Pour ce nouveau jeu, Mike Bithell ne s’est pas préoccupé des habituels communiqués de presse et tweets soigneusement préparés avec quelques screenshots pour faire monter la hype. Non, la sortie de Subsurface Circular s’est faite discrètement, avec un simple tweet de la part de son créateur pour donner le lien Steam et rien de plus. Il faut dire que le sujet du jeu et son ambition se suffisent pour attirer de potentiels joueurs : une histoire de robots et une expérience narrative courte mais satisfaisante pour un petit prix. Le but ? Dépoussiérer le genre de l’aventure textuelle, en proposant quelque chose de plus moderne, avec un récit intense et des graphismes soignés. Pari réussi ?
Le jeu commence avec votre personnage, assis dans le métro. Vous êtes un robot, appelés « teks » dans le jeu, détective et vous êtes chargé d’attendre sur votre siège que vos responsables vous assignent une mission. Mais votre routine se trouve bousculée lorsqu’un tek vient vous voir pour vous parler de son ami disparu et vous supplie de le retrouver. Au diable les ordres et les lois, vous décidez d’enquêter clandestinement et pour cela, il vous faudra interroger chaque passager durant la durée du voyage en métro.
One One dans le métro
Comme dit précédemment, votre personnage (appelé Theta One One dans ma partie) a donc pris la décision de mener l’enquête, sans accord de sa hiérarchie. Votre seul moyen de découvrir la vérité sera d’interroger les passagers qui rentreront dans votre wagon. Chaque tek aura une personnalité différente selon son « métier » (plus proche de l’esclavagisme au final) : certains seront très intelligents car ils auront été programmés pour des tâches complexes comme des psychiatres ou des comptables. D’autres, plus simples, sont chargés des tâches manuelles. A vous de vous débrouiller pour avoir des réponses à vos questions. Et parfois, ce sera assez compliqué car en plus de l’animosité envers les robots détectives, vus comme des traîtres, certains auront des demandes auxquelles vous devrez répondre avant de pouvoir les interroger.
Le gameplay à proprement parler ne consiste qu’à choisir des phrases et des mots-clés débloqués au fur et à mesure de vos discussions afin d’avoir des réponses. Parfois quelques puzzles rendront la chose un peu plus palpitante, qui nécessiteront de prendre un papier et un stylo (ou juste de cliquer sur l’option d’aide incluse dans le jeu). En soi, je n’ai rien contre ce genre de « gameplay », sinon j’aurais été bien sotte de choisir ce jeu. Mais Subsurface Circular possède un défaut inhérent à la plupart des aventures textuelles et qui m’a toujours irritée : les dialogues ne changent pas selon vos choix. Tout au plus vous aurez le droit à une réplique un peu différente mais au final, le PNJ continuera à dérouler son discours de la même façon. Et c’est très frustrant. Pourquoi un tek continue-t-il de me raconter sa vie alors que mon personnage lui a clairement fait comprendre qu’il était ennuyé par son bavardage ? Et pourquoi n’y a-t’il même pas une mauvaise fin, alors que l’on a dès le début des options de dialogue nous permettant de refuser l’enquête ? Qui sont sans effet puisque le jeu se contente de ne pas avancer jusqu’à ce que l’on clique sur l’option pour l’accepter. Je trouve les faux choix encore plus énervants que l’absence de choix et Subsurface Circular est très décevant de ce côté-là.
Le cycle des robots
Forcément, qui dit robot dit Asimov. Les teks du jeu sont donc soumis aux trois lois de la robotique, ce qu’on nous explique dès le début. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l’oeuvre d’Asimov (honte sur vous), petit résumé des trois lois de la robotique :
- Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger
- Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première Loi
- Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième Loi
Mais on comprend assez rapidement que l’application de ces règles est assez floue puisque votre robot est un détective qui doit parfois enquêter sur des actions commises par des teks qui les enfreignent. Et dès le début, votre personnage est d’ailleurs en contradiction avec la deuxième loi : il désobéit sciemment à sa hiérarchie en prenant une enquête donnée par un tek sur laquelle il n’a pas été assigné officiellement. Après tout, ça n’a rien de surprenant puisque dans l’oeuvre d’Asimov, certains robots les plus intelligents arrivent dans des cas extrêmes à contourner ces lois.
D’ailleurs, le protagoniste rappelle un certain robot au coeur de quelques histoires de l’auteur : R. Daneel Olivaw. Alors certes, dans Sursurface Circular, votre tek n’a pas une apparence humaine et n’est pas télépathe. Mais comme lui, c’est un détective et comme lui, il est appelé à prendre une décision incluant une nouvelle loi de la robotique, la loi Zéro : « Un robot ne peut pas porter atteinte à l’humanité, ni, par son inaction, permettre que l’humanité soit exposée au danger ». Cette loi, présente à la fin du Cycle des Robots d’Asimov, n’est pas explicitée dans le jeu mais elle est le problème principal qui se pose à votre personnage : quel choix faire pour protéger les teks et l’Humanité ? A qui obéir ? Quelle décision fera le moins de mal des deux côtés ?
On voit donc que le récit reste ici dans un contexte de science-fiction plutôt classique. Rien de révolutionnaire au niveau de la perception des robots, on se réfère à ce bon vieux Asimov, quitte à prendre quelques libertés avec son oeuvre : à certains moments, votre tek ne semble même pas être soumis aux Lois qu’on nous rabâche depuis le début et c’est assez déconcertant. Mais la narration n’en souffre pas spécialement, seuls les fans tiqueront un peu.
Classique mais efficace
Comme pour son inspiration, Subsurface Circular reste dans le classique concernant ses thèmes. On retrouvera l’habituel racisme des humains envers les robots et l’automatisation du travail. A travers vos discussions avec des teks plus habitués que le vôtre à côtoyer des humains, vous vous rendez compte qu’un parti politique est ouvertement anti-robot et que l’animosité envers les teks tient à deux choses simples : ils ne ressemblent pas aux humains et ils prennent leur travail. Dans le jeu, en plus de s’occuper de simples tâches manuelles et pénibles pour les « vivants », certains robots plus intelligents ont été construits pour occuper de hauts postes : psychiatre, ressources humaines, communication, garde d’enfants… Une grande partie de l’humanité se retrouve donc sans but dans la vie et retourne son amertume contre des cibles faciles. Obéissants aux Lois, ces êtres robotiques ne peuvent d’autant plus pas les blesser, ce qui n’empêche pas les Hommes d’avoir peur d’eux.
Evidemment, comme dans tout jeu qui parle de racisme, le parallèle avec l’actualité et notre vie réelle est facile à faire et nous ne tomberons pas dans cette facilité. Plusieurs personnes en ont sûrement déjà parlé mieux que nous à propos d’autres oeuvres de science-fiction. Du très classique donc niveau récit mais la réalisation est efficace, l’interface utilisateur est agréable et le texte n’est jamais assez conséquent pour devenir fastidieux à digérer. On apprécie de lire les points de vue des différents teks et d’en apprendre un peu plus sur eux-mêmes en même temps.
Cependant, cette façon de raconter l’histoire souffre d’un défaut : dès le début, on est beaucoup plus enclin à prendre le parti des teks, en oubliant que nous sommes humains. Les Hommes ici ne sont décrits que comme des oppresseurs qui n’ont libéré les teks de la possession par de riches propriétaires que pour mieux les esclavager au nom de l’Etat. Les seuls êtres humains dont nous entendons parler sont ceux qui dirigent, forcément les grands méchants donc, au détriment du peuple et de ceux qui souffrent de ne pas pouvoir réaliser le métier de leur rêve car un tek est plus efficace qu’eux. Du coup, le choix que l’on est amené à faire semble très simple. L’opinion du scénariste semble être développée sous nos yeux, jusque dans la description des conséquences possibles. Un peu dommage, même si apparemment choisir n’a pas été aussi évident pour tout le monde si j’en crois une discussion Steam.
Malgré quelques défauts de narration évidents et des thèmes plutôt classiques, Subsurface Circular reste une aventure agréable à un prix dérisoire qui mérite d’être testée. Le jeu s’adressera surtout à ceux qui ont du mal à se concentrer sur un livre et que le fait de cliquer permet de garder accrochés, ou les mordus de science-fiction qui sont prêts à vivre une histoire classique juste pour les beaux graphismes de robots derrière. Pour les autres, je vous conseillerais de peut-être aller à la bibliothèque vous prendre un bon livre parlant de robots, vous aurez peu ou prou les mêmes pistes de réflexion et les mêmes problématiques. Rien de révolutionnaire donc mais juste un bon moment.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024