Cette fois-ci dans Partie Rapide, Zali nous parle de l’accès anticipé du jeu de stratégie Cantata et Shift de Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, un point & click « à l’ancienne », mais sans le génie de ses modèles.
Cantata
Développé par le petit studio américain Afterschool Studio depuis environ quatre ans, Cantata est un jeu de stratégie au tour par tour, mâtiné de RPG et de construction de chaînes de production. Dit comme ça, le projet ressemble à une créature de Frankenstein des tendances les plus rincées du jeu vidéo indépendant (il ne manque que du deck building), mais étrangement, ce début d’accès anticipé est une excellente surprise, grâce à un univers original et à des mécaniques bien rodées.
Cent balles et un Mars
Cantata se déroule sur l’étrange planète Shoal, devenue le terrain d’affrontements entre différents empires s’étant taillé depuis des siècles la part du lion dans les terres habitables et les ressources de l’Univers Connu. Alors que la guerre se rapproche et que le terrain menace d’être anéanti par un déluge de sang, de feu et de larmes, la situation se complique quand il apparait que la planète, organisme quasi-vivant et mystique, veuille commencer à se défendre contre ceux qui souillent sa surface et pillent ses ressources.
De Dune aux œuvres de Moebius en passant par celles de Druillet ou du comics Saga, Cantata ne cache absolument pas son attachement très fort au courant le plus psychédélico-politique de la SF des années 60 à nos jours : personnages difformes et grimaçants, créatures étranges tapies dans l’ombre, sociétés futures où le militaire et le religieux ont fusionné en un vaste culte mortifère : ici on est pas dans la hard science d’un Observation mais bien davantage dans les délires New Age de la Caste des Méta-Barons. Une vision du futur assez étrange, pas si fréquente dans le jeu vidéo, qui font de Cantata un jeu très plaisant à suivre, du moins sur les quelques missions actuellement disponibles (vous avez déjà de quoi vous amuser quelques heures avec ce début d’accès anticipé).
Mais Cantata ne ferait pas un très bon jeu s’il se contentait de nous abreuver de charabia parapsychologique et de nous montrer des paysages chelous : encore faut-il nous faire jouer à quelque chose. Et pour le coup, la proposition est assez audacieuse, puisqu’elle entend mélanger une simulation économique de gestion de chaînes logistiques avec de la stratégie au tour par tour, comme si Final Fantasy Tactics rencontrait une version simplifiée de Factorio. Au lancement, Cantata vous suggère d’ailleurs très, très fortement de parcourir les deux minis campagnes de tutoriel pour comprendre les tenants et les aboutissants du gameplay. Ce dernier est d’ailleurs défini comme « simple à comprendre, et difficile à maîtriser » par le studio, et on ne saurait qu’être d’accord.
En bref, dans Cantata, chaque bâtiment que vous allez pouvoir construire consomme un certain nombre de ressources faisant aussi office de monnaie pour convoquer des unités et parfois d’énergie pour alimenter lesdits bâtiments. Chaque bâtiment ne peut fonctionner que si une ressource précise lui est acheminée en bonne quantité et si l’usine la produisant n’est pas trop éloignée, ou reliée à des hangars de stockage à portée. Si une pièce de l’édifice est sous-alimentée ou détruite, c’est toute votre chaîne de production qui s’en retrouve entravée, et donc votre capacité à fournir votre armée en hommes et en équipements.
Ce système pousse non seulement à une gestion extrêmement fine de l’arrière de la ligne de front, parfois avec des sacrifices nécessaires à la victoire finale, mais aussi à penser en termes de logistique et d’économie de troupes : il est très facile de convoquer des tas et des tas d’unités de base pour en faire de la chair à canon directement sur le front, mais il est beaucoup plus difficile (mais néanmoins bien plus efficace) de créer des convois de ressources parfaitement logiques et bien défendus capable d’amener vers l’avant des unités bien plus solides qui vont renverser le cours de la bataille. Il faut quelques tentatives ratées avant de comprendre la logique, mais une fois qu’on l’a bien en main, Cantata devient un petit plaisir stratégique comme on en voit trop rarement. Pour le moment, les combats en eux-mêmes sont un poil en dessous du reste, avec des informations visuelles un peu brouillonnes et un manque d’impact certain, mais les situations stratégiques proposées sont variées, le challenge est au rendez-vous et la feuille de route du jeu pour les prochains mois promet un ensemble d’améliorations très enthousiasmantes.
Cantata a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Quasiment pas de bugs gênants, un contenu déjà généreux, un tutoriel bien fichu et de quoi s’amuser pendant des heures sans tourner en rond : Cantata est l’exemple parfait d’un accès anticipé réussi. Avec son mélange audacieux de stratégie et d’enjeux logistiques et une couche de RPG qui s’intègre plutôt bien, il s’agit d’un jeu extrêmement prometteur dont nous avons hâte de découvrir la version finale.
Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit
Si vous êtes de vieilles personnes, vous avez très probablement touché dans votre jeunesse aux titres cultes du point & click, que ce soient les classiques de Lucasart (Sam & Max, Monkey Island, Grim Fandango) ou de Charles Cecil (Les Chevaliers de Baphomet). Moi non, alors il a fallu rattraper, ou regarder les copains de TPP se lancer dans ces œuvres majeures, mais désormais un peu raides à appréhender sans guide. Énigmes absurdes aux résolutions imbitables à base d’associations d’objets tirées par les cheveux, objectifs peu clairs, recherche au pixel près dans des tableaux chargés : si ces titres brillent toujours par leurs dialogues, par leur pixel art et par leur ambiance, leur gameplay et leur logique sont périmés depuis un bon moment.
Cette fois-ci c’était mieux avant
Un souci de moins en moins courant dans la deuxième vague de point & click qui sévit depuis quelques années, qui, si elle ne représente plus un genre majeur comme ça a pu être le cas dans les années 80 et 90, s’adresse à une niche solide et passionnée, tout en se rendant de plus en plus accessible au nouveau public, avec ce qu’il faut de systèmes d’indices, d’innovations en termes de qualité de vie et de dépoussiérage de mécaniques. Mais ce n’est pas le cas de tous les jeux qui sortent ces temps-ci, et certainement pas celui de Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, qui, s’il modernise la formule sur certains aspects, reste quand même campé sur ses bases de point & click des années 90.
Un aspect assez peu surprenant finalement, puisque le projet est dirigé par un ancien de Broken Sword 2.5, fan game gratuit et encensé des Chevaliers de Baphomet. Et ça se sent : Crowns and Pawns transpire du Broken Sword par tous les pores. De la recherche d’artefacts historiques à travers toute l’Europe, du complot, des énigmes de plus en plus complexes, des allers-retours en veux-tu en voilà : si vous avez joué à un des deux premiers Chevaliers de Baphomet, vous connaissez la formule par cœur. Mais vous serez un peu seul·e.
Je ne vais pas mentir, passé un certain cap du jeu, il m’a fallu une soluce – heureusement déjà disponible en ligne – pour pouvoir progresser, tant la logique de certaines énigmes et péripéties m’échappaient. Je l’ai un peu senti venir, quand il a fallu dès la première heure tordre tout sens commun pour aider ma pote à convaincre un mécène à l’aide de jus de citron et d’un chewing-gum anesthésiant, puis réparer des ciseaux avec un écrou pêché grâce à un magnet de frigo afin de retrouver l’héritage de mon grand-père. Hé oui.
Mon principal reproche adressé à Crowns and Pawns n’est pourtant pas cette difficulté dite sensorielle – c’est-à-dire la difficulté des énigmes – mais bien l’absence totale d’assistance à ce sujet. Je n’aurais jamais trouvé certaines réponses tout seul – et ça m’étonnerait assez fort qu’hormis les chevronné·es à l’exercice du point & click retro, le reste des joueurs·euses y parvienne – mais j’aurais quand même préféré que l’on m’aiguille un peu plutôt que de devoir aller chercher la réponse toute cuite. Ce qui est dommage, car le titre fait tout de même quelques efforts pour moderniser la formule : usage intéressant du téléphone et d’ordinateurs, énigmes basées sur les vêtements portés par notre personnage, possibilité d’afficher toutes les interactions d’un tableau ; ça ne va jamais très loin dans l’exploitation, mais ça fonctionne généralement bien.
Mais il y a un autre souci, cette fois-ci complètement indépendant de la difficulté absurde des énigmes. Un souci qui fait que même avec un guide sur les genoux, j’ai pris plaisir à parcourir Sam&Max Hit the Road, mais pas tellement Crowns and Pawns. Voyez-vous, le titre de Tag of Joy est vraiment, mais vraiment très mal écrit. Ou peut-être très mal traduit, puisque le studio est d’origine lituanienne. Reste que suivre le jeu en anglais est une expérience assez désagréable, alliant personnages fonctions, remarques déplacées, blagues qui tombent le plus souvent à plat, péripéties téléphonées et plot holes gigantesques. J’aurais eu envie de m’intéresser à cette quête prétexte à la découverte de la culture et histoire lituanienne, aux jolis extérieurs de Vilnius dessinés à la main, mais Crowns and Pawns a très vite abandonné l’idée, pour préférer faire des blagues sur une bibliothécaire fâchée car ayant ses règles, ou me proposer de faire la morale à un SDF sur l’utilisation de son argent, avant de m’envoyer suivre le match de hockey le plus mou de l’univers. Non merci.
Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Très compliqué de recommander Crowns and Pawns à qui que ce soit. Les novices du point & click ont tellement de titres plus intéressants et surtout plus accessibles pour découvrir le genre, quand les biberonné·es aux Chevaliers de Baphomet n’y trouveront qu’un ersatz à l’écriture faible et aux énigmes assez inégales. Pour les plus en manque, il se laissera probablement parcourir et comblera le vide le temps de 5 ou 6 heures, mais pas plus.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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