Les classiques du cinéma asiatique revisités dans des jeux vidéo réalisés par des studios occidentaux ont désormais assez le vent en poupe pour qu’on puisse parler de tendance : après le Ghost of Tsushima de Sucker Punch, après le Sifu de Sloclap, le studio polonais Flying Wild Hog et l’éditeur Devolver Digital nous ont livré un aperçu d’une petite heure de Trek to Yomi, via une preview donnant une bonne idée de ce que sera le jeu dans son écrin final, attendu pour ce printemps.
Sans doute l’adaptation la plus frontale et la plus littérale de cet héritage cinématographique du chanbara des années 50 et 60, Trek to Yomi opte carrément pour le noir et blanc, les effets de pellicule abîmée et une revisite extrêmement décomplexée du folklore des récits de sabre japonais. Impossible d’y faire deux mètres sans croiser un bandit à l’armure karuta et aux tatouages irezumi, une statue votive à l’image d’un kami bien connu ou encore un villageois apeuré faisant des références explicites et un chouilla forcées à Raijin, dieu de la foudre ou à ce fameux Yomi, le monde des morts. On va se le dire d’emblée : tout ça manque cruellement de naturel et j’ai passé une heure à me prendre des coups de coude assez violents de la part de Leonard Menchiari, le réalisateur du jeu, visiblement soucieux de bien me faire comprendre qu’il avait une grosse collection de DVD avec la tête de Toshirô Mifune sur la jaquette. Cependant, ce côté sans doute sincère mais extrêmement démonstratif ne doit pas irriter au point de masquer le fait que Trek to Yomi s’annonce comme un jeu assez solide.
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De fait, et même si les chapitres ultérieurs du jeu semblent receler quelques belles surprises, le début de Trek to Yomi ne ferait même pas une bonne parodie tant il adapte by the book à peu près n’importe quel récit de samurai écrit entre 1850 et 2020 : votre village paisible est attaqué par une horde de bandits, votre maître-tutoriel se sacrifie devant vos yeux sur fond de flammes et de soleil couchant, et une fois devenu grand, vous allez devoir vous embarquer dans une histoire de vengeance, de conspiration et de drames qui vont vous conduire à introduire des objets tranchants dans plein de gens moches. À vrai dire, c’est presque dommage que cette preview n’en dise pas un petit peu plus sur ce qui nous attend dans la suite de l’aventure, car Trek to Yomi peinera à maintenir l’attention sur des heures et des heures s’il n’est qu’une suite de tableaux où l’on massacre des crapules dans des villages de montagne. Il semble que ce ne soit pas le cas, mais les deux niveaux présentés ont de ce point de vue une structure et une ambiance relativement similaires.
Ceci dit, artistiquement parlant, Trek to Yomi n’étonne pas beaucoup, mais surprend par sa grande maîtrise formelle. Du phrasé grandiloquant des acteurs aux effets de grain et de sauts d’image quand le jeu simule un changement de scène et passant par quelques plans à la profondeur étonnante pour un jeu au déroulé majoritairement horizontal, il s’agit d’une expérience esthétique forte, servant admirablement le gameplay. J’avais un peu peur lors des premières minutes que le noir et blanc, mélangé à pas mal d’effets de particules, nuise à la lisibilité de l’action, mais Trek to Yomi est de ce point de vue assez exemplaire.
Tout juste regrettera-t-on le choix étrange d’avoir fait des personnages à la stature un peu mécanique, aux déplacements un peu hachés, donnant parfois l’impression de diriger des pantins un peu raides plutôt que des samouraïs sveltes et agiles. C’est particulièrement vrai dans les scènes cinématiques ou les dialogues avec les personnages secondaires qui zooment un peu trop près de l’action. De loin, tout est assez joli, de près on a quand même l’impression que le moindre humain figuré dans le jeu participe à un concours de charisme négatif. Ce n’est pas très grave, on est pas venu là pour tomber amoureux du héros et de ses compagnons, mais c’est plus gênant lors de certains duels, dans lesquels la posture un peu figée des adversaires et leur manque cruel de traits saillants brisent légèrement l’immersion. Peut-être que le début du jeu manque un chouilla d’un antagoniste marquant ou d’une scène véritablement spectaculaire pour impressionner tout à fait.
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C’est plutôt par son système de combat que Trek to Yomi entend se distinguer de la masse de la production innombrable des jeux qui se résument à « avancer de gauche à droite pour trucider des trucs » (car oui, formellement, Trek to Yomi se résume à peu près à ça). Et pour le coup, le jeu a une approche très intéressante, quelque part entre une phase de boss à la Soulslike 2D (avec gestion de l’endurance, des contres et des combos) et quelque chose évoquant l’antique Bushido Blade, reprenant la dure réalité du combat au sabre : en deux ou trois coups mal encaissés, vous en prenez pour un aller simple pour le cimetière.
Chaque combat (simples grouillots comme boss) se déroule sur un axe horizontal. Vous avez une touche de garde, deux touches d’attaque et, à quelques subtilités près, c’est à peu près tout. À vous de lire dans le jeu de l’adversaire pour parer au bon moment et enchaîner avec les combos efficaces contre tel ou tel type d’ennemi. Tout cela en évitant à tout prix de vous faire encercler, un combat à plus de deux contre un étant à peu près ingérable. Les premiers tableaux du jeu sont un chouilla décevants : on a l’impression que le combo « parer + double attaque » suffit à étaler dans une mare de sang la plupart des adversaires rencontrés. Heureusement, à compter du deuxième chapitre du jeu, des propositions plus variées vous forcent à adapter votre manière de jouer : ennemis en armure, avec davantage d’allonge, nouveaux combos à utiliser dans des circonstances précises, combats impliquant des pièges, etc. Le tout manque un peu de folie (et de challenge), mais au moins, l’impression de toujours faire la même chose s’est vite dissipée, laissant plutôt place au sentiment que Trek to Yomi arrive parfaitement à livrer un système facile à apprendre mais long à maîtriser.
Un point qui m’a par ailleurs fait lever un sourcil et qui reste difficile à trancher sur une unique heure de jeu concerne le level design un peu particulier de Trek to Yomi : chaque tableau recèle généralement un ou plusieurs secrets. Ces secrets peuvent être des consommables cachés dans le décor, un combat bonus, une augmentation de la jauge de santé ou de l’endurance, une quête annexe à effectuer à la volée ou encore un chemin alternatif contournant un groupe d’adversaires. Si on ne peut qu’apprécier ce fait qui pousse à explorer des décors plus fourmillants qu’il n’y parait, il m’a semblé à plusieurs reprises que certains combos et certaines fonctionnalités du jeu pouvaient carrément être ignorés ou manqués sur un simple moment d’inattention. Il m’a semblé dommage que certains éléments centraux de la palette de mouvements du héros soient ainsi récupérés de manière optionnelle, tant cela pourrait être pénalisant dans les moments les plus avancés du jeu. Mais encore une fois, c’est un peu difficile d’être catégorique sur ce point sur la base d’un tutoriel et d’un unique chapitre introductif.
Trek to Yomi a été testé sur PC via une clé preview fournie par l’éditeur. Le jeu est également prévu sur les consoles PlayStation 4, PlayStation 5 et sur les consoles Xbox.
La version preview de Trek to Yomi qui nous a été livrée est jolie, stable et donne une excellente idée de ce que sera le produit final : un jeu sans doute pas parfait, sans doute un peu trop bourrin dans son étalage d’influences lourdement soulignées, mais également un système de combat solide et subtil qui vous fera passer un moment très satisfaisant. Ses quelques défauts de fond tiennent à une action un peu rigide et un level design où il est facile de rater quelques éléments importants, mais dans l’ensemble, c’est de la belle ouvrage dont on a très hâte de découvrir la version finale.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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