Si vous allez vous promener sur le site officiel de Hindsight 20/20 — Wrath of the Raakshasa, vous y trouverez pour l’essentiel trois choses : une mention toutes les deux lignes sur le fait que le jeu propose « des choix moraux », le CV conséquent de ses réalisateurs vétérans de l’industrie, et des mentions de reviews très positives, la plupart datant de l’époque où le jeu faisait le tour des salons indépendants pour montrer ce qu’il entendait proposer. Ce qu’il aurait peut-être dû continuer à faire.
Les « choix moraux » dans les jeux vidéo, parlons-en. Ils sont devenus un tel poncif que je suis étonné qu’on ne nous ait pas encore sorti un Picross nous exposant à chaque grille les conséquences traumatiques à l’échelle macroscopique que pourrait avoir la non-résolution d’une grille dans un temps imparti. En pratique, ils se résument souvent à naviguer de manière plus ou moins sinueuse dans un tunnel narratif dont la révélation finale consiste à vous marmonner quelque chose à propos du Voyage© et de la Destination™. C’est d’autant plus visible quand les promesses sont grandes : celles de Hindsight 20/20 — Wrath of the Raakshasa nous joue de la flûte sur l’air de « votre façon de vous comporter influe sur le gampelay » et « le plus minuscule de vos choix aura des conséquences déterminantes sur l’ensemble de l’aventure ». Sur la base de la dizaine d’heures passée sur le jeu, je dirais que l’ensemble de l’aventure consiste surtout à cogner les mêmes grouillots en boucle dans des arènes moches et à pousser des cubes sur des carrés dessinés par terre. Alors vous savez, la morale, dans tout ça…
Il sait si vous avez été gentil ou si vous avez été mi-chiant
Le premier contact entre Hindsight 20/20 et moi a été si négatif que je me suis même demandé si ce n’était pas moi qui avais raté quelque chose : c’est un des seuls et uniques jeux parmi les plusieurs centaines que nous avons reçus sur le site qui ne possède pas le minimum du minimum des options généralement attendues par un menu démarrer dans un jeu vidéo. Il n’y est, par exemple, pas possible de modifier la résolution d’écran ou le volume général du jeu. Incroyable mais moche. Non pas que l’expérience m’ait particulièrement traumatisée, mais elle a été symptomatique de tout le reste : l’impression de jouer à un prototype vendu 15€.
Une fois passée cette aridité initiale, on réalise rapidement que ce n’était qu’une mise en bouche avant la vraie traversée du désert sans gourde avec un manteau de fourrure : le scénario est exposé par quelques panneaux fixes, et on se retrouve bien vite plongé au cœur de l’action, une ville assiégée par des démons dans lequel notre héros, Jehan, revient pour se venger de ceux qui ont tué son papa. Mais il ne revient pas seul, puisqu’il est armé d’une épée rouge qui tue et d’un bâton bleu qui assomme. À peu près 100% des gens que vous croisez vous le disent : « TUER C’EST PAS BIEN » ou bien « LES VALEURS DE NOTRE VILLE C’EST : NE PAS TUER DES GENS ».
Alors très vite, on peut croiser des quêtes, souvent des personnes en détresse qui nous disent en substance « MON PETIT SAC DE CHIOTS MIGNONS EST KIDNAPPÉ PAR DES MÉCHANTS », et alors on a des choix moraux, comme dire « Oui Madame je vais sauver vos chiots » ou « Hahaha non car je m’en fiche ». Puis on enchaîne des combats pour résoudre le problème, et au début de chaque combat on nous laisse le choix : soit le bâton (GENTIL, BIEN, CONFORME AUX VALEURS DE LA VILLE, TMTC), soit l’épée (MÉCHANT, BOUH, GARGAMEL, TED BUNDY, BONNET D’ÂNE). Et puis après il y a des conséquences : la ville est plus ou moins en feu, et les gens sont plus ou moins contents de vous voir. Au bout de quelques heures vous allez dans une autre ville, et c’est un peu pareil. Allez-vous massacrer ces monstres « ALORS QUE NOUS NE SOMMES PAS MÉCHANTS ET QUE NOUS AVONS PEUT-ÊTRE UNE ÂME » ou allez-vous juste les assommer car « LES RUSSES AIMENT LEURS ENFANTS AUSSI » ? Et au passage peut-être que les gentils étaient méchants et inversement et voilà.
The Legend of Zeldodo
Toute l’écriture de Hindsight 20/20 m’a donné l’étrange impression d’être une série de placeholders en attendant que quelqu’un arrive pour insérer les vrais dialogues et le vrai scénario dans les boîtes de texte. Pour être clair, entre la quasi absence de musique et de mise en scène, la gestion des causes et des conséquences balancée au turbo-surligneur et le fait que tout baigne dans une certaine laideur, il est difficile de s’attacher à quoi que ce soit que le jeu nous raconte. On croise vite fait chaque personnage une ou deux fois, on effectue un choix binaire, et au pire du pire quelques heures plus tard on nous informe de la conséquence parfois inattendue de notre choix, et c’est à peu près tout. Puis on commence un deuxième run, et on se rend compte que même en faisant des choix radicalement différents, tout ce qui bouge est surtout purement cosmétique, et rien ne motive assez à enchainer les runs pour débloquer les nombreuses fins du jeu (les développeurs en annoncent une dizaine).
Bonne nouvelle : au moins vous n’aurez pas tant que cela à interagir avec cette bande de tristes sires, puisque l’essentiel du jeu sera consacré à ses combats et à ses donjons, Hindsight 20/20 n’étant finalement qu’un fastidieux enchaînement de couloirs où il faut éviter des pièges apparaissant mollement au sol et d’arènes tantôt consacrées à la bagarre, tantôt à des énigmes.
Loin d’avoir la subtilité et la profondeur annoncées par l’argumentaire commercial du jeu, les combats s’avèrent vite extrêmement répétitifs, que vous choisissiez l’épée (MÉCHANT) ou le bâton (GENTIL) : bourriner le bouton d’attaque dans la direction des ennemis, se mettre en garde une fois de temps en temps et déclencher un mode furie de temps à autre quand une jauge est pleine, et c’est à peu près tout. Le niveau de difficulté augmente un peu vers la fin du jeu, mais à peine : une fois qu’on a compris ce qui marchait, vos seuls vrais adversaires seront l’ennui et le manque de fureur.
Quant aux donjons et aux énigmes, Hindsight 20/20 est peut-être le Zelda-like le moins inspiré de ces dernières années, puisqu’ils ont tous la même structure : des salles où il faut pousser des cubes aux bons endroits, qui donnent des clés de couleur qui permettent d’aller dans d’autres salles avec des cubes à pousser aux bons endroits, et c’est à peu près tout. À noter que ces énigmes, absolument pas taillées pour être aisément résolues par un daltonien, ne présentent aucune forme de challenge : comme chaque étape de l’énigme est validée par le jeu, il est extrêmement aisé de les « forcer » en essayant toutes les combinaisons jusqu’à ce qu’on nous indique qu’on a trouvé le bon cube à mettre sur le bon carré. Bref, on se ferait pas un peu chier ici ?
Hindsight 20/20 — Wrath of the Raakshasa a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PS4, PS5, Xbox et Nintendo Switch.
Hindsight 20/20 — Wrath of the Raakshasa donne l’impression très désagréable de jouer à un prototype basé sur l’idée de « faire des choix moraux dans un Zelda-like ». Mais entre un prototype et un jeu abouti, il manque un univers cohérent, un rythme plus soutenu, des énigmes plus intéressantes, un level design plus moderne, des personnages plus consistants ou encore un système de combat qui n’allie pas le monotone au désagréable. J’aurais adoré voir ce qu’aurait réservé une version plus complète et cohérente d’un jeu de ce type, mais on en est très, très loin. Hindsight 20/20 n’est pas le pire jeu que j’aurai fait cette année, mais c’est incontestablement le plus ennuyeux.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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