Il y a maintenant mille ans de cela – ou peut-être seulement quatre et j’exagère un tantinet – j’ai commencé à suivre, d’abord avec curiosité puis un franc intérêt, pour déboucher sur une quasi-obsession, les aventures de Mografi, sympathique développeur de Jenny LeClue. À l’époque prévu pour décembre 2016 suite à un Kickstarter très correctement réussi, puis pratiquement trois ans de complications et reports, le voilà qui débarque en ce mois de septembre 2019.
Une sortie annoncée en dernière minute, après des années d’une communication disons, évanescente, constituée d’une news tous les six mois et de retweets des cinq ou six mêmes gifs, m’ayant souvent laissé penser que le développement était au point mort et finirait dans les tréfonds de l’internet. Quand soudain, et probablement un peu poussé au derrière par le lancement de l’Apple Arcade, annonce – trailer – sortie imminente, pour la plus grande joie de nos chers Zali et Chibi, qui respectivement surveillent et demandent les jeux et aiment bien ce genre de surprises dans leur organisation.
Développement très durable
Dix-huit heures après l’avoir lancé, je coupe le générique de fin pour aller lire – avec un peu d’appréhension – les avis postés sur Steam. Est-ce que ça a plu ? Est-ce que ça m’a plu à moi d’ailleurs ? Ce qui est certain, c’est que, comme malheureusement nombre de jeux kickstartés (je te vois Shattered), le résultat n’est plus vraiment conforme à ce qui était promis à son annonce en 2014 ou semblable à ce que j’avais pu voir dans la démo de 2016. C’est un peu triste à dire, mais Jenny LeClue nous a bel et bien fait un coup à la Broken Age. Et comme le titre de Double Fine avant lui, je l’aime malgré tout, même en prenant en compte l’abandon de pans de gameplay pourtant majeurs, la sous-exploitation de certaines idées, l’absence de fin au profit d’un « To be continued… » et ce cruel manque de finition (à venir prochainement, si tout va bien), marque assez évidente de sa sortie en hâte. Mais plutôt que de pleurer sur ce qu’aurait pu (et dû ?) être Jenny LeClue, intéressons-nous à ce qu’il est vraiment.
Et je vais revenir sur ces critiques Steam si vous le voulez bien (et si vous voulez pas c’est pareil), car je trouve qu’elles soulèvent pour certaines un point plutôt intéressant. Positives comme négatives, elles sont quasi-unanimes quant à la qualité graphique du titre, de son esthétique et de son écriture. Jusque là on est bien d’accord : c’est visuellement adorable, les personnages et lieux jouissent d’une esthétique et identité au poil et la narration comme les dialogues sont finement écrits. Cependant, du côté des avis négatifs on retrouve une remarque, qui est : « Jenny LeClue aurait dû être un film d’animation plutôt qu’un jeu » et qui me fait un peu tiquer, tout en ne trouvant pas le propos complètement infondé.
Voici LeClue, pour le cas où
Malgré son aspect de prime abord plateformesque, le titre de Mografi tend finalement surtout vers le point & click avec ce qu’il faut de puzzles, d’objets à ramasser et réutiliser ainsi que de tableaux en 2D à parcourir. Le souci étant que tous ces aspects sont réduits ici à leur forme la plus simple. Pas d’inventaire : Jenny utilise automatiquement le bon item au bon endroit, pas de combinaison d’objets non plus, ni de recherche dans les tableaux puisque tout est indiqué par un marqueur. Plus frustrant encore, certaines énigmes ne nous laissent même pas le temps d’y réfléchir, la pression d’un bouton suffisant à faire apparaître la solution et son exécution. Ah, donc vraiment on nous laisse pas faire grand chose. Idem du côté des dialogues : peu de choix ont vraiment une incidence, quand le jeu ne nous indique pas carrément qu’il n’est pas d’accord avec la décision prise et qu’on va faire comme lui il a décidé. Dites-le si on vous gêne ? C’est que ça donnerait raison aux grincheux de Steam ces façons de faire.
Sauf que je vous ai un peu menti tout compte fait. Ou plutôt, c’est Jenny qui m’a menti et je suis tombé dans le panneau. Le titre de Mografi n’est pas plus un point & click qu’un jeu de plateforme. À peine est-il un jeu de puzzles et d’énigmes (bon un peu quand même, mais visiblement les développeurs ont revu leurs exigences à la baisse pendant la production). Et non, Jenny LeClue lorgne plutôt du côté de la nouvelle interactive. Tout comme il n’a pas échoué à être un jeu, seulement à être le jeu qu’il prétendait être. Peu importe donc si les énigmes se résolvent trop facilement, si les indices arrivent trop vite, si les phases de plateforme se résument à de bêtes « Appuyer pour sauter », préservant son public de tout échec ou Game Over. Car on n’est pas là pour ça. On est là pour suivre l’histoire prévue par les développeurs et ceux-ci ont décidé de fermement nous tenir par la main et nous montrer du doigt tous les points d’intérêt.
Petits meurtres entre énigmes
Oui bon d’accord, pour l’instant tous ces arguments ne jouent pas en sa faveur et il semblerait que notre chère Jenny ait plus sa place au rayon DVD que dans une bibliothèque Steam. Sauf que. Comme dit précédemment, le jeu a subi de nombreux changements dans sa structure et son gameplay, et de ce que j’en ai vu, il semblerait que les majeures modifications soient allées dans le sens de l’épuration des puzzles et de la difficulté. Ce qui fait alors de Jenny LeClue une œuvre pensée en amont comme un jeu vidéo avec une structure, mais surtout, une narration de jeu vidéo. Malgré l’amputation de certaines fonctionnalités (qui, sait-on jamais, arriveront peut-être dans la suite, puisqu’elle est déjà annoncée), c’est donc avec un gameplay précis en tête que les scènes majeures du titre ont été écrites et ces dernières ne fonctionneraient pas en tant que telles via un autre média.
Et elles fonctionnent très bien, autant dans les séquences les plus sombres ou stressantes que les phases d’investigation ou, quand finalement elles arrivent, d’énigmes. Oui, des scènes sombres et je dois avouer que ça m’a pas mal surpris sur le coup, tant le ton du jeu se fait léger dans sa première partie, avec son héroïne toute mignonne, ses décors lumineux et paisibles, et bien sûr, la difficulté qui va avec. Une grande partie de Jenny LeClue m’a donné l’impression que le titre était destiné aux enfants, ce qui m’allait très bien, franchement allez-y, faites des jeux de qualité pour les gosses, c’est super chouette. D’autant que certains messages – dénonçant notamment l’éducation genrée, les inégalités sociales et les piètres (doux euphémisme) conditions de travail des classes populaires – font plaisir à voir et sont traités avec suffisamment de subtilité tout en étant accessibles à tous. Pourtant quelques passages virent aussi au macabre et à l’anxiogène, comme cette séquence de mise en examen par la police qui laisse penser que si Mografi aime vraiment bien les enquêtes, les mystères et les détectives, ce n’est pas la même pour les forces de l’ordre qui, quand elles ne sont pas juste incompétentes, se révèlent malveillantes ou menaçantes, et sans verser à aucun moment dans l’épouvante ou le gore – ça reste visuellement mignon tout du long – certaines séquences peuvent être un peu rudes pour les plus jeunes.
Jenny LeClue Detectivú a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Jenny LeClue n’est pas vraiment ce qu’il voulait et aurait dû être, les développeurs s’étant probablement un peu perdus en cours de route. Il n’est pas non plus complètement fini, à en juger certaines textures baveuses, l’absence de voix, la localisation hasardeuse et ce cliffhanger inopiné, ce qui donne cette impression étrange qu’il est sorti à la fois trop tôt et bien trop tard. Jenny LeClue est parfaitement adorable, extrêmement agréable, facile à suivre et fait très bien l’affaire comme porte d’entrée dans le jeu d’aventure et de puzzle, sans être ennuyeux pour un public plus expérimenté.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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