Stela, premier jeu en solo de SkyBox Labs, tente de se faire une place dans la famille des cinematic plateformers et, à la recherche d’une atmosphère à lui, se paume dans le brouillard.
La VR vit, semble-t-il, actuellement les meilleures heures de sa jeune vie prématurée. Et alors que les constructeurs de casques tentent en vain de forcer le succès de leurs accessoires de luxe à grands coups de révolutions marketing, notre joyeuse rédac’ virtuelle se réjouit d’imaginer Tritri, parmi nous unique possesseur d’une de ces jolies machineries, enchaîner les flexions sur Half-Life : Alyx, genoux craquants et équilibre instable, battant l’air de ses bras affolés pour éviter le câlin baveux d’un headcrab en manque d’amour. En attendant qu’il soit filmé à son insu afin qu’on puisse relancer la section vidéo du site, notons l’autre sortie événement de la réalité virtuelle, à savoir Paper Beast, dernier projet en date porté par Eric Chahi.
En 1991, le développeur français sortait Another World, jeu d’aventure en 2D dont la narration fluide et le game design, effaçant presque toute trace du jeu (l’interface, les dialogues explicatifs, les systèmes autres que celui de « l’action ») allait influencer durablement ses pairs. Jusqu’à aujourd’hui avec Stela, premier jeu solo du studio canadien SkyBox Labs, artisan de l’ombre habitué aux collaborations avec les grosses pointures, en premier lieu Microsoft, son Minecraft et le prochain opus de la série Halo : Infinite. Porté par une patte artistique sûre d’elle et un désir cinématographique cherchant à tutoyer les grands récits abstraits du jeu vidéo sortis sous le haut patronage du titre de Chahi, Stela peine pourtant à capter l’attention de son spectateur de joueur, le temps des 2h qu’il faut pour voir les crédits défiler.
Pourquoi pas moi ?
Une jeune femme vêtue de blanc apparait sous une stèle noire au cœur d’une cave. Rapidement, l’univers de Stela va se préciser : des landes étouffant dans le brouillard, un air sec, âpre, seulement agité par une faune hostile engagée dans la défense de son territoire et la décrépitude des lieux traversés, au sol toujours prompt à se briser sous nos pas. La patte graphique douce parvient à donner un minimum de caractère aux environnements, baignant, question de logique, dans une ambiance homogène mais un peu monotone, que viennent bousculer de rares visions marquantes. À l’instar de cette course dans la plaine, à contre-jour, où une pluie de flèches enflammées s’élève de l’horizon pour venir frapper les terres brûlées où nous marchons, c’est lorsqu’elles jouent avec la profondeur de champ que les séquences se détachent les unes des autres ou de ce qui s’observe dans d’autres titres. D’autant plus lorsqu’une mécanique de gameplay vient s’y greffer, ce qui n’arrive, au final, que peu.
On ne fait pas qu’avancer tout droit, dans Stela. Enfin si, mais au rythme de différentes phases de puzzles et de plateforme qui servent pour l’essentiel à ponctuer une progression d’une linéarité étonnante. Accessibles à un public novice en la matière, elles ne brillent ni par leur originalité (une caisse à pousser, le timing à respecter lors d’une infiltration, maintes courses poursuites qui se joueront sur un faux fil tendu), ni par leur diversité et quelques minutes suffiront à les traverser avant de reprendre le cours de notre exploration en terres inconnues connues. Il n’y a guère que lors d’une unique séquence, mêlant avec souplesse les deux mécaniques, que la sauce prendra vraiment. Mais ces moments ludiques très identifiables servent d’abord le jeu, pris dans son ensemble, qu’aurait espéré faire les développeurs et dont le cœur est ailleurs, dans l’épaisseur de son univers. Sauf qu’on a beau chercher, pas moyen d’y trouver ce qui marquera le nôtre, de cœur.
C’tait pas la bonne
Depuis Another World, le sous-genre du cinematic plateformer (qu’on pourrait peut-être définir comme un jeu de plateforme misant avant tout sur la mise en scène de son univers, avec plus ou moins de couches de gameplay) s’est vu enrichi de plusieurs représentants marquants. On pense évidemment aux jeux portés par Fumito Ueda et la Team Ico, aux Limbo et Inside de Playdead ou encore au chouette Planet Alpha, première production de Planet Alpha Game Studio (faites un effort pour vos noms, svp). Dans cette droite lignée, Stela est avant tout une invitation à se plonger dans un univers singulier, se laisser couler dans une ambiance qui lui est propre, construite par sa direction artistique, son rythme, son lore. Trouver la distance nécessaire demande un certain doigté et, dans le cas d’une expression sans dialogues, une science de la narration environnementale particulièrement redoutable. C’est malheureusement sur ce point que le bât blesse le plus. Si la légèreté des puzzles pouvait faire sens, cela aurait dû être au profit d’une richesse bien moins pâlotte qu’elle ne l’est en fin de compte.
Du déséquilibre, du manque d’ambition ou de moyens, on ne saurait dire ce qui l’emporte le plus dans cette emprise pourtant volontaire. A contrario des étendues grandes et calmes qui nous accueillent, peu voire pas de place n’est laissée à la contemplation, et on avance parfois avec la sensation que SkyBox a eu peur de se laisser gagner par le calme, la respiration d’un monde qui, comme le dit le communiqué de presse, « est en train de mourir ». Et ce sans pour autant saisir l’occasion de retranscrire à une échelle plus globale le motif de la fuite en avant, répété à chacune des rencontres avec les locaux. Quant au caractère cinématographique vanté, si tant est que ça veuille dire quelque chose, il s’observe certes dans ces mouvements de caméra qui replacent de temps à autre l’héroïne au cœur du paysage, soulignant sa fragilité et invitant à imaginer le hors cadre, mais le résultat se cantonne bien souvent au choix d’une plongée ou d’une contre-plongée pour marquer une fin de chapitre. Sec. Autant que l’imaginaire de cet univers, qui rabat des cartes déjà jouées ailleurs ou sans substance assez conséquente pour s’impliquer dans le destin de la planète ou de ses habitants, réduits à des archétypes qui n’ont pour eux qu’une utilité mécanique. Pour contrebalancer ce manque prégnant ressenti en filigrane de toute l’aventure, la musique de Gordon McGladdery parvient tout de même, malgré un score attendu (percussions brutes et lointaines, cordes dissonantes), à apposer un peu de matière sur ce qui n’est, au fond, pas beaucoup plus qu’un décharné suintant faiblement que, lui aussi, est vivant.
Stela a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
Faire un jeu à ligne si claire n’est pas une sinécure et Stela en est le bon exemple. Porté par des ambitions qui le dépassent, SkyBox Labs rate le hold-up du premier jeu empreint de poésie et livre une expérience plus fade qu’on ne l’aurait souhaité, arrivant à voler quelques instants de bravoure ou d’apaisement à un ensemble inepte. Certes adapté aux joueurs et joueuses néophytes du genre, il n’est au mieux qu’une première marche vers des titres dont la réussite n’est plus à contester ou d’autres tentatives du même acabit mais qui brillent d’une étoile plus troublante.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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