Cette fois-ci dans Partie Rapide, Tritri vous parle de A Hand With Many Fingers, un jeu d’enquête durant la Guerre Froide, et Shift de Signs of the Sojourner, un curieux jeu indé de deck-building derrière lequel se cache un très bon système de dialogue.
A Hand With Many Fingers
J’ai une passion étrange pour les tableaux d’enquête. Je veux dire, c’était une des mes parties préférées de Phantom Doctrine, qui se trouve également être un jeu de tactique à la XCOM assez médiocre, mais il y a des tableaux d’enquête. Alors quand j’ai vu le trailer de A Hand With Many Fingers de Colestia, dont tout le concept est de résoudre une enquête en utilisant seulement des documents censurés, un tableau, du fil et des punaises, j’étais très curieux. D’autant plus que le jeu se déroule durant la Guerre Froide et que je trouve que nous n’avons jamais assez de jeux pendant cette période.
Le concept est simplissime : vous êtes dans les archives, vous avez une boite de documents, et vous devez suivre les indices. Par exemple, vous n’avez qu’une date, un pays et un nom, à vous de trouver la boite d’archive pertinente en utilisant cette info. Le système de classement est simple : une section géographique, des dates et des cartes avec des noms de personnes d’intérêt qui vous indiquent où trouver la boite relative à ce sujet. Ensuite, à vous de faire le lien entre les différents documents dans ces boites pour révéler le fin mot d’une histoire sordide de meurtre, de banque, d’investissements louches et d’espionnage international (une affaire réelle d’ailleurs). Mais attention, car il semble que vous attiriez l’attention de certaines personnes mal intentionnées. Le concept fonctionne à merveille, c’est plutôt sympa d’utiliser un carnet pour suivre les différentes boites d’archives à fouiller, et de révéler peu à peu cette affaire. Dommage que le jeu soit très court, comptez une heure, et souffre de quelques problèmes de performances.
A Hand With Many Fingers a été testé sur PC via un code fourni par l’éditeur.
A Hand With Many Fingers est un excellent concept très bien exécuté, mais hélas bien trop court. Il fait plus figure de jeu de jam fait en quelques jours que titre complet. Mais considérant que vous n’utilisez que quelques boites dans le jeu, nul doute que le développeur peut facilement rajouter des enquêtes à l’avenir.
Signs of the Sojourner
Signs of the Sojourner a dégommé en à peine trois heures deux de mes certitudes vieilles de plusieurs mois, voire plusieurs années. Oui, un deck-builder indé peut être parfaitement pertinent et original en 2020 et oui, il y a encore tellement d’innovations possibles dans la représentation du dialogue et des relations humaines dans le jeu vidéo. Et tout ça en câlinant un petit chien. Le titre d’Echodog Games est très joli, finement écrit, ses personnages sont construits tout en subtilité et sa bande-son folk-western contribue à cette atmosphère douce et reposante. Pourtant, l’heure est loin d’être à la rigolade, et toutes ces qualités ne sont rien face à l’atout principal de Signs of the Sojourner.
Echodog aboie
Notre héroïne, sans nom, ni voix, ni visage vient de perdre sa maman, c’est dur, mais les circonstances ne vont même pas lui laisser le temps de faire son deuil. En effet, celle-ci était la tenancière de l’unique boutique du tout petit village de Bartow, qui survit grâce au passage d’une caravane venant s’y approvisionner. Nous héritons ainsi du commerce familial en même temps que de la lourde responsabilité de sauver le village : si la boutique n’est plus attractive, la caravane ne passera plus. Et n’a déjà plus trop envie de passer, malgré la sympathie que leur cheffe, Nicole, éprouve pour notre personnage et son respect pour feu notre mère. C’est donc un compte à rebours de cinq voyages qui se lance, pour remplir les étals de la boutique, pour pérenniser les relations avec les fournisseurs des environs, pour convaincre la caravane de rester et pourquoi pas en apprendre un peu plus sur le passé de notre maman et les mystères qui entourent la région.
Le titre est certes court, mais je vous arrête tout net : une seule partie ne sera pas assez pour tout faire. Il est même probable que vous foiriez tout ou presque la première fois, car derrière un système de dialogue qui peut sembler étrange et simpliste au premier abord, pour virer au franchement frustrant par la suite, se cache une idée parfaitement géniale et un véritable tour de force. Signs of the Sojourner modélise votre personnalité sous la forme d’un deck de cartes, chacune correspondant à un ou plusieurs traits de caractère, représentés par des symboles. Chaque dialogue devient ainsi une partie de cartes entre les deux personnes, et dont le but sera de les assembler selon leurs symboles, à la façon d’un jeu de dominos. Si les symboles s’accordent, la conversation se passe bien, dans l’autre cas, le dialogue virera à la dispute ou l’incompréhension mutuelle. Une fois la discussion achevée, et peu importe son issue, il vous faudra prendre une carte à votre interlocuteur et vous séparer de l’une de votre deck. Et c’est tout ? Non, ce n’est pas tout, c’est ce que j’ai cru au début, et l’aventure a viré à la catastrophe.
Mais la caravane ne passe pas forcément
En abordant le titre de manière manichéenne et surtout très vidéoludique, j’ai tout simplement ruiné mes relations avec quasiment tous les personnages. Le jeu m’avait pourtant prévenu – « N’essaye pas de pas de plaire à tout le monde, ce n’est pas possible », « Ne crois pas tout ce qu’on te dit », « Méfie-toi » – mais j’étais resté sur cette idée de vouloir « gagner » tous mes dialogues. De n’obtenir que des petits carrés blancs partout, de ne me fâcher avec personne, de rendre tout le monde content et faire fleurir mon commerce à la fin. Sauf que ce n’est pas possible, pour une très bonne raison : ce n’est pas possible non plus dans la vie. Et Signs of the Sojourner le simule parfaitement. Le deck de notre personnage étant tout petit, il devient très compliqué de pouvoir s’accorder avec tout le monde : la stratégie qui peut sembler évidente, celle de posséder un maximum de symboles en main n’est absolument pas viable : à vouloir plaire à tout le monde, on se retrouve avec un ou deux symboles de chaque type pour des dialogues qui en demanderaient cinq ou plus, et tous les dialogues finissent par « échouer ». Il faut ainsi très vite décider d’une personnalité claire, en privilégiant deux ou trois traits de caractère que l’on développera, quitte à changer radicalement en cours de chemin. Nos interlocuteurs ne se priveront pas pour le faire de toute manière.
Vous remarquerez également que les termes gagner et échouer sont entre guillemets depuis le début de ce papier, c’est car s’arranger avec un personnage en assemblant bien tous les symboles ne débouche pas nécessairement sur de bonnes choses, tout comme s’embrouiller avec un autre pourra parfois avoir des effets bénéfiques. Entre les personnes malhonnêtes qui essayeront d’abuser de vous, celles qui ne sont pas d’accord entre elles et pour qui vous devrez prendre parti, nombreux seront les cas où briser volontairement les enchainements de symboles vaudra bien mieux que de réussir le mini-jeu en combinant tout bien. Le tout en essayant tout de même de s’entendre avec certains personnages-clés, histoire de récupérer quelques ressources pour le magasin. Si on ajoute à tout ça des effets de cartes qui apparaissent tout au long de l’aventure, ainsi que des cartes de Fatigue qui s’ajoutent dans le deck et pourrissent vos relations, on obtient un système de personnalité et de dialogues vraiment stratégique, et à l’aspect deck-building extrêmement pertinent.
Signs of the Sojourner a été testé sur PC grâce au bundle aux 1700 trucs d’itch.io.
Noodles nous parlait très récemment du post-mortem de Furi et du concept de triple i, qui ne se focalise que sur une seule mécanique, pour lui conférer un niveau de finition excellent. C’est exactement ce qui se produit avec Signs of the Sojourner, qui ne tourne qu’autour d’un seul aspect : son incroyable système de dialogue, qui s’étoffe et se tient jusqu’à la fin du jeu, sans jamais tirer sur la corde. Echodog Games ont eu l’intelligence de s’arrêter pile au moment où la limite du concept était atteinte, tout en permettant une grande rejouabilité à leur titre. Un modèle de production indé parfaitement au courant des forces et faiblesses de son système et budget et qui en tire le meilleur. Et le plus beau, c’est que si vous avez pris le bundle itch.io, vous l’avez déjà.
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
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