Je vous parlais il y a pas si longtemps que ça de Night Call, que j’avais eu l’occasion d’essayer dans une courte démo. J’y exprimais mes espoirs et mes attentes pour le jeu de Monkey Moon et Black Muffin, édité par Raw Fury. Ayant enfin eu le jeu complet en main, ai-je eu raison de m’extasier ? On va voir ça.
Le début du jeu est semblable à ce que j’avais décrit précédemment, je vais donc éviter de me répéter. L’attaque, le coma, la policière qui vient vous menacer pour que vous enquêtiez pour elle. Cependant, nous avons cette fois le choix entre trois enquêtes, avec des histoires différentes même si la base reste la même, qui servent également de mode de difficulté pour la partie investigation du jeu. Vous avez également la possibilité de choisir un challenge plus ou moins élevé au niveau de l’équilibrage entre le côté gestion et le côté histoire. Enfin, chaque partie se déroule sur cinq nuits d’enquête, la sixième étant consacrée à piéger le coupable si vous avez choisi la bonne personne.
Un jeu narratif avant tout
Chaque nuit se déroule de la même façon : il vous faudra choisir entre aller enquêter dans des lieux d’intérêt, souvent peuplés de gens qui vous doivent des services, prendre des clients ou encore aller à la station service faire un plein, acheter un journal et/ou discuter avec l’employé. Le soir, vous retournez chez vous rassembler les indices ramassés pendant la nuit et regarder votre tableau d’enquête pour vous faire une idée plus précise des suspects sur qui se concentrer. Je vais être honnête avec vous : si vous attendiez Night Call en espérant de la gestion et de l’enquête poussées, passez votre chemin, le propos n’est pas là. Il est assez facile de rassembler des indices, même si vous n’avez pas la chance de rencontrer vos suspects lors de vos courses, les clients étant anonymisés jusqu’à ce que vous vous rapprochiez d’eux. Je me suis également retrouvée à découvert lors d’une partie et à part quelques sueurs froides au niveau de l’essence, il n’y a pas l’air d’avoir vraiment de conséquence à ça. Je vous conseille de faire le plein tant que votre compte n’est pas dans le rouge et vous ne devriez avoir aucun problème à boucler votre partie. Ici, nous ne sommes clairement pas dans un Papers, Please.
Cependant, si vous aviez repéré Night Call pour son potentiel narratif, vous êtes à la bonne place. Même si je peux lui reprocher comme à tous les jeux d’avoir sacrifié une partie du concept pour pouvoir exceller sur une autre, je dois reconnaître que c’est l’un des jeux les mieux écrits que j’ai vu, ce qui me suffit à pardonner ses faiblesses. Il arrive à réaliser l’exploit de rester toujours à la limite de la caricature sans jamais la dépasser, avec juste ce qu’il faut de clichés sur Paris, les taxis et les plans sur la fumée de cigarette qui s’éparpille dans l’air, personnage obligatoire des films noirs. Et ça, c’est grâce au talent d’écriture des équipes, qui retransmettent des moments de vie joyeux, honteux ou incroyablement tristes avec une justesse rarement vue dans le monde vidéoludique. Là où la tendance est au manichéen, avec des choix qui oscillent entre être un ange ou l’incarnation d’Hitler, les personnages de Night Call sont tout en nuances de gris, à l’image de ses magnifiques dessins. Jusqu’au protagoniste, meurtrier dans une autre vie, pour qui on ne peut s’empêcher de ressentir de la sympathie, partagée par nombre de ses connaissances.
Comment faire un jeu politique
Night Call est un jeu politique, il n’y aucun doute à ce sujet. Non pas parce qu’il parle d’actualité brûlante avec de gros sabots tout en niant avoir un avis ou parce qu’il définit un camp du bien ou du mal, juste parce qu’il raconte la vie à travers une pléthore de personnages qui personnifient le quotidien. Un jeune arabe qui a le droit à un contrôle au faciès et à des moqueries parce qu’il a un bouquin de littérature classique sur lui, un couple de femmes qui cherche le donneur idéal, une jeune femme poussée par ses parents modestes à casser le plafond de verre et dépasser son statut social grâce à son éducation, quitte à sacrifier ses rêves, ou encore l’éditorialiste de droite tendance BFM qui marmonne tous les clichés possibles et imaginables sur les grévistes, les français feignants et autres joyeusetés. On se glisse avec délice dans le rôle de chauffeur-confident, on méprise le passager aux propos douteux, on sourit lorsque la nuit suivante on retrouve cette jeune femme qui essaie d’agrandir sa culture cinématographique et qui nous raconte avec passion ce qu’elle vient de voir, quand quelqu’un nous remercie simplement d’avoir été l’oreille qui écoute ou le silence dont ils avaient besoin.
Je peux cependant regretter quelques petites choses. Déjà, l’ajout de petits dessins pour nous indiquer une réponse agréable ou qui trahit l’énervement. Si ce n’est pas aussi horrible et « on the nose » que le bleu et le rouge pour différencier gentil et méchant, je m’en serais passée, histoire que les choix se fassent plus organiquement. J’ai été également interloquée par les quelques passages surnaturels du jeu, auxquels je n’ai pas vraiment eu d’explications dans ma partie et qui semblaient un peu déplacés dans ce jeu ancré dans le réel. Enfin, même si je peux difficilement leur en vouloir vu le travail que ça aurait nécessité, il est quand même déstabilisant de parler de la même façon aux passagers qu’ils fassent partie des suspects ou non. Mais ce ne sont que des détails tant Night Call est un cas d’école pour tout ceux qui voudraient faire un jeu vidéo politique un jour. J’adore les jeux dystopiques, ça ne me dérange pas que les créateurs aient une opinion et le fassent savoir, peu importe leur place sur le spectre politique (sauf les fascistes, mais ça, on en a déjà parlé). Mais il est rassurant pour l’avenir des jeux vidéo d’avoir un titre comme ça, plus subtil, plus vrai, dont la seule source d’inspiration n’est pas Orwell et qui ne pose pas un regard pessimiste ou optimiste sur notre monde mais qui le décrit comme il est, dans sa beauté, dans sa laideur et dans son absurdité.
Night Call a été testé sur PC via un code fourni par l’éditeur.
Comme pour tout jeu narratif, parler de Night Call sans le spoiler est très compliqué. Mais m’appesantir dans la description et les détails ne serait rendre service à personne : Night Call doit être joué, apprécié et savouré. Même si sa rejouabilité est finalement un peu limitée par le peu d’intérêt des enquêtes et la répétition des dialogues, vous aurez largement de quoi faire plusieurs parties, grâce à un casting fourni et la possibilité de conduire plusieurs fois les mêmes personnes et de continuer la discussion. Le titre n’est pas parfait : il reste encore quelques bugs, comme par exemple les courses qui se valident parfois toutes seules sans dialogue, mais rien qui ne devrait vous arrêter. Si mon discours dithyrambique ne vous l’avait pas fait comprendre, je recommande chaudement Night Call, qui est pour le moment l’une des meilleures surprises de 2019.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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