Aujourd’hui dans Partie Rapide, Shift vous parle de Yooka-Laylee and the Impossible Lair, un jeu de plateforme au cœur fondant mais à l’enveloppe vraiment, mais vraiment pourrie et Seastrom a invoqué les liens familiaux pour tester Sea Salt, lovecraftade typée action.
Yooka-Laylee and the Impossible Lair
En ce mois d’octobre complètement bouché m’est venue l’idée fantastique de demander des suites de jeux auxquels je n’avais jamais joué, en plus de ceux qui me tentaient. Histoire de sortir un peu de ma zone de confort, de pourquoi pas me lancer ensuite dans de nouvelles licences, voire –pour d’autres titres que celui d’aujourd’hui- m’ouvrir à de nouveaux genres. Franchement, sur le papier ça sonne comme une bonne idée. En pratique le résultat est un peu plus mitigé, mais il serait dommage de ne retenir que du négatif de cette expérience.
Intro-spection
Le premier de ce diptyque (puisque je n’en ai reçu -heureusement ?- que deux) se trouve être Yooka-Laylee and the Impossible Lair, suite de Yooka-Laylee premier du nom (sans déconner), mais surtout suite spirituelle des vénérables Banjo-Kazooie, les deux mascottes cheloues du non-moins vénérable studio Rare. Suite spirituelle puisque les anciens de Rare, devenus Playtonic Games depuis fin 2014 et ne disposant plus des droits pour continuer les aventures de l’ours et l’oiseau, les ont métamorphosés en un caméléon et une chauve-souris, avant de kickstarter le tout. Si on peut indéniablement reconnaître à l’équipe de développeurs britanniques un talent certain pour créer des gameplays efficaces, j’émets, à titre personnel, quelques réserves quant au bon goût de leurs univers et esthétiques. Mais j’étais prévenu et avais demandé The Impossible Lair en connaissance de cause.
Ma déconfiture première est cependant venue d’un autre aspect du jeu et pour cela il va falloir que je revienne sur l’une de mes (trop nombreuses) obsessions vidéoludiques : les débuts de jeux. Je n’en parle pas tellement alors je ne sais quelle proportion de joueurs et joueuses partage cette passion, mais l’un de mes grands plaisirs de jeu vidéo, c’est de refaire régulièrement mes débuts préférés de jeux (et pas forcément les débuts de mes jeux préférés). Par début, j’entends le premier, voire les deux premiers chapitres ou niveaux, c’est-à-dire entre trente minutes et deux heures de jeu environ. Car un début de jeu c’est énormément de choses. Comme dans toute œuvre, c’est bien entendu la pose des règles de base : personnages, univers, esthétique, ton. Le tout transcendé par la découverte, en même temps, des premières mécaniques et boucles de gameplay. On ressort très souvent l’exemple du premier jeu Mario, dont l’esthétique, entièrement conçue via le prisme du gameplay, sert à faire comprendre au joueur les mécaniques et fait donc office de tutoriel.
À titre personnel, les débuts qui me font vibrer sont légions, mais je pourrais citer les premiers chapitres de Dead Space, qui, après une cinématique in game fait comprendre et justifie son interface intra-diégétique par l’unique moyen de sa mise en scène. De même pour BioShock, qui réussit à cacher un gameplay un peu mou et un scénario convenu derrière une atmosphère parfaitement maîtrisée et un nombre incroyable de scènes et dialogues cultes, aux personnages et lieux iconisés avec brio dans ses deux premiers chapitres. Je ne pourrai compter le nombre de retours faits à Rapture, mais je peux encore réciter le discours d’arrivée d’Andrew Ryan en entier. Des exemples comme ceux-ci, j’en ai encore une pelleté – de Pokémon Jaune à Nier Automata en passant par Hyper Light Drifter ou Bastion – et, si je n’attends pas nécessairement une intro qui atteint des sommets d’originalité, j’espère au moins être accroché, ou au pire intrigué.
Karma Chameleon
Et j’en reviens à Yooka-Laylee, qui a décidé de démarrer sur quasiment tout ce que je peux détester dans une introduction de jeu vidéo. Je vais passer sur l’absence de cinématique, c’est souvent appréciable d’en avoir une, mais pas nécessaire. En revanche, le titre de Playtonic commence de façon excessivement abrupte, encore plus pour une personne n’ayant pas joué au premier opus. Pas de (re)mise en contexte, pas d’explication ou d’introduction à l’univers, pas de stade de découverte du tout. The Impossible Lair est une suite directe de l’opus précédent et ne prend la peine de présenter personne, considérant que tout le monde est forcément au courant. Il n’y a donc pas de début. Je suis passé du menu principal au cœur du jeu, sans passer par ma case préférée. Ne touchez pas 20 000 francs. Enfin, pas tout à fait, puisque s’il n’y a pas de début à proprement parler, il y a tout de même un simili-tutoriel, durant lequel les personnages s’adressent à Yooka et Laylee pour littéralement leur dire sur quelles touches appuyer pour faire telle ou telle action, niveau ultime de la paresse dans la découverte de gameplay.
De cette incroyable frustration de début de partie a découlé une rancœur (démesurée, je l’admets) de ma part envers Yooka-Laylee. Car finalement, il vaut quoi ce jeu, passé son intro laborieuse ? Hé bien c’est pas mal du tout. J’ai mis bien trop de temps à me l’avouer, absolument pas aidé par son esthétique -que d’aucuns qualifieraient de loufoque- mais que je trouve à titre personnel parfaitement dégueulasse, avec le malus de la version Switch techniquement plus faible pour enfoncer le clou. Mais au fil des heures, il a bien fallu reconnaître que les idées, bien que jamais les siennes, de The Impossible Lair fonctionnaient toutes très bien et qu’on était là face à un solide jeu de plateforme -certes perfectible, surtout dans sa maniabilité- mais extrêmement généreux et varié dans ses propositions. Les influences sont aussi nombreuses qu’assumées, ce qui empêche le titre de Playtonic d’être original à un quelconque moment, mais qu’importe. Son ambition, proposer un plateformer hommage aux années 90, est parfaitement accomplie et je me retrouve désormais à tenter de le platiner alors même que ce papier est écrit et qu’aucune obligation de le relancer ne demeure. Tout est pardonné.
Yooka-Laylee a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur.
Il ne faut pas juger un livre à sa couverture paraît-il, et j’ai pourtant été largement tenté de le faire durant les premières heures, tant son introduction m’avait dégoûté et que son esthétique et ses bruitages m’insupportaient. Pourtant, force est de constater que Yooka-Laylee and the Impossible Lair est bien plus qu’un jeu kitsch et désagréable à l’œil et à l’oreille et que le talent de ses créateurs à produire de la plateforme maline et généreuse n’est plus à prouver. L’accès à ma liste de débuts de jeux préférés lui est définitivement refusé, en revanche, celui des titres terminés à 100 % lui tend les bras et c’est tout aussi bien.
Sea Salt
Dagon se la coulait douce au fond des océans. Les hommes, créatures de la surface qui parfois lui rendaient visite sans paraître s’adapter particulièrement bien à la vie prolongée en milieu sous-marin, semblaient lutter quelque peu pour survivre. Pas farouche, Dagon, à qui la vie aquatique obéit sans branchi… broncher, décida de leur accorder son aide, prodiguant pêche fructueuse à quel marin voulait bien le remercier pour le geste par un don : matériel ou vivant, du moment que c’était de bon cœur et que ça répondait aux attentes du bonhomme-moule. Sauf que lorsqu’est venu le temps pour ce bon archevêque d’aller tremper sa mitre du côté de la fosse des Mariannes, ce dernier a poliment mais fermement décliné l’invitation. Il n’en fallait pas plus pour vexer Dagon, depuis propulsé divinité de la région et habitué à plus de respect que cela. L’heure était venue d’envoyer du crabe pincer des doigts de pieds à la chaîne, quitte à déborder un chouille sur la carotide.
Sel de mer dans l’eau des pâtes
Basé sur un concept de game jam né en 2017, le gameplay régissant Sea Salt est résumé d’une habile manière par les développeurs du studio suédois YCJY : « Nous voulions en faire un mode horde renversé, où l’on incarne la horde ». Mission remplie jusque-là. On se retrouve à diriger les instincts gloutons d’une troupe de minions baveuse et cliquetante se déversant sur une province tristoune, avec pour but de boulotter du travailleur en salopette et casquette élimée. Au contrôle du groupe de monstres et non pas de chaque individu le formant, il faut analyser le terrain et se mouvoir en fonction des ennemis et des obstacles avant d’attaquer d’une simple pression de touche/gâchette. On navigue ainsi entre deux états, passif et agressif, ayant tous deux leurs particularités : on avancera plus vite et en évitant les flammes (en théorie) avec le premier, quand le second permettra d’attaquer et de déclencher les aptitudes de nos toutous écailleux contre une mobilité moindre. Si ce fonctionnement est assez instinctif, l’impression de n’avoir pas entièrement la main sur les actions des sous-fifres se hausse à jeu égal avec la satisfaction de lâcher contre les hommes l’apocalypse aqueuse sous notre contrôle. Les monstres partant dans tous les sens, toute mâchoire plantée dans le premier objet venu, l’approche stratégique des déplacements en prend un coup.
Menant tout ce beau chahut, une sélection d’apôtres du bon Dagon est proposée, limitée dans un premier temps à un unique zélateur ; les autres suivront en remplissant des objectifs précis. Dans le choix de l’apôtre réside en fait les conditions de départ d’une partie : les monstres avec lesquels on débutera l’éviscération de masse ainsi que les propriétés spéciales, de l’efficacité améliorée du rampant de base à l’impossibilité d’invoquer de nouvelles engeances. La petite troupe emmenée par l’envoyé poisseux du prophète aquatique va avancer de niveau en niveau, différents lieux de la région sous son emprise, en débutant par les grands fonds et la flotte de l’amiral Pierce, le premier boss d’une lignée charismatique mais manquant… de sel, la faute, on le verra un peu plus loin, à une déficience de gameplay. Il faut noter le soin apporté au pixel art de Sea Salt, dans les décors autant que dans les modèles de personnages, qui confère, associé à un chouette design sonore, une ambiance sympathique au titre, forcément influencée par Lovecraft. Ce point pourrait lui faire du tort, tant les projets cousins du Grand Ancien sont légions, ces derniers temps.
A Cthulhu, Cthulhu et demi
Au sein des villages rongés, comme les fondations de cette rédaction, par le sel et des champs de blé boueux, le matelot/paysan de base, qui coûte un pognon de dingue et ne fait que fuir en voyant la horde s’approcher, laisse vite la place aux premiers de cordée, armés du simple fusil au lance-flamme en passant par la hache et sa redoutable onde de choc. Pour lutter, on aura la possibilité d’invoquer en chemin des monstres supplémentaires au comportement différent, à choisir dans un deck. L’aspect jeu de carte n’en a pourtant que le nom, pas question d’établir son deck perso vu le peu de cartes qui le compose – une quinzaine en tout, comptant celles venant récompenser la victoire contre les boss.
Loin de nous l’idée de partir sur une dénonciation de l’origine et de la génétique, mais c’est là que l’ADN de jeu issu d’une game jam se fait le plus sentir. Malgré le soin apporté aux environnements et au rythme, la tête de l’ouroboros trouve très vite le chemin de sa queue, à l’image de la boucle de gameplay, et le sentiment d’avoir épuisé la plupart des ressources du jeu arrive plus rapidement qu’on ne l’aurait cru. Se rajoutent à cela des ralentissements réguliers, parfois sur l’ensemble des salles d’un niveau, qui cassent presque complètement l’impression de chaos, de furie, déjà fragile. Et ce n’est pas le mode arène (dont on ne voit personnellement l’intérêt nulle part, quel que soit le titre) qui apportera un peu de piment à la bouillabaisse.
Sea Salt fait pourtant des choix audacieux pour un titre de sa trempe, concernant sa narration notamment. Il ne manque pas d’humour, pince-sans-rire comme il faut : lorsqu’un dirigeant demande de sacrifier leur bien le plus précieux aux ouailles pour éviter de se faire décimer, une femme jette son bébé dans le gouffre, suivie par un mec se contentant d’une pièce d’or. Lancée, une partie suit, assez étonnamment, un fil narratif léger qui rend certes la progression linéaire, et ce malgré la présence de quelques embranchements, mais qui se tient et se suit avec curiosité. Impliqué dans cette entreprise, quelque part réjouissante, d’anéantissement et de purification de l’homme par les crocs, on y pourchasse l’archevêque et par là même tout un système pourri de l’intérieur. A l’image de ce boss, un membre de l’église qui envoie les foules apeurées se faire massacrer avant d’être foutu à la porte de l’édifice dans lequel il s’était réfugié, c’est une société branlante et inégalitaire qu’on envoie par le fond. C’est avec un plaisir certain qu’on y lit la métaphore d’une nature qui vient réclamer son dû, après des décennies d’exploitation, aux puissants et aux riches, lesquels s’abritent, dans la plus grande décontraction, derrière le peuple. Rien que pour ça, Sea Salt mérite qu’on s’y arrête, au moins le temps de se rappeler où la fourche est rangée.
Sea Salt a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Coincé dans une boucle de gameplay un peu courte et entaché de ralentissements venant saper l’impression de chaos, à la fois guidé mais incontrôlable, qui nous tendait les bras, Sea Salt reste quelque peu embourbé dans la vasière d’où il vient. Les bonnes intentions ne manquent pourtant pas derrière le jeu de YCJY, qui peut compter sur un pixel art racé et une ambiance travaillée – en jeu, c’est limite si on ne sent pas cette odeur, un mélange de boue, de sang et de sel, qu’on lui a attribuée dans un moment serein, entouré de viscères encore fumantes. Reste à voir si cela suffit. Dans notre cas, pas tout à fait.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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