J’ai réellement été ravi de recevoir Iris and the Giant fin février, après toutes les expériences plutôt tiédasses que je m’étais infligé. Le titre de l’auteur-illustrateur français Louis Rigaud me faisait de l’œil depuis son annonce, avec sa proposition de roguelite/deck-building – c’est vrai que j’étais clairement en manque de ce côté-là – et son esthétique parfaitement adorable se réappropriant la mythologie grecque. Facile et agréable. J’allais être comme à la maison, autant du côté roguelite et cartes que sur l’aspect mythologique et oh dis donc, dès les premières minutes, le réel thème du jeu pointe son nez. Iris and the Giant est là pour nous parler harcèlement scolaire et dépression infantile. Ah donc vraiment comme à la maison. Cool. Coolcoolcool.
Cela fait pratiquement une semaine que je suis techniquement prêt à écrire cette critique : j’ai atteint la fin de plusieurs parties et ai débloqué – parfois non sans mal – plus de 80% du contenu disponible. Cependant, cela fait également une semaine que je laisse le tout décanter, car si j’avais rapidement saisi ce qu’Iris and the Giant voulait me raconter, en retirer un message clair était plus délicat et plus délicat encore : je ne savais trop comment l’aborder, ayant été assez largement touché par la thématique étant môme, mais ne voulant pas spécialement en parler ici. Après tout, nous sommes sur The Pixel Post, pas sur mon blog ou journal intime.
La métaphore dans la peau
Aux dires de son créateur et à ma grande surprise, le scénario et la thématique d’Iris and the Giant n’ont été ajoutés qu’à la toute fin du processus de création, bien après ses mécaniques et son esthétique. À ma grande surprise, car presque tout dans le jeu, de sa structure au gameplay en passant par les détails des décors, se trouve au service de la métaphore du mal-être de notre personnage. La scène d’introduction nous montre une Iris triste et terrifiée tout en haut de son plongeoir durant son cours de piscine et, alors que la cinématique s’achève, la voit plonger autant dans le bassin qu’au cœur d’elle-même, prête à affronter ses démons intérieurs, fruits des larmes du géant pleurant au plus profond de sa poitrine. Une métaphore certes très peu subtile et qui continuera d’être appuyée avec la même insistance tout au long du jeu, mais qui a au moins le mérite d’aborder frontalement le sujet.
Sujet qui, s’il est distillé partout dans le titre – entre amis imaginaires à débloquer, faisant office de succès ; ennemis et boss représentant différents aspects du mal-être ; armes et cartes représentant les moyens de sortir de la dépression et du cercle infernal du harcèlement ; structure rapprochant progressivement Iris de son propre cœur ; aptitudes et pouvoirs directement reliés à sa personnalité – est surtout développé à travers les souvenirs d’Iris, trouvables au gré des parties. J’en parlais récemment à propos du mignon, mais assez creux Skul : l’objectif principal d’un roguelite est de vous donner envie de le relancer encore et encore. Pour cela, Iris and the Giant utilise une technique assez semblable à celle d’Hades et je dois le dire, encore assez peu usitée, qui est de faire avancer l’histoire au fur et à mesure des parties. Là où Hades nous apporte de nouveaux dialogues et développements de personnages entre et pendant chaque run, Iris and the Giant dispose au fil des combats des souvenirs à trouver et regarder.
Message à caractère poussif
Ceux-ci sont l’occasion d’assister au harcèlement dont est victime Iris, à son enfermement dans le dessin et sa passion pour la mythologie grecque, son mutisme, aux tentatives de ses proches pour communiquer avec elle et c’est peut-être là que se tient mon principal souci avec Iris and the Giant. Malgré son sujet peu propice aux galéjades et sa mélancolie latente – amplifiée par sa bande-son, très jolie mais assez peu sautillante – le message du jeu se veut réconfortant. Au gré des souvenirs, on verra le père d’Iris parler avec elle, tenter plusieurs solutions et conseils pour sa fille, l’emmener chez un.e psy et, sans vous raconter les circonstances de sa fin, tend globalement vers un message d’espoir. Et si je ne peux qu’apprécier un récit allant dans ce sens, je suis en revanche moins convaincu par certaines méthodes des parents, allant du discours vaguement culpabilisant « Tu te rends compte que c’est violent pour nous ? » au conseil assez pété « Il faut que tu apprennes à dire non ».
Un aspect qui pourrait s’avérer plutôt oubliable si le jeu ne tablait pas à ce point sur la métaphore et le lien entre la vie d’Iris et le gameplay, transformant ainsi ce fameux « NON » en carte surpuissante du jeu et validant ainsi les conseils du père, qui, s’ils s’en étaient tenus au souvenir, auraient pu laisser les joueurs, joueuses et Iris en juger la pertinence. Dommage, car en liant à ce point les cinématiques et le gameplay, le titre gagne certes en cohérence, mais perd en subtilité et nuance, imposant son point de vue et sa grille de lecture. Bon, je râle, car quelques conseils et remarques s’avèrent vraiment maladroits (et je suis ravi que mes parents à cette époque n’aient pas utilisé la même méthode) sans aucunement être remis en question, mais le message global du jeu demeure profondément bienveillant envers Iris et le final touche je trouve très juste, loin du manichéisme d’un good/bad ending que pourrait laisser craindre un tel sujet.
Match-3 retour
Je parlais plus tôt de ma surprise quant au déroulement du développement du jeu, et celle-ci est d’autant plus grande que le gameplay d’Iris and the Giant s’avère franchement minimaliste sur tous ses aspects, m’ayant donné en premier lieu la sensation d’un jeu prétexte pour raconter son histoire. Le titre est conçu pour s’adresser au plus grand nombre – s’inspirant principalement de jeux mobiles – et table finalement plus du côté d’un match-3 que d’un Slay the Spire. Les cartes utilisées sont définitivement défaussées, il n’y a pas d’effets à combiner, ni de réflexion à propos de la construction de deck : tout est fait pour que les décisions soient prises sur le très court terme, pour des niveaux durant rarement plus de 2/3 minutes et des parties ne dépassant presque jamais la demi-heure. L’énervé de roguelites et de jeux de cartes corsés et stratégiques que je suis a dû revoir un peu ses attentes sur les premières parties, mais l’intérêt se trouve finalement ailleurs.
Outre la découverte de l’histoire partie après partie qui incite à le relancer, le titre propose de la variété à bien d’autres niveaux, histoire que les runs ne soient pas motivées par la seule recherche de souvenirs. Les amis imaginaires – à débloquer en relevant certains défis – apportent bonus et malus pour les parties en cours, les passages secrets à trouver dans les niveaux apportent trésors et boss optionnels et un nombre conséquent d’armes et ennemis ne font leur apparition que tard dans le jeu, renouvelant constamment l’intérêt des parties, qui s’essoufflerait autrement bien vite, tant sa structure et sa stratégie simpliste restent figées. Seule ombre au tableau : on arrive finalement assez rapidement au bout du contenu à débloquer (une grosse dizaine d’heures), soit à peu près le même temps nécessaire pour faire le tour de l’histoire. Restera les défis des amis imaginaires pour les plus acharnés, mais la proposition s’arrêtera ici.
Je déconseillerais ainsi de se lancer dans Iris and the Giant en espérant un roguelite capable d’occuper des centaines d’heures comme peuvent le faire des Slay the Spire, The Binding of Isaac ou Dicey Dungeons, ce n’est ni dans son ambition, ni dans ses capacités. La structure roguelitesque du titre est là pour des questions de rythme d’aventure et, si l’on pousse la métaphore, pour souligner la longueur et répétitivité du combat contre la dépression, mais assez peu pour être joué ad vitam eternam.
Iris and the Giant a été testé sur PC via un code fourni par l’éditeur.
Bien que s’emmêlant un peu les pinceaux dans certains aspects de son message, Louis Rigaud signe ici un titre assez juste et joli, aux thématiques fortes et réussissant presque parfaitement à lier son propos avec ses mécaniques, sa structure, son univers et son esthétique. Iris and the Giant ne sera pas votre prochain mois de nuits blanches sur un deckbuilder (et c’est tant mieux, dormir la nuit c’est appréciable), ni un casse-tête stratégique qui vous occupera des heures durant, mais trouve sa place en tant que petit indé de quelques heures, aux mécaniques simples et agréables, à l’esthétique adorable et à la cohérence quasi-exemplaire.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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