’un beat them all correct et pétri de bonnes intentions mais qui parvient tout à la fois à être un mauvais Yakuza et un mauvais Ken le Survivant.
Une réinvention confuse du scénario de Hokuto no Ken
Fist of the North Star : Lost Paradise part du principe que vous, le joueur, n’êtes pas nécessairement familier de l’univers d’un manga qui va doucement mais sûrement sur ses trente-cinq ans d’âge. Vous ne m’en voudrez donc pas de faire la même chose et de supposer que vous n’êtes pas des doctorants ayant étudié tout le lore du manga de Buronson et Hara.
Sorti en pleine hype post Mad Max 2, Hokuto no Ken est essentiellement un clone du film post-apocalyptique de George Miller, mais remplaçant Mel Gibson par un spécialiste en arts martiaux capable de faire exploser la tête de tous les vilains punks à crête habillés en cuir SM qui passent. Particulièrement violent et tragique, le manga mettait en scène l’errance éternelle de Kenshiro, l’un des derniers représentants de l’école de l’Etoile du Nord, à la recherche de sa bien-aimée disparue, un périple qui l’amènera à combattre ses anciens frères d’armes dans le décor désertique des années 90 passées à la moulinette de l’apocalypse nucléaire. 27 tomes, des suites, des spin-of, des films, des séries télévisées et une brouette pleine de jeux vidéo qui ont rendu cette saga iconique comme pas deux, et dont Fist of the North Star est la dernière en date.
Reprenant dans les très, très grandes largeurs les grands moments du manga, Fist of the North Star prend le parti pris bizarre de vouloir à la fois raconter l’histoire originale de Ken (sa quête pour retrouver Yuria et vaincre les écoles d’arts martiaux rivales) et un arc narratif entièrement nouveau, situé dans une ville presque paradisiaque, puisqu’on y trouve encore de l’eau et de l’électricité, denrées devenues extrêmement précieuses en ces temps difficiles. C’est cette ville d’Eden, dont Kenshiro sera prisonnier puis rapidement citoyen/homme à tout faire, qui va servir de hub central depuis lequel va se déployer l’intrigue, alternant maladroitement les événements déjà connus et de nouvelles péripéties insérées là-dedans un peu au forceps.
Disons-le tout net, tout cela n’est hélas pas très intéressant, et globalement pas très bien écrit, vous forçant à courir dans tous les sens pour taper sur des gens dont vous ne savez pas grand-chose, et alternant des enjeux assez dilués dans le nombre trop important de trucs que le jeu veut raconter. Dommage, car tout n’est pas à jeter là-dedans, et le scénario a quelques bons moments, hélas rapidement oubliés au fil des innombrables allers-retours et sous-intrigues anecdotiques qui parsèment l’aventure. Le tout aura du mal à parler aux nouveaux venus dans la franchise, et les nostalgiques auront plus vite fait de retourner à la série télévisée de 1984, autrement plus rythmée.
Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà moche.
Évacuons la bouillie de pixels au milieu de la pièce. Fist of the North Star : Lost Paradise est l’un des jeux les plus moches de l’année, voire de la génération. Un moteur de jeu antédiluvien passe encore : l’équipe B du Yakuza Studio qui a travaillé sur le jeu n’avait, selon les producteurs, pas le temps d’apprendre à utiliser le Dragon Engine. Mais le moteur un peu rigide et approximatif qui faisait pourtant des merveilles sur Yakuza 0 et Yakuza Kiwami est ici géré avec la finesse d’un éléphant dans une petite section de maternelle : bugs de collusion, physique incompréhensible, textures qui pixelisent et bavent, et commandes qui répondent de manière un peu aléatoire. Mention spéciale aux (nombreux) QTE, qui fonctionnent quand ils ont envie, et ce n’est pas souvent.
Tout cela passerait inaperçu si le jeu avait au moins le bon goût d’avoir une direction artistique digne de ce nom, mais il a graphiquement l’aspect d’une sorte de demo 3D vieille d’une quinzaine d’années sur laquelle on aurait appliqué à la va-vite un skin en cell-shading et des assets hideux supposés évoquer l’univers de Hokuto no Ken. En résulte des personnages difformes, des muscles qui traversent les vêtements, des regards bovins, des démarches de Playmobil. Le tout sans parler des décors vides dont les rochers et les façades semblent faits de plastique. Et par respect pour mes dents qui grincent, je ne vais même pas évoquer du tout les phases en véhicule.
Fist of the North Star est de plus servi avec l’un des sound design les plus affreux depuis longtemps, des bruits irritants venant valider chacune de vos actions et chaque boîte de dialogue, et les musiques assez cheap semblant être balancées un peu au hasard. Jusqu’à l’interface approximative des menus, le joueur souffre : difficile de naviguer dans les onglets, options confuses, menu d’expérience peu clair, carte du monde illisible, le jeu semble avoir été sorti avant d’avoir été fini. Tout y est désespérément brouillon et moche.
Le seul moment où Fist of the North Star prend un peu d’allure, c’est pendant les moments de combat (somme toute assez nombreux, c’est un peu pour ça qu’on est là) : honnête jeu de tatane, il est souvent plaisant à jouer, davantage encore si on a la patience de débloquer les différents coups spéciaux de Kenshiro, et si on pousse le jeu jusqu’à certains combats de boss assez retors.
On est pas passé si loin d’un bon jeu d’action
Fist of the North Star : Lost Paradise aurait été un honnête jeu à quinze ou vingt euros s’il s’était contenté d’être un simple jeu de bagarre linéaire racontant les aventures de Kenshiro en train de faire exploser des cerveaux avec ses doigts pour défendre les braves gens. Le problème, c’est qu’il essaye avec une énergie certes débordante mais un peu vaine d’être beaucoup d’autres trucs, à l’instar de la série Yakuza dont il est supposé être un spin-of.
Ken au casino. Ken qui fait les courses. Ken qui résout les problèmes des marchands de la ville. Ken qui écoute, mutique (parce que le doubleur de Kiryu n’est franchement pas à l’aise et ça s’entend un peu), les suppliques de tous les PNJ qui passent. Ken qui fait du tuning. Ken qui utilise des poutres géantes pour jouer au base ball avec des motos. Il y a pas mal de machins à faire dans le jeu de Sega qui vous occupera au moins une bonne quarantaine d’heures si par hasard vous en avez la patience. Le problème, c’est que tout cela présente assez peu d’intérêt, passé la blague de voir ce grand guerrier des années 80 habillé en costar pour agiter des cocktails façon barman des enfers, ou de croiser quelques cameos improbables de la série Yakuza.
Faire des épisodes dérivés de Yakuza basés sur le même concept n’a en soi rien de mal (après tout, on est tous très impatients de voir arriver Project Judge), et puis c’est toujours mieux que 90% de ce qui sort de la photocopieuse à Dynasty Warriors chez Koei Tecmo. Mais il est dommage que ce jeu se soit perdu dans autant de directions plutôt que de se contenter de ce qu’il fait à peu près correctement et que le manga Hokuto no Ken faisait tout aussi bien : vous faire brutaliser des gros mecs moches qui ne le savent pas encore, mais qui sont déjà morts.
Beat Them All correct dans un écrin hideux, Fist of the North Star : Lost Paradise se perd clairement en chemin. Mauvais résumé et mauvais arc inédit de Ken le Survivant, piètre déclinaison de la formule Yakuza, consternant de laideur, se payant même le luxe de plantages et de bugs réguliers indignes, le titre de SEGA aurait à peine fait un bon jeu au début de la PS3. En 2018, c’est vraiment indigne. Dommage, avec plus de temps et de polish, on tenait peut-être quelque chose de pas si mal.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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