Annoncé il y a à peine trois mois, Spinch est un platformer psychédélique signé Queen Bee et édité par Akupara Games dont on ne savait strictement rien, si ce n’est son aspect ultra bizarre et psychédélique. Quelques trailers remarqués plus loin, on avait toujours aucune idée de ce que cachait ce délire coloré et vaguement inquiétant. La réponse apparaît quelques minutes seulement après la délicate prise en main du jeu : Spinch est un jeu hardcore, pour amateurs de souffrance brute.
Concernant ce genre de jeux très difficiles d’accès, davantage basés sur l’échec multiple et la répétition que sur la réflexion, je trouve toujours utile d’expliquer d’où je pars. Pas pour performer la liste des médailles que j’ai sur le torse (de toute façon je suis tout sauf skillé en matière de jeux demandant coordination et réflexes), mais pour que vous puissiez comprendre qui écrit cet article. Sans être particulièrement amateur du genre, j’arrive, en général avec un peu de persévérance, à venir à bout des expériences « normales » de ce type de jeu : j’ai fini Celeste (juste les faces A), Super Meat Boy, les trois Dark Souls, Sekiro, Titan Souls ou Cuphead. J’ai en revanche été incapable de venir à bout d’un jeu comme The End is Nigh et de finir Bloodborne et Demon’s Souls. J’estime donc être, sur l’échelle des « jeux difficiles », un joueur de niveau moyen, et je pense être arrivé à l’âge où ma marge de progression a, disons, plus que décru. Et je pense qu’à peu de choses près, Spinch aurait pu être exactement un jeu qui aurait été taillé pour moi. Et puis les premiers problèmes sont arrivés.
Super Meth Boy
Rendons d’abord hommage au triomphe quasi incontestable de Spinch en matière de direction artistique. Je suis souvent le premier à me plaindre du côté ou trop générique ou trop visiblement décalqué chez les petits copains des jeux dont j’ai la charge pour ce site. Dans Spinch, on a ouvert les portes de la perception pour proposer un univers qui ne ressemble, dans le meilleur sens du terme, pas à grand-chose de connu.
On y incarne Spinch, un organisme rondouillard étrange et surpuissant, quasi immortel, dont les douze rejetons ont été capturés par des créatures kaléidoscopiques géantes lors d’une « tempête psychédélique » qui a mis le monde sens dessus dessous. La mission de Spinch : retrouver ses enfants dans des niveaux à la difficulté infernale, confronter des boss en forme de couleurs fluo et de regards effrayants en utilisant vos propres enfants comme projectiles, ainsi que quelques bombes récupérées en sauvant des petits machins roses que votre cousin balance par-dessus des fossés dans des niveaux bonus.
Alors, je ne suis pas ce genre de demi-boomer de YouTube à chemise à fleurs à crier « C’EST SANS DOUTE DE LA DROGUE, MDR » à chaque fois que je vois quelque chose de vaguement bizarre ou qui évoque de près ou de loin l’esthétique du psychédélisme. Donc on va plutôt se pencher sur les artisans qui ont permis de rendre justice à cette vision pour le moins curieuse du jeu de plate-forme (mais est-elle plus bizarre que celle de Yoshi’s Island ou de l’Exode d’Abe ?). Si Spinch est si joli et original, c’est parce que les équipes de Queen Bee Games ont choisi de faire confiance à un certain Jesse Jacobs, auteur de comics canadien spécialisé dans le genre mystico-bizzaroïdo-New Age. Plusieurs de ses livres sont par ailleurs édités en France aux éditions Tanibis, et ont figuré dans la sélection du festival d’Angoulême ou des prestigieux Eisner Awards.
La bande-son, tout à l’avenant, est signée par James Kirkpatrick, plasticien et bricoleur protéiforme opérant autant dans la fabrication de masques monstrueux que dans la conception de trames sonores fabriquées à base de Game Boy modifiées. L’ensemble donne un des jeux les plus chouettes à voir et à entendre de l’année, et c’est un petit peu ce que vendaient les rares trailers et images diffusés avant la sortie du jeu, en développement depuis plusieurs années mais officialisé il n’y a que quelques mois dans le long cycle des conférences virtuelles remplaçant l’E3 annulé. Dommage que tout le reste, à savoir le gameplay (et ça compte tout de même un peu dans un jeu vidéo) ne soit pas exactement à la hauteur de ce magnifique écrin.
Accusé, vous êtes reconnu coupable de niveau sous-marin dans un platformer
La courbe de difficulté de Spinch est pourtant bien pensée : le jeu est divisé en mondes de 4 niveaux et un boss, nécessitant à chaque étape de franchir la ligne d’arrivée, si possible en ayant récupéré les trois enfants de Spinch. Tout enfant récupéré l’étant définitivement, pas besoin de s’user les nerfs à récupérer les trois d’un coup au premier run d’un niveau, ce qui est assez plaisant. Je ne déplorerai que le placement parfois curieux des checkpoints internes au niveau, parfois étrangement espacés, parfois beaucoup trop près les uns des autres.
Spinch est un jeu qui marche ainsi beaucoup sur son découpage très rationnel et presque aussi anguleux que ses décors : 4 niveaux = 12 enfants + 2 niveaux bonus = 2 bombes = 14 projectiles pour affronter 1 boss, chaque boss étant une évolution du précédent. Un cycle très géométrique qui se répète mécaniquement jusqu’à la fin de l’aventure, et qui marque à merveille la progression du joueur. Là où le bât blesse, c’est que cette progression est vite heurtée par un certain nombre de problèmes liés à deux fautes graves : la technique défaillante du jeu et sa physique imprécise.
Pour l’aspect technique, je parle hélas de ralentissements (sur Switch, je n’ai pas essayé la version PC), qui, s’ils seraient irritants sur un jeu classique, rendent parfois Spinch quasiment injouable sur certains niveaux nécessitant un très haut niveau de précision. Concernant la physique déployée par le jeu, elle est une conséquence de, je pense, sa simplicité pourtant bienvenue. En effet, Spinch ne multiplie jamais les gimmicks : son gameplay se résume à deux directions (gauche et droite), un bouton de saut et un bouton de dash. Difficile de faire plus épuré. Ce qui serait parfait si Spinch n’avait pas une physique de savon sur une patinoire qui rend toutes manœuvres impliquant un minimum de précision absolument injustes. Quand surviennent des niveaux impliquant une physique aquatique (c’est interdit par la Convention de Genève depuis au moins 30 ans) et des tubes propulseurs demandant de dasher à haute vitesse et au pixel près entre des pics, on se retrouve à mourir en boucle juste parce que le personnage glisse dans tous les sens et met parfois plus d’une seconde à se retourner : on est loin de la précision ultra millimétrée que proposait Celeste.
T’es joli mais t’es pas polish
Spinch multiplie cependant les petites idées intéressantes qui devraient rendre l’expérience moins frustrante que nombre de jeux du même genre : une absence de game over et des checkpoints dans les niveaux qui favorisent l’apprentissage, des mécaniques de jeu toujours parfaitement expliquées alors que le jeu est quasi muet. Le level design, s’il avait été plus précis, est aussi très créatif, bien plus que d’autres jeux du même genre. Il fait même preuve d’une variété bienvenue, alternant la pure plate-forme aux courses poursuites à quelques niveaux avec une physique modifiée ou des règles particulières, immédiatement compréhensibles. On apprécie aussi que le jeu « récompense » le joueur patient et observateur en lui fournissant une plus grande barre de vie si, dans certains niveaux, il attrape des cœurs souvent un peu cachés dans le décor.
Mais une fois bouclé, Spinch donne l’impression de ne pas avoir été tout à fait terminé avant d’être envoyé sur nos étals virtuels. Pas tout à fait assez précis, pas tout à fait assez rigoureux. En témoignent des bizarreries comme l’impossibilité de rejouer les niveaux bonus : les rater est lourdement handicapant pour vaincre les boss de fin de monde, les réussir, quasiment impossible du premier coup. Comme si les développeurs n’avaient tout simplement pas réfléchi aux différents usages du jeu. Visiblement pensé pour s’adapter à la scène speedrun (l’éditeur a même lancé des concours de speedrun quelques jours après le lancement du jeu), il manque à Spinch des features importantes de celui-ci, comme la possibilité d’annuler les enfants récoltés dans un niveau ou d’affronter à nouveau les boss.
Et pour le plus grand public moins à l’aise avec cette notion de platformer hardcore, il manque clairement une dimension d’équilibrage : mode assist, modulation de la difficulté comme le proposait Celeste, possibilité de moduler le nombre de points de vie du personnage, etc. Il y a un certain hermétisme de la formule proposée par Spinch qui coupera le résultat, pas déshonorant, de son public potentiel. Akupara Games se serait honoré à sortir Spinch dans une version plus aboutie, moins frustrante et rendant hommage à toutes les belles idées qu’il propose.
Spinch a été testé sur Switch, via une clé reçue par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC.
Spinch, au-delà d’une direction artistique superbe, est aussi un jeu terriblement difficile, ce qui en soi n’est pas un problème. Hélas, ce genre de titre doit s’accompagner d’une forme d’excellence dans la précision du gameplay, ce dont Spinch manque pour le moment cruellement. La version Switch sur laquelle nous avons souffert pendant des heures souffre, de plus, de ralentissements particulièrement handicapants, et d’une imprécision générale dans les commandes qui me laisse à penser que Spinch n’aurait pas volé quelques semaines de polish supplémentaires. Espérons que quelques patches arrangeront un peu cela dans les semaines et les mois qui viennent !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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