En théorie, je devais vous rendre cette critique pour Devil’s Hunt hier. Parce que quand notre formidable RP arrive à avoir des copies de jeux un peu en amont de leur sortie, on essaye, dans la mesure du faisable, de sortir l’article pile au moment de la commercialisation du jeu. C’est toute une science. Mais le matin même du 17 septembre, deux patches (un de 12Go, un de 6Go) sont venus se greffer au jeu. Je me suis donc donné un peu plus de temps pour vous rendre mon avis, parce qu’on ne sait jamais, une bonne surprise est si vite arrivée ! Mais rien à faire : Devil’s Hunt est une des pires choses jamais abordées sur ce site par mes soins. J’en viens quasiment à regretter Elex et Bubsy.
Le pire, dans cette affaire, c’est que je n’ai pas demandé ce jeu par hasard, comme cela m’arrive souvent. Comme je le stipule dans ma biographie que vous retrouverez tout en bas de l’article accompagnée de mon bel avatar tiré d’une scène très gênante du film Revenge of the Nerds (1984), j’adore les jeux « double A », ces petits titres qui tutoient les gros budgets sans jamais les atteindre et qui misent sur le côté chaleureux d’une petite production sans avoir les moyens d’un blockbuster. Devil’s Hunt, sans se cacher une seconde d’être une sorte de Devil May Cry qui aurait piqué le système de combat de Batman Arkham City et le decorum de Darksiders, avec son équipe polonaise éditée par les russes de 1C company, cochait parfaitement les cases. Mais aux nombreux péchés de cette saleté de Devil’s Hunt, on peut d’office coller le crime de publicité mensongère. 20Go de patch n’y font rien : les screens de présentation du jeu ne sont clairement en rapport ni de près ni de loin avec l’objet hideux, raide et grotesque qui m’a été fourni.
Même l’enfer n’en voudrait pas
Je ne conçois pas que quiconque ait donné, de bonne grâce, le feu vert pour sortir Devil’s Hunt dans cet état. Disons le tout de suite, le jeu va au casse-pipe sans aucun espoir de rédemption. Pas écrit, buggé jusqu’au fond de la moelle, truffé d’assets Unity sans textures ou à peine retouchés, avec un framerate oscillant entre 15 et 20 FPS dès que le moindre personnage est à l’écran, le jeu n’aurait en l’état même pas fait illusion il y a 20 ans.
Cette ratatouille mélangeant de manière assez ridicule Max Payne (pour le côté quadra qui a tout perdu), Devil May Cry (c’est un démon) et une soirée baston sur le parking du Lidl n’aurait jamais dû se retrouver commercialisée. Je suis presque certain que les gens qui ont produit cette tentative de jeu vidéo n’ont absolument pas cherché à mal faire où à agir de manière cynique. Ils ont clairement manqué de temps, d’argent, de graphistes, de direction éditoriale.
Injouable et sans rythme, Devil’s Hunt se paye même le luxe, dans son enchaînement d’arènes minuscules où vous devez tabasser des monstres sans charisme ni textures, de proposer une pelletée de bugs de collision, la faute à des couloirs si étroits que le personnage principal peine souvent à s’y faufiler. Bref, je me refuse à donner un avis sur ce qu’aurait dû être ce titre, je ne peux simplement pas croire que c’était ce que ses concepteurs imaginaient au début du projet.
Pas méchant, mais ça reste une arnaque
Comme je le disais plus haut, Devil’s Hunt reste une arnaque complète. Les screenshots commerciaux du jeu, et dans une certaine mesure ses trailers de plus en plus courts et douteux à mesure que la sortie du jeu approchait, ne correspondent en rien à ce que vous aurez en main. Mon PC un poil ancien mais relativement correct (il fait tourner MGS V en ultra, pour ce que ça vaut) a plusieurs fois menacé de rendre l’antenne, faisant geindre processeurs et ventilateurs à la moindre cinématique vierge de toute action et de tout décor du jeu. Toutes les configurations possibles ont été essayées : mode fenêtré, baisser le niveau de détail, changer la résolution, rien n’y a fait, le jeu baignait toujours dans la même hideur, quand il ne plantait pas tout simplement (textures étirées en tout sens, son décalé avec l’image, voire plus de son du tout).
Je me demande ce qui se passe dans la tête d’un développeur quand, à l’heure de la deadline, on lui demande de shipper un jeu qui en est à peine encore au stade de pré-alpha, et qu’il sait que des gens vont forcément se faire arnaquer par les concept art pas dégueulasses de son titre. Sans doute rien de bon, quand son propre salaire et la survie de son studio est en jeu.
Sans aucune surprise, les premières reviews de clients sur Steam sont catastrophiques : « le scénario (note : je n’ai pas été au bout moi-même) s’arrête brutalement sans raison », « les animations sont horribles », « adaptation catastrophique » (le jeu adopte une série de romans de l’auteur du studio), « monotone, incomplet et rigide »… Les rares critiques positives viennent de gens indulgents au regard du faible coût du jeu (« seulement » 25€ au lancement). Mais presque tous soulignent l’écart grossier entre ce qui a été présenté et le produit fini.
Ce jeu aurait-il pu être sauvé ?
Une autre question m’est venue pendant que je souffrais sur Devil’s Hunt : est-ce qu’il y avait quelque chose à sauver dans ce qui se pensait initialement comme le Devil May Cry polonais ? J’aimerais penser que oui, mais j’ai beau retourner le machin dans tous les sens, je pense que pour cela, il aurait fallu un éditeur d’une autre trempe que 1C Company, qui a visiblement très mal accompagné le développement du jeu.
Nous sommes en 2019, un jeu ne peut décemment pas commencer par un tutoriel incompréhensible suivi de deux heures de marche au ralenti dans des décors vides, pour déboucher dans une série d’arènes reliées entres elles par des couloirs minuscules. Piquant des bouts à des dizaines d’autres titres sans jamais afficher le moindre début de propos ou de gameplay cohérent, Devil’s Hunt a manqué de direction, de clairvoyance, d’une idée forte qui aurait permis de faire sortir des points originaux ou notables et pas simplement « c’est Devil May Cry mais avec le gameplay de parpaings qui se tapent dessus en rythme ».
Même la direction artistique visiblement prévue par le titre n’évoque rien de particulier, sinon un megamix impersonnel de tous les jeux de ces dix dernières années se déroulant en enfer. Du Canada Dry de Darksiders versé sur un plein bol de The Evil Within. Tout dans Devil’s Hunt semblait voué à la catastrophe, et il aurait fallu une exécution absolument exemplaire pour qu’on oublie ces emprunts lourdingues et peu inspirés. Vous aurez compris que ce n’est pas le cas. Si Devil’s Hunt illustre bien quelque chose, ne serait-ce qu’en creux, c’est que développeur et éditeur sont deux métiers différents. Et que le second a clairement manqué de clairvoyance pour oser nous livrer un tel machin.
Devil’s Hunt a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Devil’s Hunt est au jeu vidéo ce que la photo d’un hamburger sur un menu de fast food est à ce que vous mangerez réellement : c’est moins bien que ce qui était affiché, malgré des espérances déjà minimes. Mais à ce stade, on flirte avec la malhonnêteté intellectuelle. Visiblement conscients de sortir un produit dans un état proche de la catastrophe Agony (pour rester dans le même registre), les développeurs de chez Layopi patchent le jeu comme des brutes, sans qu’aucun effet visible sur le rendu final ne me semble apparaître. Ce genre de grand écart entre le visage marketing d’un jeu et ce que vous avez concrètement entre les mains est devenu assez rare pour être noté comme un événement intéressant de l’année vidéoludique 2019, mais quoi qu’il arrive, il ne mérite pas la trentaine d’euros que Devil’s Hunt réclame pour faire ramer votre PC et vous coller une migraine carabinée.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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