Projet secondaire du studio Moonana porté par son animateur, Anglerman, Osteoblasts rejoue avec ambition les mécaniques du RPG pour un résultat un peu confus mais très appréciable.
En décembre 2019, on découvrait Moonana à l’occasion de la sortie de son premier jeu, Virgo Versus The Zodiac. On a méchamment lorgné sur ce RPG bardé d’influences, de Mother à Paper Mario, et sa direction artistique déconcertante en particulier, un arc-en-ciel pastel tout en aplat, qui se servait d’un damier en combat pour donner une impression de perspective, petite scène de théâtre en trompe-l’œil. Pendant que le studio et sa créatrice principale, Nana, s’afféraient sur leur prochain titre, le fort attendu Keylocker, l’animateur attitré de Moonana, Anglerman, développait en quasi solo Osteoblasts via RPG Maker. Le projet, édité pour l’occasion par le jeune studio et avec un coup de main des copains au passage, avait pour lui une patte visuelle garantie et ç’aurait déjà été pas mal. C’est sur le tas que son ambition s’est révélée à nous et ce n’est pas peu dire qu’on a été chahuté sur le chemin. La fanfare funèbre devait bien profiter de son éveil forcé pour s’amuser un peu, on ne lui en tient pas rigueur.
L’Iliaque et l’Odyssée
Au sein des mythologies les plus conventionnelles, les forces du bien se retrouvent souvent à affronter celles du mal. Osteoblasts fait fi de cette chimère pour revenir au combat le plus primaire, le plus dévorant qui soit, celui qui, par-delà temps et espace, marque chacun de l’obligation de choisir son camp, sans considération pour les « ni, ni » ou les « en même temps ». Non, ici, la bataille homérique qui habite tous les esprits est celle qui oppose chiens et chats. Venus des sous-sols où ils avaient été bannis, feu « nos compagnons à quatre pattes » – car il est difficile de trouver quelconque trace des humains – ont repris du poil de la bête et menacent de reprendre le contrôle du territoire durement acquis par Witch Cat. Pour se venir en aide, comme il serait malvenu de faire soi-même le travail, la sorcière nous réveille du sommeil éternel dans lequel on était plongé, sans pour autant prendre la peine d’habiller plus avant notre carcasse de chair, d’organes ou de peau. Première étape dans notre lutte contre les molosses : récupérer les tomates chapardées. Si vous avez déjà touché à un JRPG, vous savez déjà à peu près contre qui ou quoi on finira par se soulever, mais aussi qu’il faut savoir commencer à une échelle modeste.
S’en tenant à cette structure traditionnelle du genre, Osteoblasts pousse encore plus loin qu’ailleurs l’absurde de la quête à l’œuvre. Une fois sorti de terre, notre héros/héroïne n’aura de cesse de se fier aux individus qu’il va rencontrer pour savoir où il pourrait aller ensuite, ses interlocuteurs n’ayant souvent, jusqu’à un certain point dans la progression, eux-mêmes aucune idée de ce qu’il y a à faire dans le coin. Cette absence de repères, le scénario en joue et s’en amuse, quand bien même on aura toujours assez d’informations, aussi vagues soient-elles, pour savoir à peu près où aller. Pince-sans-rire, l’humour distillé tout au long de l’aventure fait souvent mouche – a fortiori par chez nous, où la recherche du bon (jeu de) mot fait partie intégrante du processus de rédaction – et la galerie de personnages rencontrés, à l’instar de ce superbe joueur de trom-bone (eh oui, vous êtes prévenu.es) saura renouveler, au détour d’une réplique, la bonne humeur de la progression.
Si l’avancée à tâtons, dans ces zones et donjons à la brièveté bienvenue, participe à l’ambiance de fin du monde loufoque dont on s’imprègne avec entrain, il faut tout de même avouer qu’on aurait bien aimé cerner avec plus de clarté certaines bascules du scénario. Au lieu de ça, on s’est étonné de la toute nouvelle personnalité développée par notre squelette en armure, sortie un peu de nulle part peu de temps avant le crescendo final, répondant certainement aux quelques embranchements empruntés auparavant. Ces choix ou opportunités saisis, à la faveur, par exemple, d’une exploration des lieux appliquée, mèneront en effet à plusieurs fins – dont certaines secrètes, à ce qu’on a cru comprendre. Sachez néanmoins que pour le prix assez modique du jeu, il faudra quand même une dizaine d’heures pour en voir le bout.
Tartine de phalanges
Là où Osteoblasts s’éloigne des conventions du jeu de rôle, c’est dans sa gestion pour le moins étonnante des affrontements et des statistiques. Ce serait mentir de dire qu’on a, dans les RPG, l’œil rivé sur tous ces nombres qui définissent les forces et faiblesses : à partir du moment où ça augmente de manière à ce que les compétences les plus utiles de tel ou tel personnage soient renforcées, banco. Ici, leur influence sur nos possibilités en combat est bien plus directe et décisive, bien qu’assez ardue à appréhender.
Tout au long du jeu, on ne va pas cesser de looter des trucs et des machins, notamment des pièces d’équipement. Ces armes, outils, charmes et sorts vont, en plus de jouer sur les statistiques, décider quelles techniques seront utilisables en combat. Et il y en a un paquet, garantissant une variété des approches très impressionnante. Il faudra donc faire évoluer son build au fur et à mesure, pour parer au mieux à toutes situations. Dans cette optique, on regrette que l’interface ne soit pas d’une limpidité salutaire, obligeant à faire des allers-retours entre les sous-menus pour vérifier quels sont les effets de l’équipement choisi. Il faudra, en plus de ça, faire attention aux éléments liés à nos techniques, et là tout se complique. Oubliez le traditionnel Feu>Plante>Eau>Feu. Dans Osteoblasts, on manie (à ce moment précis, on a encore besoin des notes sur notre carnet parce que ce n’est toujours pas rentré) la Fumée, le Bruit, la Pluie et la Poussière, chacun étant efficace sur celui qui suit. À cette boucle de quatre s’ajoute la Ferraille et le Null, un peu à part. Chaque élément se voit attribuer une couleur, également liée à une statistique : l’Âme est rouge, et donc liée à la Fumée, par exemple. En augmentant l’Âme, on augmente ainsi la puissance de nos attaques Fumée, mais aussi notre défense contre ce même élément. Ajoutez à cela le fait que les ennemis ont tous un type, indiqué par leur teinte ou la couleur de leurs contours, ou que les attaques physiques ont beau être violette comme le Bruit, leur type reste neutre.
Maintenant, allons appliquer ça en combat, alors que les actions s’enchaînent une fois notre tour lancé, qu’il y a des animations d’armes COLORÉES et que les informations se succèdent à une vitesse folle et aaaaaah !… Sur la dizaine d’heures qu’a duré notre partie, on en a honnêtement mis entre 7 et 8 à s’habituer à ce qu’il se passait, tout en continuant à s’étonner de certains résultats. Ce long temps d’adaptation s’explique, sinon par notre toute personnelle lenteur d’esprit, par l’absence d’un tutoriel clair et agréable à parcourir. Là où cela nuit au jeu, c’est que les combats sont vite terminés, dans notre sens ou celui des ennemis, notamment grâce à la mécanique de contre qui suit chaque attaque physique, et qu’on a tôt fait de s’accrocher à un assemblage d’équipements/techniques qui a fait ses preuves, laissant de côté la tendance du titre pour l’expérimentation. Une défaite nous fait perdre la moitié de notre argent, en plus de nous ramener au précédent checkpoint, dans l’ensemble assez espacés, alors autant vous dire qu’on s’est vite tourné vers la pratique hautement méprisée du savescum – sans jamais avoir à le regretter pour autant.
L’os triche, aigri
Le caractère bidouilleur et inventif d’Osteoblasts a beau lui faire se prendre les pieds dans le tapis, difficile de le lui reprocher. D’autant qu’on a beau rester un tantinet confus devant cette masse d’informations à digérer, se lancer gentiment à l’aveugle fonctionne tout de même bien – comme dit juste au-dessus : abusez des sauvegardes, mazette – et la direction artistique n’est pas la dernière en cause. Partenaire de Nana depuis ses débuts, Anglerman fait montre d’un style macabre superbe. Si les zones traversées baignent dans des teintes grises et ocres, pourtant vite reconnaissables les unes des autres, les combats sont l’occasion d’apprécier la variété du bestiaire à la fois torturé et loufoque, mais également les arrière-plans, saisissants de détails et à qui l’ambiance du jeu doit beaucoup. À l’instar de la bande-son d’Elektrobear, qui dès l’écran d’accueil nous prévient avec le xylophone (évidemment) de Grave Groove, que l’aventure ne se prendra pas au sérieux mais ne manquera pas de style. Déjà derrière les ost de Virgo Versus The Zodiac, de la majorité des épisodes de Momodora et de Minoria, il produit des boucles relativement courtes mais très efficaces, qui font naître une mélancolie bien vivante de ces terres délétères, de ces synthés louches et de ces percussions entraînantes.
Osteoblasts a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu n’est disponible qu’en anglais.
On aurait pu être tenté de dire qu’Osteoblasts est avant tout un jeu d’artiste, mais il n’en est rien. Au-delà d’un style graphique réellement étonnant, à la fois coloré et tout en nuances de gris, et d’une ambiance bon enfant s’amusant de la décrépitude de son monde, le jeu ambitionne de remanier les mécaniques essentielles du RPG, revisitant l’impact des statistiques et de l’équipement sur le système de combat. Si le résultat est un peu confus et demande plus de temps d’adaptation qu’on l’aurait voulu, on ne peut qu’encourager de pareilles initiatives, surtout qu’on finit par se faire au déséquilibre de l’ensemble. L’essai ne vous coûtera, de toute façon, pas bonbon et pourrait bien, si vous tombez sous son charme, vous occuper plus de la dizaine d’heures nécessaire à boucler une première partie : chacune des classes change a minima l’expérience des combats et propose de courtes quêtes secondaires venant enrichir le lore. Tout bénef’.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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