Marre des débats sur la difficulté dans le jeu vidéo ? Moi aussi. Et pourtant, en ce début d’année 2022, le studio Sloclap est venu remettre une pièce dans la machine avec son beat them all Sifu, inspiré des films d’arts martiaux asiatiques des années 60 à 80, dans une sorte de compile-magma dont toute la communication a été axée sur le côté extrême de l’expérience. Vous savez quoi ? Dans le cas de Sifu, je pense que s’attarder sur sa supposée difficulté est un faux problème, parce que Sifu n’est pas un jeu particulièrement difficile, c’est un jeu profondément punitif et inhospitalier, ce qui n’est pas la même chose.
Contrairement à ce qui a pu parfois être dit, Sifu ne vous propose jamais vraiment de faire des choses « très difficiles » : multiplier les quarts de cercles à la frame près, réussir des esquives impossibles, appuyer sur 7 boutons en même temps ou encore faire des sauts à l’aveugle. C’est même un jeu qui vous laisse souvent de larges fenêtres d’action, qui s’avère plutôt permissif dans la validation des coups et qui, une fois bien en main, vous propose souvent de multiples façons de vaincre les adversaires qui vous font face par paquets de douze. Et qui ne se cache pas de proposer des combos et des attaques qui marchent quasiment à tous les coups sur la plupart des truands que vous allez croiser, et ce dans des arènes assez grandes pour vous permettre de vous planquer et de tabasser tout ce petit monde à votre rythme, par-dessus le marché. Alors pourquoi est-ce que tant de joueurs et de joueuses n’arrivent pas à avancer correctement et de manière fluide dans Sifu, au point qu’une mise à jour consacrée à l’accessibilité est finalement prévue ? Hé bien parce qu’en l’état, Sifu n’est pas spécialement un jeu où vous devez être bon. C’est un jeu que vous devez connaître par cœur pour avancer. Et hélas, Sifu ne vous laisse pas apprendre.
La mort est mon métier
Passons très rapidement sur le contexte général de Sifu : vous avez été laissé·e pour mort·e par des bandits, et quelques années plus tard, vous allez les liquider les uns après les autres. La Mariée était en Noire, Lady Snowblood, vous connaissez tout ça, en principe. Ceci est donc prétexte à vous faire déambuler dans cinq niveaux, découpés en petites arènes où vous allez tabasser des tonnes et des tonnes de sbires avant de vous retrouver face à un des criminels que vous recherchez et passer au niveau suivant. Vous amenez avec vous une panoplie de coups qui font mal aux dents, et vous pouvez ramasser des armes généralement contondantes en chemin pour encore plus de violence, voilà, c’est Sifu. Et même si je ne me sens pas assez spécialiste de la question pour aborder le sujet de l’utilisation discutable que le jeu fait de la culture chinoise, force est de constater que la question a fait se lever quelques sourcils.
Au cœur de l’expérience de jeu se trouve une mécanique assez brutale de die & retry très littéral : au bout de quelques coups encaissés, votre personnage meurt (vraiment pas beaucoup de coups, d’ailleurs, il m’est arrivé de mourir en étant projeté contre un canapé), et a la possibilité de se relever. Revenir à la vie n’est cependant pas gratuit : vous augmentez votre âge du nombre de morts accumulés par niveau. Vous commencez donc à 20 ans, et vous avez jusqu’à 70 ans pour terminer le jeu qui, donc, vous rapproche de plus en plus vite de la tombe à mesure que vos échecs s’empilent. Aucun retour en arrière possible : une année gagnée est définitivement gagnée.
Concrètement, et même s’il existe des possibilités de faire grimper (un peu) sa barre de vie pour compenser les mandales encaissées, Sifu exige de vous que vous le terminiez en ayant à peine deux ou trois K.O par niveau sur l’ensemble du jeu, ce qui implique de ne presque jamais se faire toucher. Et, comme je vous le disais plus haut, ce n’est pas particulièrement difficile une fois qu’on sait à peu près à quoi s’attendre dans chacune des salles traversées (seul le boss final réservant des surprises particulièrement déplaisantes). Le problème, c’est que la première fois que vous rentrez dans un nouvel environnement, vous devez en passer par une phase d’apprentissage assez fastidieuse : ici un ennemi caché qui vous lance une bouteille, là un gros tas de muscle qui vous assomme d’une projection brutale, là encore un demi-boss à l’allonge particulièrement longue ou possédant non pas une mais deux barres d’endurance… Bref, tout est prévu dans Sifu pour que chaque tentative s’achève par un échec, à l’exception de la tentative où vous connaîtrez tout par cœur, ce qui s’avère extrêmement laborieux passé le premier niveau, puisque l’âge accumulé dans ce dernier diminue mécaniquement vos possibilités d’apprentissage dans les suivants. En l’état, Sifu est donc un jeu qui ne vous laisse pas vraiment apprendre. Mais pire : une fois que vous avez appris, il vous force encore et encore à répéter ad nauseam ce que vous avez appris.
Tout est à refaire
Ce qui frappe quand on découvre Sifu, c’est à quel point son personnage central (homme ou femme, vous choisissez) est faiblard : au tapis en quelques claques, une palette de coups tout de même assez limitée, une vitesse toute relative… On n’a pas l’impression d’avoir un grandmaster entre les mains. Une approche qui s’explique par le système d’expérience du jeu, nécessaire à débloquer tout un tas de choses. La barre de focus pour ralentir le temps et faire quelques coups spéciaux, les chopes, la durabilité des armes, votre résistance : tout est conditionné par un double système de score et d’expérience vous permettant de débloquer des compétences particulières sur des autels disséminés dans les niveaux. Là encore, l’approche est un peu bizarre, puisque si vous jouez moins bien, on vous donnera moins de possibilités de jouer mieux, mais passe encore. Le souci, c’est que votre personnage semble aussi avoir un petit problème de mémoire, et n’apprend pas. Pas vraiment.
Vous avez réussi à passer le premier niveau en faisant un quasi perfect et vous arrivez au second à l’âge encore frais de 22 ans en ayant débloqué un tas de compétences ? Pas de bol, vous commencez le niveau suivant à poil, sans aucun des perks débloqués avant. Parce que pour débloquer définitivement une compétence dans Sifu, vous devez l’acheter… Cinq fois. Et même six, pour être exact, en comptant son déblocage initial. Concrètement, cela veut dire refaire le niveau précédent encore, et encore et encore, et refaire un perfect à chaque fois pour ne pas faire augmenter votre âge. Oui, juste pour débloquer la possibilité de faire une balayette ou d’attraper une arme ennemie au vol, sans quoi vous aurez de toutes façons le plus grand mal à progresser ensuite. Une mécanique de grind en boucle dans des niveaux assez courts qui donnent l’impression pour le moins étrange de se retrouver dans une version quick time event du ventre mou d’un donjon d’un Dragon Quest en 1994.
Alors que Sifu propose des combats somme toute amusants et assez bien calibrés dans des environnements variés avec une ambiance parfois discutable mais souvent immersive et réussie, le jeu gâche totalement son effet en vous poussant ainsi à une répétition ad nauseam des exacts mêmes mouvements en boucle, donnant l’impression que votre personnage ne veut tout simplement pas progresser au même rythme que vous.
Un jeu néanmoins prometteur qui peut être amélioré
Résumons : Sifu vous propose de refaire des dizaines et des dizaines de fois les mêmes combats, parce que sa mécanique centrale vous force à la fois à accumuler beaucoup d’expérience et à faire énormément de parties parfaites, sans aucune concession ni moyen de revenir en arrière. Une vision jusqu’au-boutiste du challenge qui se traduit finalement par quelque chose de très, très abrutissant et de très frustrant, puisque la moindre erreur peut y annuler une session entière sans aucune forme de gain. Un peu comme si vous deviez impérativement connaitre la première chanson d’un album par cœur avant d’avoir le droit d’entre-apercevoir la suivante. J’ai beau aimer les jeux avec un challenge élevé, là, je vois surtout de la répétition et de l’ennui.
Cependant, tout n’est pas à jeter, puisque comme je le disais, dans l’absolu, les combats de Sifu sont plutôt amusants et les bonnes idées ne manquent pas, que ce soit dans les types d’arènes présentés ou la manière de réagir des adversaires. Si les développeurs chez Sloclap sont visiblement hostiles à l’idée de niveaux de difficulté à proprement parler, des mises à jour liées à l’accessibilité ont d’ores et déjà été implantées, et ils semblent désormais travailler à l’implantation d’une modulation possible du challenge pour le rendre moins ardu pour les joueurs et les joueuses qui le souhaitent. Pas du tout des niveaux de difficulté avec des fausses moustaches, en tout cas.
Sifu me semble avoir un problème de niche : les utilisateurices véritablement ciblés par le jeu, sans devoir en ressortir terriblement frustré·e·s, sont en réalité assez peu nombreux·euses, comme en atteste le fait que pour le moment, à peine 10 % des joueurs parviennent au troisième boss (sur cinq). Il serait absolument possible de rendre Sifu plus accessible et moins impossible pour une bonne partie des acheteurs du jeu avec énormément de petites idées : permettre de ralentir la mécanique de vieillissement, implémenter une mécanique permettant de l’inverser dans une certaine mesure, moduler le nombre de points d’XP nécessaires au déblocage permanent d’une compétence, minorer un peu la perte de barre de vie liée au vieillissement, permettre d’accumuler de l’expérience sans risquer de mourir via un mode entraînement ou que sais-je encore ?
Non pas que je pense qu’il faille empêcher quiconque d’essayer Sifu en l’état ou que l’approche hardcore de Sloclap soit nécessairement mauvaise, mais admettons tout de même qu’il est dommage qu’un jeu qui réalise de si bonnes ventes ne soit finalement satisfaisant que pour une minorité d’acheteurs et d’acheteuses, et que l’immense majorité ne soit mécaniquement même pas en mesure de voir plus de la moitié du contenu du jeu sans devoir passer dix ou quinze heures à tourner en rond à refaire la même chose et reproduire les mêmes gestes.
Sifu a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et PlayStation 5.
En l’état, Sifu est une expérience à la progression tellement entravée et exigeant tellement de vous que le jeu n’est hélas pas très agréable, même pour qui adore les challenges relevés dans le jeu vidéo. Les mises à jour ultérieures corrigeront sans doute un peu cela, mais en attendant, nous nous retrouvons face à un jeu de combat aussi frustrant que bourré de bonnes idées, un peu gâchées par un rythme très étrange exigeant de vous de passer encore et encore les mêmes skillchecks jusqu’à plus soif. Sifu donne parfois l’impression d’être absolument hors du temps, comme s’il voulait avancer seul et entêté sur un chemin que la plupart des autres jeux réputés pour leur grande difficulté ou leur challenge relevé (Dark Souls, Celeste, Nioh, Valorant, Doom…) avaient abandonné parce que finalement pas assez amusant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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