600 heures. C’est ce qu’affichait en 2006 la carte mémoire de ma PS2 quand, après deux ans à y jouer presque chaque jour, j’ai fini par passer à autre chose. La série Disgaea, qui a tenu à bout de bras le genre moribond du Tactical RPG pendant des années, a imposé un style (loufoque au possible) et s’est décliné en un nombre dantesque de suites et de spin-of situés dans le même univers. Mais le tout premier épisode de la série n’avait jamais eu droit à une version complète destinée aux consoles actuelles : voilà qui est réparé.
J’ai assez peu de reproches à faire aux épisodes qui ont suivi Disgaea. Aux nombreux, nombreux, nombreux épisodes de Tactical RPG farfelus situés dans le même univers mêlant démons rigolos et monstres stupides. Nippon Ichi a inventé un style sur lequel l’éditeur est quasiment seul : le Tactical RPG humoristique à sous-systèmes complexes. Mais néanmoins, chaque épisode qui passe pose cependant un problème supplémentaire en empilant de nouvelles strates de gameplay sans jamais élaguer les précédentes, quitte à présenter des aspects quasiment incompréhensibles même pour les vétérans de la franchise. La réédition de ce tout premier épisode est une bonne façon d’effectuer un retour aux sources, à une époque où tout ce fatras était un peu plus simple, et un chouilla plus directif. Plus scénarisé, aussi.
Bienvenue dans le sous-monde, Mec !
Après les péripéties très drôles mais finalement très peu denses et très anecdotiques de Disgaea 5 et de ses 250 DLC, j’en étais venu à oublier à quel point le premier épisode allait droit au but et avait une intrigue diablement ramassée et efficace. Dans le Sous-monde infernal, l’Overlord démoniaque Krichevskoy est mort en avalant un bretzel (une blague à l’esprit extrêmement 2002), pendant que son fils Laharl faisait une petite sieste de deux ans. Au réveil de ce dernier, c’est le zbeul, tous les vassaux sont partis du château, tout le monde s’entretue pour prendre place sur le trône, les Anges descendent aux enfers pour tenter de tuer le prince démoniaque, et même les humains envoient des explorateurs pour tenter de piller ce qui reste de la dimension infernale. Ni une ni deux : Laharl, son adjointe la succube Etna et une jeune ange déchue nommée Flonne vont bon gré mal gré repartir à la conquête de ce capharnaüm géant, dans un voyage qui leur fera affronter coup sur coup un cochon qui parle, des power rangers dégénérés, des zombies ou encore un wanabee démon immédiatement renommé « demi-boss » par nos héros.
Beaucoup plus structuré et cohérent que n’importe quel épisode de la série, Disgaea 1 Complete est le témoin d’un temps où l’écriture de Nippon Ichi Software n’avait pas encore complètement basculé dans la folie, et où leur univers servait encore à raconter de véritables histoires. Car à l’inverse d’autres jeux de l’éditeur proposés dans le même univers et sortis à peu près en même temps (La Pucelle Tactics, Soul Nomad, Phantom Brave), cet épisode n’était pas encore un simple coussin péteur étiré sur une centaine d’heures. Avec sa dizaine de fins possibles, son final tragi-comique, ses rebondissements surprenants et la bonne tenue de son écriture, le jeu étonne encore quinze ans après par sa capacité à bien tenir sa ligne, avec un humour qui fait toujours mouche et un trio de héros qui fonctionne encore à la perfection, et n’a pas été égalé depuis dans les autres jeux du studio.
Il est assez agréable de retrouver (ou de découvrir) cette histoire simple, mais racontée avec une bonne humeur communicative et de pouvoir la découvrir pour la première fois avec les voix d’origine, et une traduction en français d’aussi bonne tenue que celle de Disgaea 5. Nippon Ichi Software, sous la présidence du farfelu Sohei Niikawa, par ailleurs producteur et scénariste de la plupart des jeux du studio, a été l’un des premiers studios japonais à comprendre l’importance capitale dans son développement de la multiplication des supports et de l’internalisation de sa stratégie. L’éditeur a été l’un des premiers à faire localiser en anglais puis en français la majorité de ses titres, à multiplier les portages sur console portable puis sur PC, à lorgner du côté de la Switch, etc. Il n’est pas étonnant que cette version Disgaea 1 Complete bénéficie d’une localisation si soignée, ni qu’elle se voit amplifiée de tout le contenu bonus publié au fil des différentes versions, à commencer par le « Mode Etna », version alternative du jeu où Laharl meurt dans les premières minutes du jeu et où Etna devient l’héroïne.
Un remake extrêmement propre
Bénéficiant du moteur utilisé sur Disgaea 5, Disgaea 1 Complete troque la bouillie floue et les sprites un peu brouillons de la version PS2 pour quelque chose de beaucoup plus lisible. Si une partie du travail était « déjà fait » dans la mesure où les DLC de Disgaea 5 avaient déjà passé un grand nombre d’assets du premier jeu à la moulinette de la HD, le nombre d’éléments qui ont été redessinés ou reprogrammés pour cette version reste impressionnant de finesse et de propreté. Loin d’être un simple portage effectué à la va-vite, Disgaea 1 Complete est ce qu’on est en droit d’attendre de tout dépoussiérage de titre classique.
Le jeu ne rame jamais, de près comme de loin, même sur les cartes les plus chargées. Les commandes sont intuitives (du moins sur Switch, version que nous avons eue entre les mains), et on retrouve bien vite les sensations de la PS2, avec une ergonomie bien plus moderne et facile à appréhender. On regrettera simplement que quelques petits détails irritants, pourtant réglés dans les autres épisodes, n’aient pas été corrigés : l’ajout d’une bête autosave à la fin des batailles, par exemple, ou la possibilité de trier ses soldats de manière beaucoup plus simple depuis n’importe quel menu. On regrettera aussi que l’Item World (ces donjons aléatoires où le joueur peut aller faire monter le niveau des armes et des objets) ne bénéficie pas des aménagements des épisodes ultérieurs concernant la génération des niveaux, globalement incohérents et foireux.
Disgaea était un jeu en avance sur son temps, et en rupture avec de nombreux Tactical RPG de son époque. Faisant voler en éclat les concepts de niveaux en les réduisant à l’absurde (on peut monter tous les personnages au niveau 19 998), en faisant reposer la puissance des héros non pas tant sur leur niveau que sur la puissance de l’équipement, en cassant la linéarité du récit, en mélangeant la création des personnages à un système de capture de monstres, le titre de Nippon Ichi Software était un véritable laboratoire de tout ce que le Tactical RPG à la japonaise pouvait alors devenir, quitte à être un peu plus foutraque que le jeu dont il est la suite indirecte, le méconnu mais excellent La Pucelle Tactics. En permettant de redécouvrir quinze ans après ce moment pivot de l’histoire du jeu de rôle japonais, le très appliqué Disgaea 1 Complete est une véritable aubaine qui montre à quel point Nippon Ichi est l’un des rares éditeurs japonais soucieux de la préservation de son propre patrimoine.
Disgaea 1 reste le meilleur Disgaea, mais les autres épisodes mériteraient un même traitement.
Disgaea 1 Complete est donc un jeu que je vous recommande plus que formellement, que vous ayez été un amateur de la version PS2 ou que vous soyez un simple amateur de TRPG qui ne connait pas encore l’univers farfelu et foisonnant de Laharl et de ses compagnons.
Mais si je devais ajouter une microscopique dose de sel, car Pixel Post reste le site des losers grincheux, j’irai sur le terrain de ces jeux du catalogue de Nipon Ichi Software qui ne bénéficient pas (ou pas encore) du même soin que le premier Disgaea. Certes, Disgaea 2 et 5 ont été portés sur Steam, et on a même eu il y a quelques temps droit à un improbable portage du très secondaire Phantom Brave sur PC. Mais, à ce jour, l’essentiel des autres titres de la franchise reste éparpillé, orphelin de portages modernes et encore plus de remakes.
Quid de Disgaea D2, réinvention de Disgaea 1 à base d’inversion du genre des personnages ? Et de Makai Kingdom, spin-of intégrant un étrange système de gestion de bâtiments et de véhicules ? Et comment rejouer à l’exclusivité PS2 Soul Nomad, avec son scénario à embranchements qui vous permettait d’effectuer un massacre digne de la Genocide Route d’Undertale ? Et les très oubliés La Pucelle Tactics, Rhapsody, le visual novel Disgaea Infinite, et tous les autres ? Si tous ces jeux ne sont pas excellentissimes, et sont même pour certains assez mauvais (les jeux de plates-formes Disgaea sur PSP, par exemple), ils restent encore faiblement voire pas du tout accessibles sur les plates-formes modernes. La mort prochaine de la PS Vita, dont la boutique en ligne contient un nombre très important de l’époque « PS2-PS3-PSP » de Nippon Ichi, est un événement qui va envoyer dans les oubliettes numériques un grand nombre de ces titres. Souhaitons qu’à l’image de cet excellent Disgaea 1 Complete, l’éditeur poursuive sa politique de sauvegarde et de revalorisation de ses jeux les moins connus, et ne se contente pas de recycler les divers épisodes les plus connus du Disgaeaverse.
Disgaea 1 Complete a été testé sur Switch, via un code de téléchargement envoyé par l’éditeur
Pour quiconque a aimé Disgaea il y a une quinzaine d’années, cette version complete, enrichie d’une traduction en français, d’un scénario bonus et d’un nouveau moteur de jeu, est un indispensable. Pour ceux qui n’auraient jamais touché au moindre titre de la série ou qui se seraient sentis perdus par la profusion presque grotesque des systèmes de jeu du cinquième épisode, Disgaea 1 Complete se pose en excellent RPG, drôle et efficace, au contenu généreux et à l’univers attachant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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