Vous savez ce qui est appréciable quand on doit donner son avis sur une œuvre ? La binarité. Le jeu est bien, on donne un avis positif, le jeu est nul, on donne un avis négatif. Facile, clair, emballé c’est pesé. Évidemment, après on nuance un peu, « oui, c’est bien, mais… », « bon d’accord, c’est raté, cependant… », mais le ressenti global est sans ambiguïté. Ce n’est bien sûr pas le cas d’Anomaly Agent, sinon je ne vous raconterais pas tout ça.
Développé par la petite équipe turque de Phew Phew Games, Anomaly Agent est un modeste beat them all de science-fiction en pixel art, avec ce qu’il faut de boucles temporelles, de néons violets, de synthwave, de clones, de robots et d’agents secrets qui protègent le monde des anomalies en tous genres. Et je vais désormais marcher sur des œufs à partir de là, car si j’ai passé un très bon moment devant le titre de Phew Phew Games, je ne peux pas faire comme si le titre était exempt de défauts et dois faire attention à ne pas complètement le survendre.
Anomalie de game design
Je vais encore un peu digresser pour bien expliciter mon propos et détailler au mieux pourquoi Anomaly Agent est si agréable à parcourir malgré ses défauts. Encore une fois, on va parler difficulté, game feel et confort de jeu, car c’est, j’en suis convaincu, le nerf de la guerre dès qu’il s’agit de jeux basés sur une difficulté dite motrice (c’est-à-dire une difficulté qui consiste à exécuter parfaitement des séries d’actions, pour de la plateforme ou du combat par exemple). L’année dernière, et les années précédentes, on a collectivement râlé sur certains titres à la difficulté motrice élevée, voire très élevée, mais à l’exécution trop bancale pour que cette difficulté soit vraiment juste.
Je pense personnellement à des titres comme Cookie Cutter et ses hitboxes foireuses, Ghostrunner premier du nom, qui manquait à mon sens de précision et de confort de jeu (et qui s'est largement rattrapé dans sa suite), OkunoKA Madness qui se pensait à même de proposer des pièges dignes de Super Meat Boy sans le game feel qui allait avec ; bref, vous avez l’idée. C’est un aspect pour lequel j’ai de moins en moins de patience et d’indulgence : en clair, si votre game design et level design sont impardonnables (tableaux truffés de pièges à traverser d’une traite, shooters dans lesquels on meurt en un coup, boss à phases multiples sans checkpoints), votre gameplay, game feel et confort de jeu se doivent d’être irréprochables. C’est ce que font des titres comme Celeste, The End is Nigh, plus récemment Prince of Persia: The Lost Crown, en ayant réglé à la quasi-perfection tout un tas de paramètres de flow et de game feel qui font que des C Sides ou un Nevermore sont faisables et surtout justes. On ne se bat pas contre le jeu et ses limites, mais contre ses propres réflexes, sa dextérité et sa précision.
Sauf que naturellement, tout le monde ne peut et ne veut pas être Celeste ou Prince of Persia, ce sont davantage des exceptions que des cas courants, et on en arrive enfin à Anomaly Agent, qui ne fait donc partie d’aucune de ces deux catégories. Car le titre de Phew Phew est vraiment loin d’être irréprochable. Le game feel est un peu mou, a un peu de latence, les tableaux peuvent finir par être vraiment chargés en ennemis et donc assez illisibles, la plateforme n’est pas tellement précise ou agréable ; le gameplay n’est pas non plus mauvais, il n’y a aucune erreur éliminatoire ou aberration mécanique à noter, mais l’ensemble est somme toute assez convenu, voire un peu médiocre, et surtout ne permet pas de faire face à un challenge relevé. Heureusement, le studio a eu la lucidité et l’humilité d’arranger tout le game design autour pour rendre l’expérience la moins frustrante possible, et même franchement amusante et rythmée.
Le temps est une construction sociale
J’insiste : ni le combat ni la plateforme ne sont ratés, si c'était le cas, mon argumentaire ne tiendrait tout simplement pas. Ces derniers sont seulement peu adaptés pour faire face à une difficulté élevée et encore moins impardonnable. C’est ce que Phew Phew Games semble avoir compris, car tout le game design autour d’Anomaly Agent est construit pour rendre l’échec le moins frustrant et le moins fréquent possible, permettant à l’aventure de progresser à toute vitesse et de ne pas s’enliser dans des pics de difficulté inutiles et artificiels. Concrètement, tout cela passe par une série de très bonnes décisions. Les checkpoints sont très nombreux, parfois jusqu’à plusieurs fois dans un même tableau, y compris durant les combats de boss (un checkpoint entre chaque phase), et on y retourne avec tous ses points de vie en cas de mort. De même, chaque changement de tableau restaure toute la santé, les cooldowns des objets sont différents selon les circonstances (normaux durant les combats, quasi inexistants durant les phases de plateforme), les fenêtres de parade sont très permissives ; et le résultat est sans appel : la progression et le rythme sont d’une fluidité exemplaire.
D’autant que l’ambiance, le scénario et le ton du titre se prêtent à cette cadence. L’histoire est basée sur l’urgence de failles temporelles à régler au plus vite tandis que les rues sont dévastées par des clones, mains géantes et autres anomalies gravitationnelles : on n’a pas le temps de traîner, certainement pas sur des combats qui s’éternisent ou de la plateforme punitive, et le game design répond parfaitement à cette sensation d’urgence en remplissant toutes les conditions pour que l’aventure aille vite (à l’exception un peu étrange de ce boss de fin assez nul, bourré de PV et au nombre de patterns rachitique). Un choix qui sert également l’humour d’Anomaly Agent, profondément absurde et tourné vers le slapstick. Il est compliqué de continuer de rire aux blagues d’un jeu si le gameplay est exaspérant, et Phew Phew Games semble avoir fait le choix judicieux de la bonne vanne plutôt que du git gud.
En résulte un titre très anecdotique côté mécaniques (c’est un beat them all convenu, avec peu de combos disponibles, une faible variété d’armes et d’ennemis), mais qui le sait et qui compense cette faiblesse par un confort de jeu exemplaire, un rythme effréné, une esthétique et une bande-son très réussies et tout de même quelques bonnes idées de gameplay. À l’image de ces choix de réponses gentilles ou désagréables aux dialogues qui n’ont aucune incidence sur le scénario, mais débloquent des améliorations différentes (les réponses sympas augmentent la santé, les réponses négatives permettent de développer les capacités offensives), ou ces ennemis qui peuvent fusionner en un adversaire plus dangereux s’ils se rapprochent durant un combat. On n’en ressort certes pas chamboulé ou émerveillé, mais tout de même content d’avoir passé 5/6 heures agréables sur un titre drôle et efficace. Ce qui est déjà très bien.
Anomaly Agent a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, Xbox One et Xbox Series.
Au vu de son game feel un peu bancal et de son gameplay ni très fourni ni très technique, Anomaly Agent aurait pu être un assez mauvais titre, inutilement frustrant et pénible à parcourir. Grâce à d’excellents choix de confort de jeu et de game design, un humour bien dosé et une humilité et une lucidité qui les honorent, Phew Phew Games proposent finalement un jeu drôle, joli et bien rythmé, que l’on traverse avec plaisir et que l’on se surprend même à relancer en new game + pour voir la deuxième fin.
Les + | Les - |
- Un game design et un confort de jeu exemplaires | - Les mécaniques de beat them all et de plateforme ne sont pas passionnantes |
- Très bien rythmé | - Des boss assez oubliables, voire indigents |
- Un joli pixel art et une très bonne BO | |
- Un humour absurde et slapstick bien dosé |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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