Au sortir d’un mois d’octobre plein à craquer et alors qu’on commençait gentiment à bougonner de ne pas pouvoir prendre le temps de jouer aux jeux du backlog qui patientent en rang d’oignons, une cerise s’apprêtait à couronner le large gâteau de notre fatigue : Disgaea 4 Complete+, aka la série aux milliers d’heures de jeu. Aka le niveau 9999 à atteindre et transcender. Aka les systèmes de jeu qui s’empilent comme autant de nos personnages, sur les épaules les uns des autres. Un savant mélange de « complétude » et de complexité bien difficile à intégrer pour notre petit cerveau essoufflé, assez vaillant tout de même pour s’engouffrer avec curiosité vers cette promesse d’infini plaisir vanté par les chantres, les converti.e.s. Mais la bataille était perdue d’avance.
Les profanes ici présents pour éclaircir le mystère Disgaea seront déçus, tout comme les connaisseurs qui espéraient apprécier une plume savante dérivant vers le plaisir et la reconnaissance d’initié. Ce papier évoquera une rencontre manquée entre deux engeances, peut-être pas pour de bon mais dont les chemins ne se croiseront sans doute pas avant un bon moment.
Gouvernemange-tes-morts
De Disgaea, nous n’avions jamais eu que de vagues aperçus : du tactical RPG en vue isométrique, une direction typée mangass’ à la difficulté bien présente, la Vita d’un ami qui y jouait en amphi, trop peu intéressé par ce qui se racontait sur le Mahabharata. On s’est tout de même renseigné avant de demander la présente réédition (l’originale est sortie en 2011 sur PS3) mais rien qui ne semblait trop inquiétant. La cinématique d’introduction animée se lançant, jolie, nous sommes en terrain connu. Valvatorez, le anti-héros héroïque, vampire, ancien tyran du sous-monde maintenant instructeur et défenseur quelque peu condescendant d’une source inépuisée d’esclaves, ne tarde pas à nous faire rire. Avec cette obsession des sardines, on est loin des considérations souvent bien sérieuses des JRPG, Tales of en premier lieu, pour évoquer une série chère à notre cœur. Des dialogues évoquant une surcouche au moins un peu politique pointent pourtant : les Prinnies, anciens humains devant expier leurs péchés dans la peau de pingouins, sont enlevés sur ordre du Gouvernemort pour être bientôt exécutés. En cause : leur surnombre. Empêché de remplir la promesse qu’il leur avait faite (une sardine pour chacun d’entre eux), Valvatorez part à leur secours, marquant le début d’une quête qui ne manquera pas de s’étendre bien au-delà de ce point de départ. On n’en saura pourtant pas plus, car, entre-temps, les systèmes de jeu ont commencé à nous être expliqués.
Et, bien malgré soi, on est resté devant, l’air interdit, le regard perdu dans le vague, tâchant d’emmagasiner tout ce qui pouvait l’être, même pas aussi mignon qu’un chien qui penche la tête pour tenter de comprendre ce qui lui est dit. C’est que, si les bases du combat sont somme toute assez banales, le temps d’assimiler le comportement de l’I.A et les quelques règles spécifiques à la série (combo avant tout, le porter/lancer, les bonus/malus sur le terrain), revenu dans la place qui sert de hub, un vertige nous prend. Combats après combats, toujours plus d’explications de gameplay, de systèmes puis de sous-systèmes à prendre en compte, de mécaniques absconses à déchiffrer, de chiffres à interpréter, de menus à arpenter… On sent que derrière tout cela, c’est une liberté de personnalisation et de contrôle sans bornes qui nous est offerte. Rien à faire, pourtant, ça ne passe pas.
Valvacorrèze
Disgaea 4 Complete + serait-il trop complexe ? On reproche ici et là à la série de ne pas avoir fait évoluer ses mécaniques depuis le 1e épisode mais de les avoir accumulées – comme bien d’autres choses, des graphismes sommaires mais pas vilains pour autant aux gimmicks rigolos (les contre-attaques de contre-attaques de contre-attaques…). Cela se ressent lorsqu’on prend un peu de distance : en réalité, et selon les dires d’un connaisseur (que nous ne sommes pas allés chercher bien loin), une partie des systèmes influençant l’évolution des caractéristiques de nos personnages est avant tout destinée au contenu post fin de l’histoire. Constitué de quêtes abritant des boss dopés aux chiffres (ce ne sont que des réglettes à pousser, après tout), il s’agit, pour les habitués, du vrai départ – entre 30h et 40h après le début de partie. La difficulté toujours rehaussée viendrait enfin rencontrer la complexité des systèmes pensés pour elle, étalant dès lors les heures de jeu devant celles et ceux qui voudraient bien s’y engager.
On parle pourtant bien partout de richesse et pas de surdose. La série, qui a travaillé sa réputation au fil des épisodes, accède quasiment au rêve du joueur obsessionnel, comme un pendant solo aux MMORPG qui alignent les extensions et mises à jour saisonnières : proposer assez de contenu pour s’y plonger, masque et tuba sur le canapé, pour ne reparaître que plusieurs centaines d’heures (et milliards de dégâts infligés) plus tard, peut-être plus fort.e qu’avant ou requinqué.e. Devant les vidéos de certaines capacités, l’absurde des dialogues se trouve un équivalent dans l’absurde évolution de puissance : le compteur de dégâts n’a plus de sens, et c’est, désormais, à qui attaquera le premier. L’insensé renoue avec le stratégique. C’est avec déception qu’on prend conscience de l’existence d’un stade qu’on n’atteindra pas de sitôt. Et un peu de ressentiment, aussi, devant une ergonomie engourdie qui rend la navigation dans les menus plus fastidieuse qu’elle ne l’est déjà, ainsi que l’absence d’options d’accessibilité aujourd’hui démocratisées – un rewind serait la moindre des choses quand on traîne des soucis de lisibilité entraînant des erreurs stupides et la perte de 15/20 minutes de jeu à chaque fois.
La nullité est un art qui se pratique
Est-ce juste une question de goût ? Le grind, ça n’a jamais été notre truc, alors peut-être qu’on était mal parti – surtout avec une musique aussi vite insupportable, ce qui en fait le parfait jeu pour rattraper vos retards de podcast. Le simple fait de devenir plus fort ne suffit pas à nous accrocher et, au contraire de Monster Hunter (World, bouh), qui, de loin, tourne pourtant assez vite en rond, on n’a pas trouvé par où s’arrimer au train loufoque qu’est Disgaea 4 Complete +. Ce n’est pas faute d’avoir décelé le potentiel stratégique des affrontements derrière cette interface maudite, notamment la chouette idée d’une dimension plateforme intégrée au tour par tour. Et si mettre de côté les colonnades de chiffre qui nous impressionnent tant était la solution ? Les ouvertures et fermetures de combat par des échanges décalés entre les personnages font rire, parfois même de bon cœur (ça nous arrive), mais le côté délié de la narration n’a pas réussi à nous faire attendre autre chose qu’un comique de situation un peu bas de plafond, ne gardant l’aspect politique que comme habillage rigolard. Tant pis pour le romantisme habituel du vampire, censé arriver un peu plus loin dans l’intrigue.
Et si on était simplement juste nul à Disgaea ? Tout de même habitué à découvrir des concepts plus ou moins neufs depuis un certain temps, c’est une des premières fois qu’un jeu se refuse à nous. La persévérance ne nous fait pourtant pas toujours défaut là, c’est peine perdu. Est-ce grave pour autant ? Non. Est-ce dommage ? Certainement.
Disgaea 4 Complete+ a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur.
Il y a peu, nous faisions l’éloge de la simplicité de certaines productions, et c’est peu dire que Disgaea 4 Complete+ nous a fait tout drôle. Nippon Ichi a pourtant assez conscience de l’inaccessibilité de cette sommité pour commencer à proposer une alternative – en attendant l’arrivée du Disgaea mobile, revenu de son faux départ d’il y a quelques mois. Cette fois, le jeu a été le plus fort mais on ne s’avoue pas vaincu. Lors d’une rencontre avec un jeu, ce dernier s’inscrit et devient un peu nous, sensiblement différent de ce qu’on était avant de le commencer et ça nécessite de trouver le bon moment, ce qui, clairement, n’était pas le cas. Si on préfère a priori le petit sentiment de désarroi qui suit la fin d’un jeu – et de notre chemin avec lui – plutôt qu’un buffet à volonté de contenu avec lequel on ne fait que se débattre, voir des joueurs et joueuses se lover avec confort dans ces mécaniques enchevêtrées confirme qu’on y retournera. Laissez-nous juste le temps.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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