Cette fois-ci dans Partie Rapide, Zali vous parle des bateaux volants de Black Skylands et Shift de Radio Viscera, top-down shooter aussi original que cassé.
Black Skylands
Développé par la petite équipe russe de Hungry Couch Games et propulsé par la catapulte à jeux indés tinyBuild, Black Skylands est un simulateur de gestion d’île, et aussi un top-down shooter, et aussi un jeu de craft, et aussi un simulateur de vaisseau volant… Non, ne fuyez pas : cet accès anticipé commence étrangement sous de très bons auspices.
Lucy in the sky with machineguns
Le scénario de Black Skylands, c’est rien que du fun en barre : après une apocalypse ayant fragmenté la Terre en une multitude d’îles flottantes, les îles les plus faibles sont soumises à la tyrannie de pirates sanguinaires et de bestioles monstrueuses surgies de l’Essaim, un mystérieux phénomène aérien impénétrable rempli de monstres. Parce que le quotidien n’était pas encore assez pourri, les Faucons de Kain, un groupe de contrebandiers, bombarde un beau jour et à moitié par erreur le vaisseau volant où vit la jeune Eva, massacre sa famille et la moitié du village, et reprennent leurs petites affaires en laissant derrière eux un champ de ruines.
Le vaisseau exsangue et quasiment à court d’adultes valides n’a d’autre choix que d’envoyer Eva explorer les alentours pour tenter de prendre une revanche bien méritée, de rendre l’île à nouveau habitable, et de percer les secrets de l’Essaim. Armée d’un couteau, de quelques flingues et d’un petit bateau volant, Eva s’envole, et c’est parti pour l’aventure. À défaut d’être très subtil, le scénario de Black Skylands est efficace : on est dans un monde coloré et à première vue léger, mais tout y est prétexte à massacrer, bombarder et piller. Un récit à la russe, où de braves petits paysans repoussent des bandits cruels et tentent vaillamment de survivre à l’impossible. Les quelques personnages clés sont attachants, et on a rapidement plus qu’une envie : explorer toute la map en quête d’outils pour améliorer l’ordinaire.
Black Skylands, dont une bonne partie du contenu est déjà en place, se découpe en trois grosses phases distinctes : l’exploration, la conquête des îles et la gestion du Vaisseau-Père, le hub du jeu. L’exploration est probablement la partie qui mérite encore le plus de polish. À bord d’un vaisseau largement personnalisable, Eva doit explorer une map assez grande en quête de ressources et d’objectifs précis, et gérer des combats aériens pas spécialement funs ni agréables à jouer. Assez fréquents (tout veut votre mort dans Black Skylands), ils sont hélas un peu rigides et manquent pour le moment de variété. Lors de ces phases, il faudra également gérer le stock de munitions, l’essence du véhicule, et veiller à l’intégrité de la coque. Mais par bonheur, vous passerez quand même une bonne partie de votre temps à faire d’autres activités.
Potager et couteau dans l’œil
Quand vous ne volez pas en tirant au pif sur des vaisseaux énervés, Black Skylands vous propose d’explorer (à pied, mais avec un grappin) des îles pour y récolter des ressources et aussi massacrer tout pirate en vue, sans sommation particulière. À la décharge d’Eva, eux non plus n’ont pas l’air d’avoir envie de négocier : à l’exception des civils, tout le monde veut vous embrocher, bombarder, flinguer ou brûler. Ces phases évoquent largement une sorte de Hotline Miami en moins hardcore : vous êtes en vue du dessus, et l’objectif est de « nettoyer » une île pour permettre à ses habitants civils d’y prendre place à nouveau en remplacement des pirates cruels. Pas spécialement originaux, les combats sont néanmoins variés, assez funs à jouer et réservent pas mal de surprises, avec une dimension boss fight inattendue et quelques petites séquences de gameplay d’infiltration très efficaces.
Enfin, la troisième phase s’articule autour du retour au bercail, une fois les soutes de votre bateau pleines de loot. Il s’agit là d’un jeu de gestion simplifié, une sorte de Stardew Valley minimaliste où vous allez devoir déblayer des dégâts, construire des bâtiments (fermes, bars, armureries…) destinés à produire des effets bénéfiques ou des ressources utiles pour l’aventure, et rendre votre village viable à nouveau, l’objectif ultime étant de devenir assez puissant pour aller se venger des Faucons et de pénétrer dans ce mystérieux Essaim. Cette partie gestion est assez bien fichue, instinctive et bien équilibrée. Une vraie bonne surprise, au regard de la difficulté à articuler des gameplay si différents.
Black Skylands a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 4 et les consoles Xbox.
S’il manque encore pas mal de choses (à commencer par un peu plus de rythme dans l’intrigue, davantage de quêtes et un rééquilibrage de la difficulté), le début de l’accès anticipé de Black Skylands est extrêmement prometteur : le jeu est varié, assez addictif, et servi par une réalisation un peu étrange en vue du dessus mais qui brille par sa lisibilité et sa simplicité. J’ai hâte de découvrir ce que le jeu deviendra dans quelques mois !
Radio Viscera
On ne va pas se mentir : le top-down shooter est un genre qui peine sévèrement à se renouveler. À l’exception de quelques petits OVNI à la Hotline Miami ou Ape Out – même s’ils innovaient plus côté forme que gameplay – et mélange de genres (Enter the Gungeon ou Nuclear Throne, qui mêlaient la formule à celle du rogue-like, ou l’early access de Black Skylands chroniquée par Zali juste au-dessus), le top-down reste extrêmement balisé et codifié : avec pratiquement deux années d’écart, les très efficaces Freakout – Calamity TV Show et Monkey Barrels se montraient tout de même très similaires, autant côté structure que level design, gameplay et progression. C’est ce qu’entend dépoussiérer Owen Deery, développeur solo du studio Fire Face Corporation, et si le postulat de base est excellent, Radio Viscera est malheureusement l’occasion de rappeler que développer tout seul des projets ambitieux n’est toujours pas une bonne idée.
All we hear is Radio Viscera
Ce concept, c’est de ne proposer dans Radio Viscera qu’une seule arme, non-létale – un peu dans l’idée d’Ape Out, donc – qui permettra de repousser les ennemis, afin de les envoyer valser dans des pièges. Cuves d’acide, murs hérissés de piques, scies circulaires : le jeu commence tranquillement et classiquement dans ses propositions de mises à mort, variant par la suite sa formule de manière assez élégante au fil des niveaux, en ajoutant toujours plus de pièges crétins, d’ennemis ne pouvant être tués que d’une manière précise et d’ordre de meurtres à respecter.
Ainsi, durant cette courte campagne (comptez 6h en ligne droite, beaucoup plus si vous souhaitez tout faire, mais on y reviendra), on se retrouve face à un titre franchement malin, tirant habilement parti de son concept sans trop tirer sur la corde ni traîner en longueur, à la BO efficace et une DA low poly certes classique, mais plutôt jolie et colorée. Si on y ajoute un gameplay assez solide et surtout assez pêchu – le titre ne proposant qu’une seule arme, il aurait été dommage qu’elle n’ait aucune patate, mais les tirs, tout comme le décès de nos adversaires, sont visuellement et auditivement très satisfaisants – , on obtient une des propositions de twin-stick shooter les plus intéressantes du moment (notez que ça ne se bouscule pas non plus des masses). De petites attentions, comme cette possibilité d’enregistrer des gifs de ses meilleures performances à la fin d’un niveau – il faudra un jour se pencher sur ces mécaniques de partage d’images et gifs et du rôle marketing qu’elles représentent – , achèvent d’en faire un titre tout à fait plaisant et généreux. Ce qui fait de son ratage technique un gâchis d’autant plus spectaculaire.
Tu ne détestes pas Radio Viscera, tu détestes le capitalisme
Car oui, Radio Viscera est pêchu, malin et joli, mais Radio Viscera est surtout très très cassé. Si le cœur du jeu est totalement fonctionnel – le système de combat est impeccable et aucun souci durant les affrontements n’est à déplorer – , le reste est un petit désastre. Portes qui s’ouvrent et se ferment sans explication apparente, objectifs qui s’annulent si l’on meurt – mais impossibles à refaire – , checkpoints placés n’importe comment, scripts qui ne se lancent pas, missions assez floues : dès le deuxième ou troisième niveau, Radio Viscera devient excessivement désagréable à jouer malgré tout son potentiel, et la situation ne fait qu’empirer zone après zone. De fait, je me suis très vite détourné de tout contenu optionnel : la recherche d’objets et de score peut être très amusante ou intéressante, c’est beaucoup moins le cas quand la moindre mort nous ramène à ce point en arrière, quand le radar en jeu n’indique absolument pas la suite du niveau, ou quand les ennemis ne réapparaissent plus du tout alors que leur présence est nécessaire pour poursuivre sa route, ou juste marquer des points.
Et c’est encore une fois que l’on remarque les malheureuses limites du jeu indé. Ou plutôt du jeu indé – de l’art indé, plus globalement – dans un milieu capitaliste, si vous voulez mon avis. Le travail effectué sur Radio Viscera est à la fois impressionnant et insuffisant : l’armature du jeu est impeccable, de même que son game feel et son concept, mais ces derniers sont plombés par mille et un bugs. Le générique de fin affiche les noms d’une dizaine de playtesteurs·euses, et il est absolument impossible que ces personnes n’aient pas rencontré les problèmes évoqués, tant ils crèvent l’écran et plombent significativement l’expérience. À partir de là, il me semble évident qu’Owen Deery et son éditeur sont au courant de l’état technique du jeu, et pourtant, ils ont décidé de le sortir dans cet état. Nul doute qu’avec plus de ressources, et donc plus de temps devant lui, Deery aurait repoussé la sortie de Radio Viscera de quelques semaines, voire de quelques mois, afin de le mettre en magasin sous sa meilleure forme, plutôt que cette version seulement digne d’une beta ou early access.
Aucun des bugs et soucis de conception du titre ne sont irrécupérables : il est totalement possible de régler tout ça sans altérer la philosophie ou la structure de Radio Viscera, le travail restant n’est que pur polish et mise à jour de confort. Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’une tâche simple ou rapide, bien au contraire, mais la plupart des problèmes sont probablement déjà connus si les playtests ont été pris en compte, et le titre d’Owen Deery n’est qu’à deux ou trois patchs d’être réellement jouable et appréciable. Il me serait aisé de râler sur son créateur et la sortie prématurée d’un titre pourtant prometteur, je me contenterai de cracher à nouveau au visage du capitalisme, qui met les créateurs face au choix de sortir immédiatement leurs œuvres inachevées en espérant toucher suffisamment d’argent pour pouvoir les finir ou de continuer à en perdre en attendant de pouvoir les présenter dans un état acceptable.
Radio Viscera a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Radio Viscera est une très belle note d’intention. Son concept apporte un peu de fraîcheur dans ce genre éculé et peu sujet au renouvellement qu’est le top-down shooter, accompagné d’une direction artistique et d’une bande-son sympathiques et montrant une générosité de chaque instant dans ses mécaniques. C’est donc d’autant plus dommage qu’il soit aussi cassé et aussi désagréable à jouer. Si son auteur réussit à le réparer d’ici peu de temps, nul doute que l’on tiendra ici un des twin-stick shooters les plus intéressants de l’année. En l’état, ce n’est qu’une proposition formidable dans un écrin en lambeaux.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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