Il est né le divin enfant, Crusader Kings III est arrivé, et nul doute qu’il a de gigantesques bottes à remplir. A-t-il réussi ? Est-il le digne successeur du jeu qui a fait le Paradox moderne ? Tant de questions auxquelles je vais m’empresser de répondre.
Comme je le disais en décembre 2018 dans mon test/déclaration d’amour à Crusader Kings II lors de la sortie de Holy Fury : Paradox était face à un dilemme. Le jeu n’était quasiment plus modifiable, le moteur bien trop limité pour rajouter ce qu’ils voulaient rajouter (par exemple : si la Chine dans le DLC Jade Dragon est en-dehors de la map c’est pour la bonne et simple raison que le jeu s’effondrait quand ils ont tenté de rajouter la Chine comme nouvelle zone), et était un agglomérat de mécaniques qui partaient dans tous les sens. A l’époque, un Crusader Kings III n’était pas certain. En effet, comment suivre un jeu développé sur six ans, augmenté de dizaines de DLC et de patchs gratuits, sans donner l’impression de retirer du contenu pour mieux vendre des DLC (ce que j’appelle le syndrome des Sims) ? Arrive le 19 octobre 2019 et l’annonce d’un troisième opus lors de leur convention. Et au vu de ce que le studio a annoncé au fil des mois, il semblerait bien qu’ils aient bien compris le souci, et soient décidés à rendre le jeu aussi proche de son prédécesseur que possible. Succès ? Eh bien, si vous le voulez bien, je vous invite à prendre ma main et à plonger dans les méandres du monde médiéval. Attention aux ombres, on ne sait jamais ce qu’elles peuvent cacher.
Si votre dos gratte c’est juste ma dague pas d’inquiétude
Je ne vais pas détailler l’intégralité du gameplay de Crusader Kings, je vous oriente vers mon test du second opus pour ça. Si vous avez la flemme, ce que je peux comprendre, même si c’est vexant, je vais vous résumer le principe : dans Crusader Kings vous jouez une dynastie médiévale. Comte, Duc, Roi, Empereur, à vous de choisir. Votre objectif sera de pérenniser votre lignée, mais aussi d’étendre votre prestige et statut par l’obtention de terres, de titres et de gloire. Le tout en évitant les coups de couteau dans le dos de vos vassaux, la colère du Pape ou de votre Seigneur Lige, ou tout simplement votre propre inaptitude en allant chasser. Basiquement Game of Thrones dans l’Europe médiévale et sans plot twists claqués, dieu merci.
L’objectif avoué de Paradox est de faire un simulateur de vie, plus qu’un jeu de grande stratégie, vous immergeant dans l’ambiance, et en vous entourant de personnages avec qui vous développez des relations de haine, d’attachement et de rivalité (le tout sans écriture ou presque, juste par les mécaniques). A titre d’exemple, dans une de mes parties pour ce test, j’ai développé une véritable haine envers un personnage, mon seigneur lige. Je voulais un de ses titres, plus que tout, et il a été la cible de toutes mes manigances pendant deux générations (il a vécu longtemps en plus) jusqu’à ce que finalement j’arrive à lui chiper le Duché. A l’inverse, je n’ai pas voulu trahir un autre Duc dans une autre partie, un membre de ma famille, même si je pouvais revendiquer son Duché, car il a toujours été là pour m’aider dans mes guerres, et était globalement un gars sûr. Je pourrais citer des dizaines de personnages comme ça qui m’ont marqué juste par leurs interactions avec moi et ma dynastie au fil des 50 et quelques heures que j’ai déjà derrière moi dans mon test. Mon fils qui essaya de m’assassiner 4 ou 5 fois avant de finalement mourir dans des geôles à l’autre bout de l’Europe, ma fille brillante mais sadique et parricide qui eut le plus grand mal à tenir le trône durant son règne, mon conseiller wingman sûr de mes escapades nocturnes pour flatter de la donzelle à la taverne, mon comte ayant fait vœu de chasteté que j’ai forcé à coucher avec quelqu’un via l’arbre de compétences séduction pour avoir un héritier mais qui finit par se suicider de honte (non sans avoir légitimé son bâtard peu de temps avant).
C’est ce qui est assez fou dans Crusader Kings III : malgré un certain manque d’évènements et d’ambiance (on revoit assez vite les mêmes notifications et chaines de quêtes), le jeu arrive à vous immerger dans son contexte et très vite on se surprend à être sincèrement attaché, ou à détester des personnages, juste par les mécaniques du jeu. De nombreux tests ont parlé de « générateur d’histoires » et c’est clairement le cas. Crusader Kings III, c’est un livre qui ne demande qu’à se remplir de l’histoire de votre dynastie, faite de trahisons, de triomphes, mais aussi de revers et de drames. Par exemple mon personnage, héritière du trône de Francie Occidentale immédiatement trahie par ses nobles à sa prise de pouvoir, se retrouvant destituée, avec seulement un titre de duché et de comte et qui ne fut plus que l’ombre de ce qu’était l’influence de feu son père. Heureusement, avant la révolte, elle avait réussi à marier ses filles en matrilinéaire (donc les enfants du couple deviendront de la dynastie de la mère) aux héritiers de celui qui deviendra Empereur de France. Maintenant elle attend, consolide le peu de pouvoir qui lui reste, et compte sur ses petits enfants pour prendre sa revanche, bien longtemps après sa mort, lorsqu’ils monteront sur le trône de l’Empire de France. Dans ma tête, elle élève ses petits enfants dans la haine de ceux qui l’ont trahie pour le jour de la revanche. Le jeu ne vous dit pas tout ça, c’est vous qui bâtissez cette histoire, ce drame à la fois personnel et politique, et c’est clairement la force du titre et si tout le reste ne suivait pas, il lui resterait au moins ça.
« Une suite avec autant de contenu que le précédent ? Fou » EA et Maxis – 2020
Car Paradox aurait pu choisir la voie de la simplicité et se contenter de proposer plus ou moins la même chose que le II avec un léger ravalement de façade et vendre ça à 60€ et basta. Mais on n’est pas chez EA et Maxis ici, on est là pour proposer quelque chose okay ? Le premier problème auquel s’est attaqué Paradox pour Crusader Kings III c’est l’accessibilité. Le second opus souffrait d’un gros manque de clarté et n’était pas accueillant du tout pour les nouveaux, en particulier avec la demi-tonne de DLC qui venaient avec leurs mécaniques, leur interface et tout le reste. Crusader Kings III reprend donc à la base. L’interface était foisonnante et envahissante ? On change tout. Les menus sont devenus clairs, simples, propres, chaque action est très précisément décrite, et vous pouvez profiter de la meilleure invention de la Suède depuis les boulettes suédoises d’Ikea à 6€ le kilo : les infobulles dans des infobulles. Paradox introduit ce concept merveilleux où tu peux ouvrir une autre infobulle dans ton infobulle pour plus de précisions sur un concept de jeu. Le tutoriel était décoratif et n’apprenait rien ? Faites une campagne tuto (comme Imperator Rome) pour apprendre les concepts de base, et introduisez un système de notifications contextuelles qui t’avertit des problèmes de ton domaine et te donne des pistes pour avancer. Globalement, le jeu est bien plus accueillant pour ceux qui n’ont jamais touché à Crusader Kings II, ou même à un Paradox, sans rien perdre de sa profondeur, quoi qu’en pensent les deux/trois rageux qui pensent que le jeu est devenu « ouin ouin casus ouin Deus Vult chaipas quoi »
Et donc le syndrome Sims est-il présent ? Le jeu ne perd-il pas des choses pour mieux les vendre en DLC ? Eh bien non. De base, quasi toutes les mécaniques du II complet sont dans Crusader Kings III : date de départ 867, Musulmans et Païens jouables, sous-continent Indien, mécanique de mode de vie (ici en encore plus développé, proposant carrément des arbres de compétences qui améliorent ton personnage), bonus de dynastie, religions personnalisables : tout y est. Ou presque. Par exemple, il n’est pas possible de jouer le peu de Républiques Marchandes de l’époque, comme Venise. Paradox s’est justifié en disant qu’ils n’étaient pas satisfaits de ce que proposait le gameplay et que la possibilité viendrait plus tard. Considérant la masse de contenu au lancement, probablement un des Paradox les plus complets day one, ce n’est qu’un détail et on peut bien leur accorder un DLC déjà vu. Puis, qui sait, peut-être que ça sera un patch gratuit. Mais en l’état, nous n’avons pas affaire à un Crusader Kings 2.5 amputé de toutes ses possibilités pour le bien de vendre des DLC. La démarche d’élagage de Paradox fonctionne à merveille et le jeu n’en devient que meilleur. Bien sûr, il y a certaines choses qui sont un peu frustrantes, par exemple les événements qui se répètent, mais ce n’est pas très grave et de toute façon, ce n’est pas le principal. Et en plus le jeu se paye le luxe de ne pas être moche, les portraits animés et évolutifs des leaders sont un plaisir pour les yeux, la carte est détaillée et agréable, et le moteur fait des merveilles. Forcément ce n’est pas un Total War, mais le jeu est moins austère et flatte bien plus l’œil que son prédécesseur.
Donc le jeu est plus accessible mais n’en est pas pour autant facile. Crusader Kings III peut être cruel, les retournements de situation soudains et inattendus, et vous pouvez en quelques heures voir votre partie ruinée. Comme cette fois où, vassal de la France attaquée par une Suède OP, je pensais juste changer de Seigneur, mais non je me suis retrouvé dégagé de mon territoire. Après moult complots, je récupère le peu de pouvoir que je peux en chipant le trône d’Aquitaine… pour jouer un personnage stérile, sans héritier de ma dynastie. Fin de partie, on remballe. Ou souvenez-vous de mon ancienne Reine de Francie Occidentale plus haut. Son petit fils était bien héritier de l’Empire de France… avant de mourir jeune avec seulement une fille. Or les règles de l’Empire interdisaient aux filles d’hériter. Son petit fils a finalement réussi à s’emparer de l’Empire, non sans compter sur son effondrement après de nombreuses guerres de successions. Il faut faire attention sans cesse à sa partie, et le système de notifications aide grandement, même si on regrette par exemple qu’il n’y ait pas de notifications lorsqu’une faction se forme contre toi.
Crusader Kings III a été testé sur PC, via une clé reçue par l’éditeur
En bref : Crusader Kings III est un immense succès. Foisonnant, généreux, malin, il succède parfaitement à son prédécesseur en se permettant le luxe d’être à la fois plus accessible et plus profond par certains aspects. De plus, Paradox évite avec brio le piège des Sims en proposant un jeu presque aussi complet que le II avec DLC, manquant juste de quelques mécaniques qui viendront plus tard. Si on peut lui reprocher deux trois petites erreurs d’interface, un certain manque d’événements et de textes d’ambiance, et un angle un peu trop guerroyage, c’est la base la plus solide sur laquelle bâtir que Paradox a sorti, et leur politique de DLC devrait faire, une fois de plus, des merveilles. En attendant, et c’est suffisamment rare pour être noté, le jeu est déjà agréable et on attend juste les contenus payants pour le plaisir d’y retourner d’ici quelques mois.
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024