Petit projet de l’éditeur japonais Nippon Ichi Software, void tRrLM(); //Void Terrarium (que l’on appellera simplement Void Terrarium par respect pour mon clavier) s’est surtout fait remarquer pour son titre bizarre, mais pas tant pour ce qu’il entendait proposer. Il faut dire que si le concept du jeu est d’une simplicité enfantine manette en main, il n’est pas si simple à résumer, puisqu’il mélange le roguelite, le donjon RPG, et le gestionnaire de créature virtuelle, à la manière du Tamagochi de nos ancêtres des années 90.
Le problème de la formule Donjon Mystère et de ses divers cousins d’exploration de donjons à la japonaise, c’est qu’elle semble avoir d’ores et déjà livré tout ce qu’elle avait à livrer depuis trois générations de machines : vous descendez dans un donjon, vous ramassez des trucs, et vous recommencez, que vous soyez des Pokémons, des Chocobos, Torneko ou les héros de la série Persona. C’est un sous-genre riche, mais qui peine de plus en plus à proposer une formule un peu fraîche. La faute à un genre par essence répétitif, très axé sur le farming et la collectionnite et dur à marier avec d’autres influences. Void Terrarium prend le problème avec une autre perspective : plutôt que renouveler l’exploration des donjons, il s’intéresse au metagame qui justifie qu’un robot piloté par une souris aille taper des vaches dans des sous-sols abandonnés, en introduisant un scénario plus ambitieux et une partie de gestion à l’ambiance mélancolique et attachante. Le résultat, un peu baroque, est une excellente surprise.
Robots après tout
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le propos de Void Terrarium contraste durement avec son habillage mignon aux couleurs douces et ses personnages kawaii et rondouillards. Le titre prend place sur une planète dont la terraformation a pour le moins mal tourné : après des tensions liées à l’approvisionnement en ressources ayant déclenché des affrontements et des pillages, l’Intelligence Artificielle en charge des installations a utilisé diverses solutions assez radicales ayant conduit à l’extermination de presque tous les humains de la planète. De la surface il ne reste plus que de l’air empoisonné, et des sous-sols plus que des kilomètres de couloirs peuplés de monstres et de machines furieuses.
C’est dans cet univers follement joyeux qu’une petite souris se retrouve accidentellement aux commandes d’un petit robot d’entretien, et accède à la conscience. Après un temps d’errance, elle tombe sur Toriko, une jeune humaine au seuil de la mort ayant survécu on ne sait trop comment à la tragédie. L’I.A ayant causé la catastrophe, souhaitant racheter ses fautes, demande à notre petit robot rongeur de tout faire pour préserver la vie de Toriko, qui commence par l’enfermer dans une grande bouteille stérile pour la préserver de l’air empoisonné ambiant. Dès lors, la quête des deux machines va consister à tout faire pour assurer la survie à court terme de l’humaine : lui trouver de la nourriture, des médicaments, nettoyer et améliorer son habitat, et essayer de lui trouver d’autres congénères avant qu’elle ne sombre dans le désespoir. Pour cela, une seule solution, s’enfoncer dans les entrailles de la planète à la recherche de ressources.
Chaque étape du voyage est assez douce : on sent véritablement l’impact immédiat et positif que l’on a sur Toriko, à chaque meuble ajouté à son terrarium ou à chaque médicament injecté, à chaque fois qu’on lui rapporte de la nourriture acquise de haute lutte dans des donjons mal famés. Mais Void Terrarium ne cherche pas à cacher que l’horizon est assez sombre : est-ce seulement utile de maintenir en vie, dans un aquarium stérile, la dernière représentante d’une espèce ? À quoi bon se battre quand tout est perdu depuis longtemps ? Les solutions envisagées pour faire renaître l’Humanité sont-elles éthiques ? Le jeu arrive assez bien à mêler note d’espoir et ton irrémédiablement sombre, à l’image de sa narration assurée par la fameuse I.A, à la fois cause du génocide des humains et semblant sincèrement vouloir sauver ce qui peut encore l’être. Rares sont les jeux qui ont placé si bas la barre des espoirs auxquels se rattacher, ce qui rend chaque interaction avec Toriko extrêmement précieuse, que ce soit les repas, la disposition de l’habitat, le nettoyage de ses sanitaires ou les soins prodigués en cas de maladie. Et c’est précisément ce pourquoi le dispositif fonctionne.
Quasiment muet, Void Terrarium parvient à faire passer énormément d’émotions dans les échanges entre ses rares personnages, tout en ménageant le rythme de ses révélations. Sans atteindre des sommets du genre, le jeu est bien écrit, et n’a quasiment pas de temps morts, si ce n’est de rares moments de remplissage où le robot contrôlé par le joueur doit faire deux ou trois donjons en boucle pour crafter des éléments nécessaires à l’avancée de l’intrigue. Ils sont cependant assez peu nombreux pour ne pas plomber l’expérience.
Mini Concept, Maxi Efficacité
Void Terrarium se découpe très simplement en deux phases de jeu. La première consiste à s’occuper du Terrarium et à y déplacer des objets, à soigner et nourrir Toriko avec des produits adaptés et de récolter des missions auprès de l’I.A. La seconde phase consiste à explorer des donjons en vue du dessus, au tour par tour, pour y collecter des ressources et des plans pour construire de nouveaux objets pour Toriko. Générés semi-aléatoirement, ils présentent des environnements peu variés, mais dont les différents obstacles et monstres rencontrés et autres bonus récoltés sont assez variés pour ne jamais vraiment lasser. Les runs ne se ressemblent jamais vraiment.
À chaque exploration de donjon, le robot démarre au niveau 1 (plus les bonus permanents récoltés au fil du scénario, qui donnent une impression tangible de progresser en puissance). Généralement, vous êtes en possession d’un objectif : battre un monstre précis, récupérer des médicaments pour Toriko ou des dispositifs pour améliorer le confort du terrarium. Que l’expédition soit un succès ou un échec, les ressources accumulées seront transportées à la base, ce qui est une idée qui coupe une bonne partie de la frustration inhérente au genre : dans Void Terrarium, on progresse sans cesse. Même une run catastrophique où vous seriez éliminé au premier niveau d’un donjon vous sera profitable à moyen terme, puisque vous aurez au minimum récolté un des quatre éléments de base utilisés pour la création de tous les objets du jeu.
On regrettera quand même quelques ventres mous causés par des pics de difficulté rares mais brutaux : à quelques reprises, il m’est arrivé de devoir parcourir plusieurs fois le même donjon en vain, et sans avoir d’autres objectifs disponibles, juste parce que le donjon en question avait dans ses strates inférieures une difficulté vraiment excessive forçant à grinder des améliorations permanentes. Heureusement, dans la deuxième moitié du jeu, les nombreuses possibilités de personnalisation du robot rendent ces moments plus rares et moins irritants. Plus le jeu avance, et plus le joueur a la main sur le côté aléatoire de certains aspects de Void Terrarium : bonus distribués à chaque niveau d’expérience, éléments récoltés, techniques déblocables, tout devient un peu moins la loterie, et un peu plus de la stratégie à adapter à votre style de combat.
Toriko.exe a cessé de fonctionner
L’aspect qui rend Void Terrarium si attachant, c’est la manière dont les deux phases de jeu s’interfacent littéralement par le biais d’une fenêtre dans les phases de donjons, examinant en permanence l’état de Toriko. Si cette dernière commence à avoir faim, tombe malade, s’ennuie ou est victime d’un élément perturbateur quelconque, le rythme de l’exploration du donjon s’en trouve radicalement changé. Faut-il continuer à explorer au risque de voir son état s’aggraver (et causer davantage de problèmes ensuite), ou faut-il revenir à la base avec des ressources de piètre qualité ?
Jamais invasif, ce système renforce en continu le sentiment d’empathie et de se battre pour quelque chose de précis, plutôt que d’effectuer du loot pour le plaisir du loot. Il force aussi à hiérarchiser et à optimiser ce que l’on ramasse dans les donjons. Les poches de notre petit robot étant minuscules, se pose très vite le choix de faire de la place à des ressources inutiles à long terme mais indispensables à la survie de Toriko à brève échéance. Dans le même ordre d’idée, il est possible d’agir à distance sur le terrarium (en le nettoyant depuis un donjon sans interrompre son exploration, par exemple), au prix de lourds malus dans la barre d’énergie qui sert à utiliser des compétences de combat : les choix tactiques qui en découlent sont souvent cornéliens et poussent à une gestion des ressources au cordeau.
Là encore, l’équilibrage de Void Terrarium n’est pas parfait, loin s’en faut. Parfois, Toriko se met à mourir de faim anormalement vite, ou attrape deux fois la même parasitose infernale à soigner. D’autres fois, elle semble se désintéresser de vous et passera deux bonnes heures sans vous solliciter, vous fichant une paix royale. Mais à ces détails près, cet artefact scénaristique par le biais d’une interface homme/machine perçue du point de vue de la machine essayant de faire le meilleur pour une humaine en détresse est une belle trouvaille, qui constitue à faire du jeu de Nippon Ichi Software une des petites perles de cette année 2020. Une année, vous en conviendrez, qui ne perd rien à s’enrouler dans une confortable couette de sensiblerie et du sentiment de se battre pour une juste cause.
void tRrLM(); //Void Terrarium a été testé sur PS4 via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
void tRrLM(); //Void Terrarium applique cette règle essentielle du game design consistant à obtenir un bon jeu en procédant par retranchement. Certes, il ne propose pas énormément de choses différentes si ce n’est un enchaînement de donjons et l’embellissement d’un terrarium sur fond d’histoire tragique. Certes, il n’est pas exempt de défauts (ventres mous réguliers dans le scénario, dialogues parfois poussifs, certains donjons franchement injustes), mais chaque élément du jeu fonctionne à merveille pour s’imbriquer avec tous les autres. Moins aurait été chiche, plus aurait été inutile. On aimerait que davantage de jeux abandonnent l’idée d’en proposer trop pour faire cet exercice difficile mais nécessaire de ne proposer que ce qui fonctionne.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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