Mis au volant du plus beau combi du coin (le seul, aussi), on est prêt à avaler les kilomètres toutes fenêtres ouvertes le long des calanques, à faire hoqueter le frein-moteur pour monter les côtes, à prendre nos plus beaux selfies devant les ruines de l'industrie capitaliste. Un petit bout de la vanlife, avec les quelques encrassements que ça inclut, c'est ce que nous offre le joli Caravan SandWitch.
Vu la rapidité de livraison, on pourrait presque parler de circuit court : après l’avoir officiellement annoncé en mai 2024 à l’occasion de l’AG French Direct, il n’aura fallu que quelques mois d’attente au studio Plane Toast pour nous laisser les clés et le sapin fraîcheur suspendu au rétroviseur de Caravan SandWitch. Un délai réduit pourtant précédé de plusieurs années de travail, depuis la fondation du studio montpelliérain par Emi Lefèvre et Adrien Lucas en janvier 2022, accompagnée de la signature de Dear Villagers à l’édition ; et encore avant cela, un concept qui a vu ses premières ébauches se dessiner dès 2018, alors que ses fondateurices n’avaient pas encore pleinement commencé leurs études supérieures. N’ayant pas froid aux yeux (ni ailleurs, il fait chaud à Montpellier), les deux compères se lanceront finalement dans un monde ouvert en 3D pour ce qui deviendra leur première production commerciale. Le trailer diffusé lors de l’événement dédié aux jeux français faisait arriver l’été avec un peu d’avance, direction les paysages du Sud et une promesse d’exploration au calme, sous un ciel bleu et un soleil dur, tout ceci teinté du mystère de bâtiments abandonnés et de la sorcière éponyme. L’été est désormais tout juste passé : Caravan SandWitch peut-il nous faire tout plaquer pour repartir flâner à l’ombre de sa carlingue jaune ?
Dunes de sabbat
Sauge retourne sur Cigalo, la planète où elle a grandi, après avoir reçu un signal d’alerte : le vaisseau de sa sœur disparue depuis plusieurs années a émis un message de détresse. Sur place, elle retrouve le village qu’elle a quitté, ainsi que ses habitants. De moins en moins nombreux, ceux-ci se débrouillent pour survivre avec les moyens du bord et dans la meilleure ambiance possible. Depuis que le Consortium, source des industries locale et galactique, a délaissé la planète et abandonné ses infrastructures bétonnées au désert grandissant il y a près de 40 ans, iels cultivent leur indépendance avec un enthousiasme teinté de préoccupation : tous dépendent encore de ressources seulement trouvables sur les stations orbitales, et la gigantesque tempête qui a acté le départ du Consortium ne cesse de gagner du terrain. Après avoir récupéré les clés du van d’une vieille amie, Sauge se replonge dans un quotidien qu’elle avait oublié et va rendre service à ses voisins du mieux qu’elle peut, tout en tentant de découvrir ce qui est advenu de sa grande sœur, Garance.
Mais avant tout : apéro ! Si l’une des premières quêtes secondaires consiste en effet à récupérer auprès des uns et des autres les ingrédients essentiels aux festivités de 11h et 18h, tapenade comprise, c’est que Caravan SandWitch revendique sa couleur locale. Avec parcimonie, lavande, cigales, roches blanches taillées à la serpe et autres peuchère parsèment l’ambiance générale et inscrivent cette production indépendante dans un mouvement plus global de jeux qui s’appuient sur l’évocation plus ou moins forte d’une culture et d’un environnement réel identifié (Dordogne, Dungeons of Hinterberg, bientôt Pyrene). Volonté sincère de s’inspirer de son quotidien direct tout autant que stratégie commerciale (se démarquer par le côté tourisme) et économique*, il faut avouer que ça fonctionne pour le coup assez bien, notamment car le studio ne cherche pas à en faire trop et qu’il teinte cet ancrage territorial de thématiques universelles. Ici, c’est un habillage de science-fiction qui vient donner de l’ampleur au retour au bercail, avec l’étiquette « Provence-punk » fièrement diffusée dans un geste marketing accrocheur.
*il y a encore peu, un des critères pour être éligible au crédit d’impôt jeu vidéo (une aide financière publique) tenait à l’inspiration à partir d’une « œuvre reconnue du patrimoine historique, artistique et scientifique européen » ; aujourd’hui, ce sont plus vaguement des « critères culturels » qui sont mentionnés.
Gare au van pas las
Là où Caravan SandWitch s’éloigne de l’esprit « on est deux à faire un jeu dans le garage de nos parents », c’est qu’il ambitionne d’intégrer un autre sillon, du jeu vidéo grand public cette fois : celui des mondes ouverts post-apo – avec un twist, évidemment. De taille modeste, cette zone de jeu s’ouvre une fois passée l’introduction et se laisse parcourir dans son entièreté dès le début. Au départ, on navigue à vue et grâce au radar de notre van, le temps de griller les brouilleurs qui empêchent la cartographie des environs. Ce mélange entre balade et exploration se fait sous le signe de la fluidité, à pied (retour rapide au véhicule, pas de dégâts de chute) comme au volant (c’est plus un 4x4 qu’un van), et on prend rapidement plaisir à parcourir ces chemins poussiéreux, d’autant que la palette très colorée du titre encourage vraiment à se promener. On va ainsi, de complexe grisâtre en bâtiment morose, à la découverte de ce qui a été abandonné, en ramassant au passage tous les composants électroniques possible, lesquels aideront à fabriquer le prochain gadget qui s’ajoutera à notre panoplie ; un par chapitre, il y a cinq chapitres, faites le calcul. Aucun combat à l’horizon, l’urbex se fera sans autre heurt qu’une chute occasionnelle et le temps de trouver quel chemin emprunter, ce qui n’est jamais bien long ni compliqué. On vadrouille agréablement sous cette lumière éclatante, grâce à des architectures qui nous font descendre bas et monter haut dans un même mouvement, avec souvent une belle vue en récompense.
Au fur et à mesure que les jours passent et que les allers-retours hors de la ville se multiplient, l’étroitesse de la zone finit pourtant par amener un sentiment de lassitude et dévoile ses limites inhérentes. Pour pallier ça, on est encouragé à revenir dans les infrastructures déjà visitées pour en découvrir tous les secrets grâce aux gadgets débloqués depuis notre dernier passage, ce qui a un peu de mal à prendre. Surtout, une téléportation est mise à disposition, une option de confort bienvenue qui signe également la difficulté du jeu à faire durer le plaisir de conduite et d’exploration tout au long de l’aventure (un peu moins de 10 heures en prenant son temps). Il faut dire aussi qu’une part importante de la virée prend place dans un désert, forcément un peu redondant visuellement, loin de l’enchantement de la calanque en introduction ou du village bardé de détails, et difficile à tordre pour donner un level design inattendu.
Elle s’insinue partout
Caravan SandWitch ne se contente toutefois pas de son pitch et son ambiance qui sentent bon le thym citron, et prend soin de développer une narration aux ressorts relativement fins. Si les quêtes, en particulier secondaires (et éphémères pour certaines), consistent le plus souvent à ramener des objets aux personnes croisées sur notre chemin, c’est le contexte de ces missions qui importe plus que ce qu’on y fait concrètement. Le quotidien des voisin·es est celui d’une décroissance généralisée, où la volonté d’autosuffisance bute contre les limites fixées par une société industrialisée disparue. En gros, les machines tombent en panne, les graines appauvrissent la terre, alors on fait avec ce qu’on trouve dans les débris des géants pour espérer s’en sortir. L’échange et le don de soi, qui viennent avec la responsabilité de conduire le seul véhicule encore en fonctionnement dans les parages, sont donc de mise, et les échanges entre les personnages, écrits avec une spontanéité enjouée, font état de problématiques liées à la coexistence des individus entre eux, leurs actes et l’impact que tout ce beau monde a sur ce qui l’entoure. Et pour ne rien gâcher, le jeu fait preuve d’une belle représentation de personnages LGBT+ (Papa et Papou <3) et de personnages féminins moteurs.
Ces thématiques, elles sont abordées avec légèreté et humour mais toujours d’un œil aiguisé, que l’univers de science-fiction teinté de fantastique met en valeur, entre ses robots conscients et ses grenouilles humanoïdes. À cela s’ajoute en creux un récit de passage à l’âge adulte, qui voit Sauge porter un regard nouveau sur un train de vie qu’elle redécouvre et auquel on s’attache à ses côtés. Notre implication envers elle tient en partie à la façon dont est distillée cette narration, qui multiplie les observations lors des phases de crapahutage. On en apprend alors plus sur elle, sur l’histoire des lieux visités et le regard qu’elle porte dessus, ce qui permet la cohésion d’un univers autour du récit raconté. Dans le même ordre d’idées, les scènes hors champ, constituées d’une poignée de dialogues sur fond noir, fonctionnent bien, tout comme les ellipses qui séparent chacun des chapitres, car elles apportent assez de matière pour combler les trous.
Il est d’autant plus dommage qu’à l’instar d’une expérience de jeu qui a du mal à s’épanouir sur la durée, une partie des éléments narratifs ne convainquent pas tout à fait non plus passé un certain point. L’aura de mystère apportée par la présence des sorcières est notamment un peu confusément saupoudrée et, au contraire des échanges complices entre les personnages, on sent une faiblesse de ce côté du récit. Et comme en écho aux toutes premières minutes de la partie, qui tentent d’expliquer en quelques mots la motivation de Sauge d’une façon maladroite, la fin du jeu est assez cafouilleuse et expédiée. Ce n’est pas rendre hommage aux agréables heures précédentes que de terminer sur cette note, mais pas de quoi dissiper le sort pour autant.
Caravan SandWitch a été testé sur PC (Steam Deck) via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PS5 et Switch.
Caravan SandWitch, c'est un scope réduit au service d’une expérience agréable. Sur plusieurs aspects, le jeu du jeune studio Plane Toast aurait pu être plus affiné, et c'est sur la longueur que le sable finit par entrer un peu dans les yeux. Rien qui n'éclipse, loin de là, toutes ses belles qualités, sa prise en main qui permet une exploration fluide et de très jolis moments de narration en premier lieu. Pas de mirage à l'horizon, donc, l'oasis est bien là.
Les + | Les - |
- Une ambiance très réussie, graphismes et sound design réunis (bravo les cigales) | - La zone de jeu montre ses limites passée la moitié de l'aventure |
- La narration assez fine dans ses échanges les plus communs... | - ... moins quant à sa quête principale |
- Maniable et tout en fluidité | |
- L'expérience de jeu globale est très confortable |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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