Nouvelle trouvaille indé de Team17, Ageless défie les attentes qu’on place en lui et donne aux amateurs.rices de plateformes leur pesant de challenge.
Peut-être lassé de sa série Worms, dont les itérations s’entassent dans sa ludographie des années 2000 et même au-delà, le studio Team17 s’est ouvert au monde de l’édition il y a de ça cinq ou six ans. Vite récompensé par le succès des premiers titres accompagnés, The Escapists et Overcooked en tête, il a consolidé son nouveau statut au travers de productions souvent chatoyantes (Yoku’s Island Express, Planet Alpha), parfois moyennement inspirées (Yooka-Laylee, Genesis Alpha One), mais régulièrement solides. La ligne éditoriale de l’éditeur, on la voit poursuivre sa recherche du prochain hit indé, accessible à tous les porte-monnaie et capable de digérer les meilleures influences. Après une fournée 2019 marquée par les réussites My Time at Portia, Blasphemous et Yooka-Laylee and the Impossible Lair, il s’agit de faire au moins aussi bien cette année. Bonne pioche une nouvelle fois, Ageless tient la dragée haute à ses prédécesseurs, dosant avec tact et une touche de finauderie son mélange entre puzzle et plateforme.
Robin du poids (de l’âge)
Comme certains de ses petits frères de production, Ageless, développé par le studio malaisien One More Dream, s’appuie sur les bonnes idées d’un autre pour les remanier à sa sauce et, dans ce cas, cet autre pourrait bien se chercher du côté des œuvres de Matt Thorson. Un chouïa de TowerFall et un peu plus que ça de Celeste, dirait-on même : l’avatar bondissant doté d’un arc du premier, une direction artistique et les velléités scénaristiques du second ; pour un jeu qui n’a pourtant, au final, que peu à voir avec l’un ou l’autre. On s’y retrouve aux côtés de Kiara, jeune femme en proie au doute, qui erre depuis trois ans à la recherche de Pandora, la cité perdue. Y serait caché le Portail des dons, une arche accordant à ceux qui la trouvent un pouvoir adapté à leurs besoins. Dans le cas de Kiara, quelque chose qui répondrait à ses angoisses existentielles – et sa pauvre estime de soi, tant qu’à faire. Chez elle, le don va se traduire par une capacité à faire rajeunir ou vieillir les êtres vivants à l’aide de ses flèches, ce qui, de son propre aveu, ne la renseigne pas beaucoup sur ce qu’elle est censée faire. Sur le chemin, elle rencontrera Vi, un garçon qui tente de trouver un moyen de sauver sa petite sœur, atteinte d’une maladie incurable, et se joint à lui dans sa quête d’un remède.
La suite, on la devine sans pour autant s’ennuyer, mais l’ensemble manque tout de même d’un vrai souffle, pas forcément épique mais émotionnel. En jeu, la narration se fait en début et fin de zones, lors des rencontres avec les autres habitants du monde – quelques stèles postées ici et là viennent aussi enrichir brièvement le lore au sein des tableaux mais rien de transcendant. Lors de ces conversations, on va surtout en apprendre plus sur Kiara et ses objectifs immédiats, mais l’évolution de la jeune fille au fil de l’histoire est un peu timide. Plutôt qu’une décharge libératrice, le récit s’oriente vers une conclusion douce-amère, quand, une fois l’excitation retombée, tout reste à faire ; les dons et l’ambition qu’on portait en eux sont remis en question, dans un retournement des codes, si ce n’est creusé, au moins bien amené. Les titres qui réussissent à fondre leur récit dans le gameplay mis en place sont rares (on pense à Photographs ou bien, d’après notre cher Shift, à Celeste, encore lui) mais ce sont eux qui emportent le plus notre petit cœur. Nul doute que l’équipe de One More Dream avait cela en tête, sans pour autant parvenir à concilier le large éventail de mécaniques sur lequel reposent leurs puzzles et la dimension intime du récit.
Dernier point en lien avec Madeline : Ageless adopte un style visuel qui lui est assez ressemblant, dans les personnages sans yeux et les boîtes de dialogues agrémentées d’un portrait évolutif, quoiqu’un peu plus lisse que son aîné, et s’en sort avec de jolies animations, décors et de chouettes modèles. Certains environnements fades, où les aplats de couleurs prennent le pas sur les détails, et le manque de diversité au fil des tableaux, au sein d’une même zone, font qu’il manque toutefois à cette direction artistique un peu du caractère qui aurait permis au jeu de sortir plus aisément du lot. Ce n’est pas le bruitage alloué aux voix des personnages, en intonations vite répétitives, qui rattrapera cela – mais il est désactivable, c’est toujours ça de pris.
Kiara va te PETA
Ce qu’Ageless manque en apparat, il le rattrape dans son cœur de gameplay, en équilibre entre puzzles et phases de plateformes. Et il faut avouer qu’il le fait bien. Kiara, son don acquis, va pouvoir user de son influence sur l’écoulement du temps pour se frayer à coups d’arc un chemin à travers une succession de tableaux où la faune et la flore vont lui servir d’outils et les murs de tremplins. Chaque animal ou plante va se voir décliner à plusieurs stades de son existence, sa particularité évoluant en même temps que lui selon qu’on utilise une flèche pour le faire rajeunir ou vieillir – jusqu’au décès, mais ils réapparaissent, alors c’est un peu moins grave, non ? Par exemple, un rhinocéri démarre œuf, sans particularité ; jeune, il gambade, notamment attiré par une variété de fleurs qu’on peut faire éclore d’un bourgeon voisin ; adulte, il nous fonce dessus, cassant les obstacles fragiles sur son chemin ; vieux et gros, il ronfle, immobile, brisant sous son poids les sols les moins solides. On peut également déclencher un état de stase où plus rien ne bouge sauf Kiara et, se collant à un élément, effectuer un dash dans la direction voulue. Ce qui a pour effet de rajeunir d’un cran ledit élément et de possiblement l’envoyer valser selon son poids. Le tir de flèches vient en plus de tout ça ralentir le temps à l’extrême, permettant de répondre à des impératifs de timing minutieux. Commencent à se dessiner les possibles interactions entre ces objets, à raison de quatre, cinq par zone et une surprise lors de la dernière partie de l’aventure.
Au départ enfantins, les tableaux vont se corser au fil de notre avancée, jusqu’à demander un temps de réflexion long et une multitude d’essais. L’équipe de développement a eu le soin de bien rythmer l’enchaînement de ses puzzles qui, s’ils manquent parfois de pause narrative histoire de souffler un coup, alternent régulièrement un schéma corsé et un autre plus accessible. La réussite d’Ageless se sent à l’aune de notre fierté lorsqu’on vient à bout d’un tableau sur lequel on a bloqué une demi-heure (répondant d’une intelligence qu’on espère moyenne), mais pas seulement. Il y a une jouissance indéniable à effectuer la panoplie d’actions à notre disposition, jonglant avec notre arc au ralenti dans les airs, la visée, parfois un peu capricieuse au stick, braquée sur ce scorpion-araignée qui va garder notre flèche dans sa toile un instant avant de nous la renvoyer, ce qui déclenchera, si on s’est bien placé, la transformation d’un ennemi mortel en sa version bébé inoffensive, afin qu’on puisse dasher au-dessus de ce mur de ronces et, enfin, arriver sain et sauf de l’autre côté de la salle. Quel plaisir !
Pour donner encore un peu plus de mordant à notre avancée, les cinq zones se concluent chacune par une séquence un peu spéciale, assimilable à un boss. Plus accès sur la plateforme, on y est majoritairement pressé par l’environnement, avec une course-poursuite qui demande d’avoir assimilé les interactions possibles de la zone. Ces rares moments très rythmés sont d’ailleurs la seule occasion d’apprécier la présence plus soutenue de la bande-son, qui se fait incroyablement discrète le reste du temps. Un thème trop marqué aurait peut-être facilement tapé sur le système lors des puzzles, mais là c’est tout de même un peu triste. On n’oubliera pas, enfin, de mentionner la présence tout au long du jeu de tableaux optionnels à la difficulté vite élevée dès le début de partie. On y récupère des reliques qui viendront colorer un diorama en voxels dédié à la zone dans laquelle on les a récupéré. Le réel challenge du jeu se trouve là et ce n’est pas peu de le dire. C’est tout à fait parce qu’on était pressé par le temps qu’on s’est mis à les ignorer et pas du tout parce qu’on avait pas le niveau.
Ageless a été testé sur PC (Steam) via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch.
Sous des airs de gentil décalque moins inspiré qu’on pourrait lui attribuer au premier coup d’œil, Ageless cache une vraie réussite. L’équilibre trouvé dans une partie puzzle qui demande le plus souvent de trouver un schéma d’action bien établi, que viennent contrebalancer les compétences de plateforme soumises à nos sens du timing, fait régulièrement jubiler. Naît alors le sentiment de satisfaction intense d’avoir battu le jeu, de s’être dépassé, un peu, et d’avoir fait une jolie action en sus. Ne manquait que le replay de l’action sans l’étirement du temps induit par la visée, à la SUPERHOT, pour apprécier la fluidité de l’enchaînement. On ne sait pas si ses atours et sa ligne scénaristique lui permettront d’autant marquer les esprits que ceux dont il s’inspire, mais nul doute qu’il le mérite.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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