Si le nom de Pathea Games vous dit quelque chose, c’est sans doute parce qu’ils ont rencontré un succès plus que respectable avec leur joli petit jeu « inspiré » de Stardew Valley, My Time at Portia. Le studio chinois basé à Chonquing est indépendant mais il a les reins solides et a embauché ces dernières années des dizaines d’employés. Ne se reposant pas sur ses lauriers, il sort au cœur de cet étrange été un nouveau jeu en forme de changement de registre complet. Ever Forward est un puzzle game onirique, à l’ambiance plus posée et moins cartoon que le précédent jeu du studio, troquant l’humour potache de Portia pour une dose de mélancolie assumée.
Disons-le tout de suite, il va être impossible de tourner autour du pot bien longtemps : à l’image de très nombreux de ces « petits » jeux de cet été 2020, du moins ceux qui n’ont pas été repoussés à des dates plus clémentes, Ever Forward laisse une impression bizarre en bouche. Ni bon, ni mauvais, ni court, ni long, ni fait, ni à faire, il est entre la démo, la note d’intention et le jeu terminé, où tout serait bien en place, mais rien ne serait vraiment intéressant. Tout ce qu’il tente de raconter, il le fait au prix d’une généricité constante, et d’une fadeur certaine le rendant un peu difficile à appréhender, comme s’il était destiné à ne laisser aucune forme de souvenir au joueur. Pourtant, Ever Forward ne manquait pas d’idée, et son scénario résonne si étrangement en 2020 qu’on se demande s’il n’a pas été implanté en catimini dans les derniers stades du développement, au risque d’avoir l’air un chouilla opportuniste.
Rêves et Pandémies
Sur une plage semblant issue du monde des rêves, parcourue de longues racines et de ruines en tout genre, nous découvrons Maya. Maya, c’est une petite fille chinoise, manifestement pas très bien dans sa peau, et dont nous comprenons bientôt qu’elle est en très fort déficit d’affection maternelle. Sa mère, travaillant dans le domaine de la recherche pour le gouvernement, s’est retrouvée brutalement noyée sous le travail, à la suite d’une pandémie qui semble avoir confiné tout le monde à domicile : toute ressemblance avec un événement survenu lors de la fin du développement du jeu serait purement fortuite. Laissée à elle-même dans une maison close avec ses peluches et son imagination, voyant sa mère épuisée n’ayant plus une minute à lui consacrer, Maya se réfugie dans le monde doux-amer de l’imagination, qui consiste donc en un domaine onirique en forme de plage entrecoupée d’arènes géométriques où on doit avancer en déposant des cubes dans des trous pour ramasser des bribes de souvenirs.
Ce contexte épidémique désormais familier mis à part, vous devez avoir l’impression d’avoir déjà vu ça quelque part. Ever Forward, qui est un jeu assez bref, souffre en effet d’une structure hélas déjà essorée par des dizaines de jeux à énigmes avant lui depuis le vénérable Portal : on avance, on résout des puzzles de plus en plus touffus aux mécaniques pas nécessairement liées à l’intrigue principale, et un dispositif quelconque (ici des fragments de souvenirs) vous raconte l’intrigue par tout petits morceaux, pour vous livrer tous ses secrets à la fin. En l’occurrence, il sera la plupart du temps question de déplacer un cube d’un point A à un point B en évitant des lumières. On se sert de la gravité, de la hauteur, on joue avec le cône des visions des ennemis, on vole parfois, bref, on est dans des pantoufles ludographiques qui n’auraient pas changé depuis plus d’une quinzaine d’années.
Le challenge offert par Ever Forward n’est d’ailleurs pas très corsé, et on y appréciera particulièrement la possibilité parfois offerte de faire certaines énigmes dans l’ordre décidé par le joueur. De même qu’on sera étonné de voir que certaines d’entre elles peuvent être résolues par des approches alternatives, mais toujours logiques. Autre idée bienvenue : la possibilité de laisser un point de sauvegarde à peu près n’importe quand sur simple pression d’une gâchette, facilitant grandement les expérimentations dans les énigmes les plus longues. Il n’est ainsi jamais nécessaire de devoir se retaper l’ensemble d’une épreuve une fois ses premières étapes validées : une excellente manière de prévenir la frustration liée à de simples erreurs de manipulation ou de commande. On traverse ainsi sans inconfort un jeu aux mécaniques terriblement banales, mais parfaitement fonctionnelles.
Joli et générique
A l’instar de Lightmatter, un autre jeu où il fallait esquiver des lumières pour trouver un sens à sa vie, Ever Forward manque donc cruellement d’une feature qui marquerait assez pour qu’on s’en souvienne encore dans quelques semaines. On aurait cependant pu à défaut se contenter d’une direction artistique ou d’un enrobage quelconque qui retienne davantage l’attention ou marque durablement la rétine. Hélas, c’est là aussi un peu insuffisant.
Ever Forward est un joli petit jeu. Sans plus. Maya est attachante, les décors de plage donnent envie de piquer une tête, et les grandes étendues abstraites et géométriques où prennent place les énigmes ne gênent jamais la vue. L’ambiance sonore, nostalgique et discrète, fait bien le travail. Mais c’est tout. Rien ne se détache. Tout est sage, calme, déjà vu, comme une publicité pour un bon matelas ou des vacances en Lozère. Il fait beau quand il doit faire beau, l’orage gronde quand il doit gronder, en une succession de scénettes toutes plus ou moins semblables et peu surprenantes. La mise en scène du scénario fonctionne, mais ne vient que souligner le côté assez ordinaire de ce qui s’y raconte. Entre 2 et 4 heures après avoir lancé Ever Forward, vous le refermerez en étant philosophiquement, ludiquement et artistiquement exactement au même point qu’en y entrant.
Avec My Time At Portia, les équipes de Pathea Games avaient prouvé qu’en repiquant quasiment à la ligne près un concept déjà éprouvé (celui de Stardew Valley, lui-même issu d’une longue lignée de RPG agricoles), ils étaient capables d’insuffler des idées, de l’énergie et du talent dans un jeu, pour en faire une excellente proposition. Ever Forward, bien trop sage, bien trop calme, et bien trop corseté dans son concept, ne parvient pas à faire de même. Ses énigmes sont trop étriquées par le recopiage scolaire des puzzle game de la décennie passée, et sa direction artistique trop appliquée à recopier tout le vademecum du puzzle-game-onirique-avec-un-personnage-fragile. Bien entendu, quand on suit une recette à la lettre en utilisant de la pâte déjà prête achetée en supermarché et qu’on ne s’autorise aucun écart, on obtient un goûter comestible. Mais ça reste un goûter tout à fait oubliable.
Ever Forward a été testé sur PC (Steam) via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Switch, PS4 et Xbox One.
Pour peu que vous soyez un peu addict aux jeux à énigmes, j’aurais du mal à vous déconseiller formellement Ever Forward, qui, comme de la purée au jambon sous vide, remplit parfaitement son office entre deux repas plus mémorables. Mais son absence d’aspérité et son côté parfaitement plat laisse un goût de rien en bouche comme un rêve banal une fois passé le petit-déjeuner. Dommage qu’aucune folie, aucune idée forte ne se dégage de cette courte expérience qui, au fond, n’est qu’un puzzle game de plus consistant à bouger des cubes pour échapper à des lampes. Si vous désirez tenter l’expérience, sachez que la modestie du prix (environ 15€) est au moins raccord avec la modestie du propos.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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