Petit jeu d’action 2D façon Hollow Knight signé par le studio philippin Pantoy Games, Trance mise davantage sur l’intensité de l’expérience que sur la variété du contenu, et promet une difficulté impitoyable.
Le débat sur la difficulté dans les jeux vidéo, c’est comme Manuel Valls : ça revient toutes les trois semaines dans vos timelines, et ce n’est jamais très intéressant. Néanmoins, posons les bases : on sera tous et toutes d’accord, je pense, pour admettre qu’il existe des jeux difficiles. Et qu’une partie des joueurs et des joueuses aiment ça. Ce ne sont pas les Mardi Douleur de notre cher Shift qui témoigneront du contraire. Et je pense qu’on peut aussi convenir que si la difficulté à une pertinence dans le jeu vidéo, c’est quand elle a été savamment pensée par les développeurs des jeux, davantage que quand elle procède d’erreurs dans la conception du gameplay, de bugs ou encore d’un level design approximatif. Le problème de Trance, c’est qu’avec toute l’indulgence du monde, on est tout de même forcé de le fourrer dans cette seconde catégorie.
Ils s’en sont payé une bonne Trance
Trance a été trahie par ceux qu’elle a toujours aimé. Laissée pour morte dans un simili domaine onirique et ténébreux oscillant entre le monochrome et le bicolore, la voilà qui se réveille dans un lit/feu de camp au milieu d’un hub, bien décidée à aller dégommer celles et ceux qui lui ont tourné le dos. C’est simple, c’est ultra-minimaliste, c’est efficace et c’est un excellent prétexte à vous faire partir de ce hub pour arpenter une série de courts niveaux terminés par un boss à occire.
Trance mise sur une sobriété narrative bienvenue qui se double parfaitement d’une proposition réduite à l’extrême concernant les objectifs du jeu. Les développeurs l’affirment dans le synopsis du jeu : on est sur une expérience volontairement courte, vendue pour moins de 5€, misant sur la densité et non sur l’allongement ad nauseam de la proposition. L’application du principe du « jeu plus court et plus moche fait par moins de monde mais mieux rémunérés« , en somme. C’est une excellente chose que des propositions comme Trance existent, voire se multiplient : une expérience concise, financièrement accessible, et ne multipliant pas les strates de gameplay pour se concentrer sur une forme d’épure et d’excellence. Il n’y a pas de gras, et c’est très bien ainsi.
De fait, Trance ne propose formellement que très peu de choses : au début, le personnage peut sauter et frapper, et c’est tout. Chaque boss vaincu vous offre une compétence supplémentaire : un double saut, un dash, un bouclier etc. Et c’est tout. Avancer, sauter, taper, éviter de mourir, atteindre le prochain feu de camp et ainsi de suite jusqu’au boss, puis jusqu’au combat final qui s’atteint en moins de 5h. On a tout en main en quelques secondes, chaque niveau ne comporte que quelques tableaux, on peut donc se concentrer sur l’essentiel : le niveau de difficulté volontairement très élevé du jeu. Les boss sont redoutables et vous écharpent en trois coups. Et dans les phases de plateformes, aux checkpoints très éloignés les uns des autres, deux erreurs et c’est le game over. Dans ce jeu sans item, le seul moyen de regagner de la vie est d’attendre, Trance récupérant peu à peu son énergie quand elle ne subit pas de dommage. C’est donc une proposition brutale, sèche, mais on est là pour ça. Le problème, c’est que pour qu’on s’amuse un peu, il aurait fallu que le principal ennemi, dans Trance, ne soit pas la manette elle-même.
Tourner le dos aux problèmes
Trance est une protagoniste facétieuse : dès que vous lâchez le bouton directionnel, elle se met brutalement à faire face à la direction opposée à votre imput. Exemple : le boss que je dois frapper est à droite, je cours donc vers la droite puis, arrivé à la frame précédant le boss en question, je lâche le bouton directionnel et je frappe… dans le vide, puisque Trance fait immédiatement et mystérieusement face vers la gauche. Ce n’est qu’un exemple des multiples imprécisions dans les commandes du jeu mais c’est la plus frustrante, tant on passe son temps à brasser de l’air avec son épée, se retourner, recommencer, ajoutant de la difficulté là où il ne devrait pas y en avoir.
Le problème de Trance, c’est que ses bonnes idées sont systématiquement gâchées par des petites erreurs de ce genre : dash vers une partie invisible du décor qui s’avère piégée, collisions étranges qui conduisent souvent à se prendre des dégâts alors qu’aucun pixel n’est en contact avec la surface dangereuse etc. L’inverse est également vrai : parfois on a l’impression de mystérieusement passer au travers de coups qu’on aurait du prendre ou de carrément « abuser » de la générosité des frames d’invincibilité entre deux impacts. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de « zapper » une phase de plateformes particulièrement difficile en me faisant volontairement toucher puis en courant jusqu’au prochain endroit sécurisé avant d’attendre que ma barre de vie se remplisse à nouveau. Pas franchement satisfaisant.
Je tiens néanmoins à souligner que malgré ça, Trance a de bonnes idées et reste assez accrocheur pendant quelques heures. Les niveaux utilisent plutôt bien les différents pouvoirs débloqués et la variété des situations renouvelle agréablement l’expérience à mesure qu’on étend sa palette de déplacements depuis le hub central. Au point qu’on pourrait presque passer outre ces problèmes de commande dont on finit malgré tout par se dépêtrer. Hélas, Trance connait un dernier écueil majeur : ses plus gros pics de difficulté ne viennent même pas du fait que les mouvements de l’héroïne sont imprécis, mais bien des boss qui sont des sacs à points de vie sans fond.
Hit me baby 240 times
Chaque boss se découpe en deux phases : une où il est dangereux mais assez lent, utile pour apprendre ses trois ou quatre attaques principales, et une seconde où il est environ deux fois plus rapide et où sa palette d’attaque est plus variée. Rien que de très classique, en somme.
La particularité de Trance, c’est que les boss ont également une jauge de bouclier : tant que celle-ci n’a pas été vidée, on ne fait concrètement aucun dommage à l’adversaire. Quand la jauge de bouclier tombe, nous avons exactement trois ou quatre secondes pour causer des dommages au boss en lui filant une dizaine de coups d’épée… souvent gâchés, je le rappelle, par le fait que le personnage tape dans le vide en se retournant sans raison. Pour vider une barre de vie complète, il faut souvent renouveler ce manège trois fois, chaque barre de bouclier pouvant tenir jusqu’à une trentaine d’impacts. Puis il faut multiplier cela par deux, puisque chaque boss a une seconde phase.
Mettons un chiffre sur ce constat. Pour faire tomber un ennemi dans Trance, vous aurez souvent, au GRAND MINIMUM et en admettant que vous ne ratiez pas votre cible ni ne tapiez jamais dans le vide : 3 x 40 x 2 = 240 coups à infliger à l’adversaire, le tout en se faisant toucher moins de 3 ou 4 fois selon la régénération de notre barre de vie. En pratique, tous les boss mettent environ 10 ou 15 minutes avant d’être défaits, même en optimisant vos techniques d’attaque, ce qui est conséquent vu le peu de droits à l’erreur offerts.
On est dans le cadre d’un jeu revendiquant sa difficulté, on pourrait donc se dire qu’on reste dans les clous de la proposition, mais le problème c’est que les boss ne sont pas difficiles ; leurs patterns sont assez simples et on comprend assez vite ce qu’on doit faire pour descendre leur barre de vie de manière efficace. Ils sont juste interminables. La plupart de mes défaites ont été à mettre sur le compte ou des commandes un peu capricieuses ou d’une forme de lassitude, à force de répéter les mêmes attaques des dizaines de fois, qui finit par conduire à une erreur fatale. Faute d’équilibrage, le jeu de Pantoy Games ne récompense pas tant la compétence que la résilience face à des tâches répétitives, ce qui est fatalement décevant au regard de l’idée centrale du jeu : miser sur l’intensité et la concision de l’expérience.
Trance a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Trance est un jeu qui manque assurément d’équilibrage et de polissage. Commandes imprécises, barre de vie des boss réglée trop haut, erreurs dans le level design multipliant les pièges invisibles : la difficulté résulte bien trop de petits problèmes de finition et pas assez des patterns des adversaires ou de la précision demandée dans les sauts entre les pièges. Dommage pour un jeu qui essaye d’être une sorte de Hollow Knight miniature et qui pourrait très bien y prétendre avec un peu plus de rigueur. On espère fort que des mises à jour et des ajustements marginaux vont rendre le jeu un poil moins frustrant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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