A l’occasion de la sortie de Holy Fury, dernier DLC pour le vénérable Crusader Kings II de Paradox, je me suis dit que plutôt qu’un test, je me lancerai dans une déclaration d’amour passionnée au simulateur de vie médiévale le plus avancé de son temps. Deus veult !
Avant que vous lisiez ce très bon article je vous invite tout de même à aller faire un tour du côté de mon test sur Crusader Kings III sorti en 2020. Spoiler : c’est de bon.
Petit point historique avant de commencer. Crusader Kings II est un jeu de gestion médiévale, avec éléments de jeu de rôle, où, plutôt que de mener un pays à la gloire, c’est une dynastie que vous contrôlez. C’est-à-dire que vous pouvez commencer comte d’un petit territoire insignifiant tout en bas de la chaîne féodale du Saint-Empire, et après plusieurs générations de complots et de mariages, vous emparer du trône de l’Empire. Le jeu a été le premier à laisser tomber le concept de 2 ou 3 grosses extensions pour adopter une nouvelle politique de DLC de Paradox, basée sur des contenus payants réguliers (3 par an en moyenne) accompagnés de patchs gratuits améliorant grandement le jeu. Avec Holy Fury, sorti il y a peu, le jeu a ainsi 15 DLC. Certains rajoutent carrément des bouts de carte (comme le sous-continent indien), d’autres étoffent des mécaniques (Way of Life qui permet plus de roleplay de ses personnages) ou rajoutent des choses totalement nouvelles (Reaper’s Due qui rajoute les épidémies, et les hôpitaux). En 6 ans, Crusader Kings II est devenu totalement méconnaissable, et si on en croit les bruits de couloirs, les développeurs atteignent les limites de ce qu’ils peuvent faire sans réécrire totalement le code du jeu. Peu importe car Crusader Kings II est désormais le pinacle de son studio, si ce n’est de la forme vidéoludique elle-même. Laissez moi vous convaincre.
Avant de commencer, j’aimerais détailler les nouveautés du DLC Holy Fury, qui est certainement l’un des contenus téléchargeables les plus ambitieux du jeu. Comme son nom l’indique, Holy Fury se concentre pas mal sur la religion. Il revoit notamment le fonctionnement des Croisades et des guerres religieuses. Les païens ont reçu un peu d’amour puisque lorsque vous les réformez, il est possible de personnaliser la religion. Également, les personnages particulièrement vertueux pourront être canonisés et les autorités religieuses devront désormais approuver votre couronnement comme Empereur ou Roi. Pour continuer sur cette logique, vous pourrez désormais inscrire votre lignée dans l’Histoire avec l’introduction du concept de Bloodline qui représente l’héritage d’un particulièrement grand homme (ou femme) de votre dynastie. Cerise sur le gâteau, Holy Fury ajoute également de nouveaux modes de jeu pour commencer votre partie : le mode « éclaté » qui donne à tout le monde un seul comté ou duché et le mode random qui modifie totalement la génération des cultures, religions, noms et tout pour une partie totalement nouvelle et étrange. Comme toujours, le DLC est accompagné d’un patch gratuit qui rééquilibre deux trois choses et améliore la qualité de l’interface. N’ayant pas pu explorer tous les aspects du DLC de par sa taille, je peux quand même vous dire qu’il est indispensable, ne serait-ce que pour le mode random qui change pas mal la dynamique du jeu. L’amélioration des religions est également un point positif, même si je n’ai pas eu de Croisade à faire pour voir les différences.
Affaire de familles
Paradox sont des habitués de la Grande Stratégie. On pourrait même dire qu’ils en sont les maîtres incontestés, souvent imités, jamais égalés. Avec leurs licences Europa Universalis et Hearts of Iron, ils ont prouvé qu’ils savaient faire des jeux aux mécaniques complexes, reflétant avec une certaine précision des faits historiques et sociologiques de l’époque. Que ce soit l’Age des Découvertes dans Europa, ou la Seconde Guerre mondiale dans Hearts of Iron, les jeux Paradox ont ça en commun que l’on contrôle un pays et son destin et que celui qui en est le leader n’a que peu d’importance, si ce n’est deux trois augmentations, ou baisses, de stats ou juste le reflet d’une idéologie. Crusader Kings II aurait pu adopter cette démarche, vous permettant de contrôler un royaume médiéval à travers 400 ans d’Histoire, sans trop se soucier de qui le dirige.
Mais voilà, les petits gars de chez Paradox connaissent leur Histoire et savent très bien qu’au Moyen-Age, les Etats-Nations n’existaient pas. La France était la France uniquement car il y avait un Roi de France. Il n’y avait pas de « culture » française, de valeurs communes qui tendent à unir un peuple sous le concept de nation. Et c’est ainsi qu’est née l’idée que dans Crusader Kings II, on ne jouerait pas un pays, mais une dynastie. Ce que l’on contrôle dans CKII n’est pas un territoire, mais bien une famille, dont l’objectif principal est d’avoir le plus de titres, et d’accumuler richesses, pouvoirs et vassaux. Et donc ce qui aurait pu être un simple jeu de Grande Stratégie devint un hybride entre gestion, stratégie et surtout jeu de rôle. On se prend à jouer le rôle de notre personnage, à réagir aux évènements en fonctions de ses stats. Si votre gars a de bonnes stats guerrières, ça sera le moment d’étendre votre Royaume par la force brute, tandis qu’un roi plus orienté diplomatie profitera de ses talents pour tisser un réseau d’alliés, et surtout, saura brosser ses vassaux dans le sens du poil.
Car la vie de roi féodal n’est pas une vie de toute puissance. La monarchie absolue telle que l’entendait Louis XIV n’existe pas encore, et le Roi n’est que le dernier maillon d’une chaîne de personnages plus ou moins puissants. Votre royaume ne tient que par un équilibre des forces qui doit être constamment géré. Faites attention à vos vassaux, en particulier vos ducs, pour éviter qu’ils deviennent trop puissants et se prennent de la drôle d’idée de tenter des choses comme vous piquer la couronne. La force du jeu est que, par ses mécaniques, ici une retranscription détaillée du système féodal, il arrive à donner corps à des PNJ qui ne sont que des agglomérats de stats et des portraits moches. Très vite, on en arrive à préférer un certain vassal plutôt qu’un autre pour des raisons pas trop claires, tandis qu’on déteste un duc car il est un peu trop gourmand et ne cesse de demander plus. Au fil de la partie, Crusader Kings II devient ainsi un joyeux bazar de comtes, ducs, rois et empereur, sans oublier les figures religieuses comme le Pape, qu’il faudra savoir gérer avec tact et diplomatie. Ce n’est pas qu’un jeu de gestion c’est littéralement un simulateur de vie, et en ça CKII est unique.
L’Histoire et les histoires
Si Crusader Kings n’était qu’un génial générateur d’Histoire au Moyen-Age ça serait déjà pas mal. Mais le jeu est également un recueil de petites histoires qui donnent une ambiance certaine au titre. Les évènements aléatoires étaient au début un peu limités : partie de chasse, banquet, ce genre de choses, et avaient tendance à se répéter. Mais au fil des extensions et de patchs, les équipes de Paradox ont étoffé ce concept. Ainsi, vous pouvez par exemple décider de partir en pèlerinage, dans une longue chaine de quêtes à embranchements. Ou alors tenter de découvrir les secrets de l’immortalité, ou peut-être enquêter sur les Grands Anciens. Vous pouvez même rejoindre une société secrète et ainsi obtenir prestige, pouvoirs, dont certains sont même parfois surnaturels (le jeu est très fort à mêler Histoire et superstition), mais attention à ne pas se faire découvrir par les autorités religieuses si vous vénérez Satan, le bûcher, ça brûle. Après 400h, le jeu me surprend encore parfois (moins qu’avant forcément) avec des évènements drôles, dramatiques, étranges et mystiques. Crusader Kings est imprégné de l’amour qu’ont les équipes de Paradox pour la petite histoire dans la Grande mais aussi de leur humour parfois potache.
Le plaisir de jouer son personnage entre évènements et relations interpersonnelles se mêle au plaisir plus classique des jeux Paradox : l’Histoire alternative (et d’ailleurs Holy Fury, le dernier DLC, vous permet d’y aller encore plus avec ses options de démarrage dans un monde totalement aléatoire). Si un Civilization est plus abstrait dans sa manière d’aborder l’Histoire, les titres de Paradox partent d’une situation historique avérée (le départ de la partie) pour ensuite évoluer en fonction de ce que décident le joueur et l’IA. Cette dernière est encore plus importante que dans d’autres jeux du développeur. Comme il ne s’agit pas de pays « abstrait » mais de personnages, on a l’impression de vivre dans un monde vivant qui réagit à ce que l’on fait. Évidemment, tout ceci est régi par des nombres mais l’illusion est parfaite et il est presque aussi agréable de lancer le jeu en mode spectateur pour voir ce que l’IA va faire que d’y jouer. Je ne compte pas le nombre de posts sur le subreddit de Crusader Kings qui s’émerveillent, ou rigolent, de situations totalement absurdes et épiques auxquelles une partie peut aboutir.
Les jeux Paradox, certains plus que d’autres, ont également l’immense avantage d’être moddable à l’infini. Le moteur de jeu est directement modifiable via un simple éditeur de texte, et toutes les variables peuvent être modifiées. Et c’est ainsi qu’est apparu ce qui est probablement le meilleur jeu Game of Thrones possible : le mod Crusader Kings 2 : A Game of Thrones. Les mécaniques étaient déjà là, les moddeurs n’ont plus eu qu’à les étoffer et modifier la carte du jeu pour refléter le monde de Westeros. Oubliez les très mauvais RPG ou jeux de stratégie récents qui ont tenté de surfer sur le succès de la série, le vrai jeu GoT est ici avec tout ce qui va avec : les longs hivers, les dragons, les complots, les guerres épiques, les Marcheurs Blancs, le Mur et j’en passe. C’est pratiquement un nouveau jeu. En plus des mods, CKII est le premier jeu qui vous permet officiellement d’exporter votre partie sur le titre suivant dans la chronologie, en l’occurrence Europa Universalis IV. Il est ainsi possible de faire une campagne complète de CKII avec tous les DLC (donc de 769 à 1453) et de continuer votre partie sur EU IV jusqu’à 1821. Et si vous êtes vraiment hardcore, les fans ont évidemment fait un convertisseur EU IV vers Victoria II pour continuer jusqu’à 1933 (il n’est pas très intéressant de continuer sur Hearts of Iron IV, bien que le convertisseur existe, le jeu étant vraiment taillé pour refléter la Seconde Guerre Mondiale et est moins souple quand il s’agit de gérer une histoire alternative). Avec 2 jeux, vous pouvez jouer durant plus de 1000 ans d’Histoire. Et peu de titres arrivent à faire ça.
Donc voilà pourquoi Crusader Kings II est une petite merveille, et facilement le meilleur jeu de cette décennie. Ce n’est pas qu’une feuille Excel glorifiée, comme on a tendance à parodier les jeux Paradox, c’est une œuvre qui arrive à simuler le monde médiéval tout en ayant une âme et énormément de personnalité. L’avenir de Crusader Kings II est incertain, les développeurs ont récemment reconnu qu’il devenait très difficile de travailler sur le jeu après 6 ans de changements plus ou moins importants, et Holy Fury a un goût de fin de règne avec ses options les plus bizarres, comme commencer dans un monde totalement alternatif. Il n’est même pas sûr de voir un Crusader Kings III, qui souffrirait de la comparaison avec son aîné puisqu’il sera forcément moins complet et atteint de ce qu’on appelle le syndrôme des Sims : retirer des features qui étaient dans le jeu précédant, pour revendre des DLC. Qui sait, peut-être que Paradox passera un certain temps à refaire le jeu avec tous ses DLC pour le vendre comme un CKII « ultime » qui fera une meilleure base pour d’autres extensions, ou alors ils se contenteront de garder le jeu tel quel, comme un témoignage de leur âge d’or. En attendant, nous avons toujours leurs autres titres, et surtout Stellaris qui, avec son contexte totalement fictif, offre aux équipes de Paradox un moyen d’exprimer totalement leur créativité de manière la plus débridée possible, et franchement moi ça me va. Et si vous voulez savoir comment se joue une partie de Crusader Kings II le bon Veltar vous explique tout ça.
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
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