Joe Richardson crée des jeux tout seul. Des jeux bizarres. En utilisant des tableaux de la Renaissance et de la musique d’époque libre de droit, et une certaine dose de joyeux mauvais goût absurde inspiré des films et des sketchs des Monty Python. Il n’est pas le premier, mais probablement celui qui a poussé le plus loin le concept.
Le saviez-vous ? La fameuse troupe de comiques anglais a elle-même bénéficié de son propre jeu dérivé dans les années 90, déjà basé sur le détournement absurde et potache de l’iconographie médiévale. Selon les auteurs du jeu, une complète perte de temps. Plus proche de nous, le jeu d’aventure Aviary Attorney utilisait des gravures animalières de JJ Grandville du XIXè siècle pour nous restituer le Paris étrange des années 1840. The Procession to Calvary, second jeu de Joe Richardson à utiliser ce concept après son Four Last Things en 2017, pioche plutôt du côté de la Renaissance : Botticelli et Rembrandt au chara design, Bach et Handel à la musique. Le prétexte qui sous-tend ces quelques heures de promenade hilarante et absurde dans le monde de l’art baroque ? Une envie de massacre sur fond de Guerre de Religions, bien sûr. Après tout, c’est aussi ça la Renaissance.
A la poursuite d’Heavenly Peter
Hourra ! La terrible Guerre de Religion est terminée ! John l’Immortel a vaincu les troupes du tyran Heavenly Peter qui s’est enfui à l’étranger comme le lâche qu’il est ! Enfin la paix est revenue sur le royaume, désormais couvert de cadavres et de ruines, de squelettes en train de danser et d’hommes nus en train de lutter sur la plage pour une raison quelconque. Mais, hélas, trois fois hélas, cette excellente nouvelle s’accompagne d’une tragédie : il est désormais interdit de massacrer son prochain, ce qui est pourtant précisément à la fois votre métier et votre plus grande passion. Et que peut bien faire une tueuse privée de tuer, sous le regard sévère des nouvelles autorités religieuses ? Quelle tragédie ! Votre épée vous démangeant déjà, vous suppliez John l’Immortel de vous autoriser à traquer son ennemi. Et sans même attendre sa réponse, vous voilà déjà sur les routes, sabre au clair prête à en découdre ! Sauf qu’à quelques mètres de là, le bateau supposé vous emmener à bon port est coincé : un blessé de guerre a volé les rames pour s’en faire des béquilles. Deux solutions s’offrent alors à vous : persuader le pauvre homme de vous les céder, ou choisir de dégainer votre arme… Et voilà qui résume assez bien le gameplay de The Procession to Calvary.
En effet cette suite de tableaux (littéralement des tableaux de la Renaissance, donc), vous proposera deux approches : soit procéder à la manière des jeux d’aventure traditionnels, en résolvant des énigmes pour le bon plaisir de PNJ pénibles, soit passer au travers en zigouillant un peu tous ceux qui se mettront en travers de votre chemin. Votre personnage étant animé d’une véritable frénésie meurtrière, elle est cependant prévenue dès le départ : ce n’est clairement pas la bonne solution, même si c’est la plus rigolote. En effet, The Procession to Calvary vous avertit rapidement que vos actions vous reviendront en plein visage… Ne serait-ce que parce que si vous commencez à massacrer tout ce qui passe, votre réputation vous précédera, rendant les autres personnages moins coopératifs, vous forçant par la même à utiliser la force de plus en plus souvent. Que voulez-vous, la violence engendre la violence. Un procédé utile, néanmoins, pour les joueurs qui souhaiteraient simplement « traverser » le jeu en se dispensant de résoudre les énigmes, mais qui vous prive de facto d’une bonne partie du contenu du jeu qui vous incite fortement à garder la plupart du temps votre épée au fourreau (même si c’est très, très, très tentant…).
On savait rire en ce temps-là
The Procession to Calvary est un jeu d’aventure court (comptez quatre à six heures pour en voir le bout), dont le gimmick de pouvoir dégainer son épée et tuer tout ce qui passe n’est qu’une sorte de bonus qui vient servir un humour omniprésent, tourné essentiellement vers l’absurde et le décalage. Et vous savez quoi ? C’est pile la durée qu’il doit avoir. Parce que comme le jeu précédent de Joe Richardson, The Procession to Calvary est une farce, un joyeux hommage à un humour potache et absurde du jeu vidéo d’aventure des années 80 et 90 qui faisait souvent passer l’impact des punchlines avant la cohérence des énigmes ou la perfection du gameplay. Ici la juste récompense à une énigme résolue, c’est des dialogues savoureux et des situations grotesques.
A cet égard, l’utilisation de personnages de peintures de la Renaissance, les interactions stupides avec le décor (vous pouvez vous suicider bêtement dès le second écran du jeu), les petits coups de coude discrets au 4è mur ou les dialogues plein de nonsense sur la religion, la violence, l’art ou l’immortalité, tout ceci fait mouche. The Procession to Calvary est un jeu drôle, avec un humour tantôt noir, tantôt potache, mais jamais malveillant. Et on ne redira jamais assez à quel point l’humour, passé quelques blagues éculées à base de sidekick maladroit, est un parent très pauvre du jeu vidéo. Et dans ce registre, la modernité de ton et l’impertinence de Joe Richardson font de ce titre un jeu bien plus pertinent que d’autres tentatives récentes de faire rire les amateurs du genre.
Jolis tableaux
Cela ne fonctionnerait sans doute pas si bien si The Procession to Calvary ne maîtrisait pas si bien son ambiance farfelue. Chacun des environnements traversés est incroyablement bien choisi, et est mis en scène par une troupe de musiciens (joueurs de luth, angelots, bardes et autres saltimbanques) berçant les oreilles du joueur avec une véritable pièce du répertoire baroque ou classique. Les environnements fourmillent de petits détails amusants et les animations fonctionnent à merveille.
L’auteur s’en donne donc à cœur joie pour mettre en scène tout ce petit monde aux trognes déformées, et y insérer une véritable cohérence scénaristique et graphique, qui ne donne pas l’impression de jouer à une simple blague étirée pendant quatre heures mais bien à un véritable petit jeu qui a réfléchi tant son déroulement que la logique interne de son univers. Situé dans le même univers que le précédent jeu de Joe Richardson, The Procession to Calvary est un parfait stand-alone bénéficiant de l’expérience du développeur sur ce concept d’animer l’art baroque pour en faire une expérience ludique.
Sans être révolutionnaires, les énigmes proposées tout au long du jeu se tiennent et témoignent d’une certaine maîtrise du game design : vous n’aurez en principe pas à dégainer votre épée trop souvent, voire même parviendrez sans doute à remonter jusqu’au mystérieux Heavenly Peter sans avoir à déplorer le moindre cadavre sur votre chemin. Et si vous êtes particulièrement sensible aux charmes de ce voyage absurde, vous aurez le plaisir de trifouiller dans les différentes possibilités d’un jeu proposant trois fins différentes, et un certain nombre de façons idiotes de mourir.
The Procession to Calvary ne marquera pas la Grande Histoire des jeux d’aventure, en ce qu’il n’est ni le premier jeu à utiliser ce procédé ni le point and click le plus brillant de ces dernières années. Mais il est drôle, vendu à un prix relativement modeste (comptez une dizaine d’euros), fait avec cœur et fourmillant de petites idées qui vous arracheront quelques sourires bêtes le temps d’une ou deux soirées. Vous auriez tort de vous en priver !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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