Sur une version parallèle de notre planète, il existe très probablement un Shift alternatif, semblable en tous points à celui de notre dimension, mais qui fait des listes sur Sens Critique. Coincée quelque part entre « Les meilleurs morceaux de post-rock » et « Ces films que j’ai vu 31 fois », se trouve sans aucun doute la liste des jeux qui le font se sentir comme un abruti fini. Et si Baba is you y tient forcément la première place, il est tout aussi certain que juste en dessous se tienne Automachef, nouvelle torture culinaire de la Team17, développée cette fois par Hermes Interactive.
Si le rapprochement avec Overcooked peut a priori se faire – de par leur éditeur et thématique en commun – la comparaison s’achève très vite. Déjà parce que ça suffit les comparaisons à tout bout de champ et puis surtout car les deux jeux n’ont finalement pas grand chose à voir. On pourrait même presque parler d’anti-Overcooked tiens. Ici, point de joueurs/joueuses courant dans tous les sens, de frénésie, de coopération ou de légumes traînant par terre. Juste vous, une cuisine quadrillée, des centaines de machines et une entorse du cerveau.
Satisfactoriz
La campagne se découpe en une trentaine de niveaux, pour la plupart construits de la même façon – exception faite de quelques missions optionnelles affreusement difficiles. Une fois les explications (souvent très drôles) de l’IA qui nous embauche terminées, s’affichent trois objectifs. Le premier, obligatoire, consiste en un nombre de plats à servir pour gagner le niveau et les deux suivants, optionnels mais non moins importants, fixent une limite de consommation électrique et d’ingrédients à ne pas dépasser, considération bienvenue en ces temps de surproduction. Pour cela il faudra optimiser au maximum sa chaîne de production, à l’aide de trieuses, réglages de machines, mutualisation de lignes et autres joyeusetés, le tout limité par un budget annoncé en début de mission.
Et on tient ici tout le cœur et l’intérêt d’Automachef. Si achever un niveau se fait sans trop de soucis – du moins au début, ça se corse très fort au bout d’un moment – réussir les objectifs bonus de consommation et d’ingrédients se révèle bien plus tendu et il ne sera pas rare de passer 20/30 minutes, puis carrément des heures, à tenter de gratter quelques Wattheures ou ingrédients. Car le gaspillage c’est mal ! Et que j’aime remplir tous les objectifs. Tout le contentement du titre provient de cet aspect : observer sa chaîne de production tourner à la perfection et servir tous les plats sans retard procure un rare et fort sentiment de fierté qui vaut à lui seul les heures passées à ajuster chaque aspect de sa cuisine.
Sandwich aux tomates programmable
Avec si peu de variations dans les objectifs, on pourrait cependant craindre une certaine répétitivité, mais Hermes Interactive s’en tire aussi très bien de ce côté, grâce à l’apparition constante de nouvelles recettes, qui, très loin d’être de simples changements d’apparence, posent à chaque fois de nouvelles problématiques dans la conception et construction de sa cuisine. À cela s’ajoutent également de nouvelles contraintes (risques d’incendies, de coupures de courant, infestations de nuisibles, salmonelle et j’en passe) qui apparaissent d’abord seules, pour ensuite se cumuler ; de nouvelles machines – qui accélèrent, simplifient, optimisent les moyens de production, mais qui généralement consomment plus de courant – et des tailles de cuisines variables, forçant à toujours plus optimiser et réfléchir la conception de ses chaînes de production. Au delà de la campagne, on pourra également compter sur un mode Contrats, qui propose de créer sa propre entreprise et ajoute une dimension un peu plus stratégique avec achat de machines et gestion différente du budget et de la réputation, ainsi qu’un laboratoire, qui permet d’expérimenter tranquillement dans un grand espace sans contraintes ou buts.
Alors, certes, tout cela peut sembler compliqué – et ça l’est, je me suis réellement questionné sur ma capacité à terminer certaines missions tant elles me semblaient complexes, j’ai tellement cogité sur certains niveaux que je me suis surpris à en rêver ou à les dessiner en dehors de mon temps de jeu pour tenter de les améliorer – mais cet aspect est pas mal contrebalancé par une autre réussite du titre : son accessibilité. Automachef se laisse prendre en main en l’espace de quelques minutes – rendant les premiers tutoriels plutôt dispensables tant le tout est instinctif – et si ses exigences s’affinent au cours du jeu, ses contrôles et son interface eux n’évoluent pas tellement et c’est tant mieux. Les menus sont simples et clairs, les actions faciles à effectuer, les cuisines aisément modelables et il est possible de sauvegarder des morceaux entiers de chaines de production d’un niveau à l’autre, histoire de ne pas avoir à refaire bloc par bloc sa chaîne de frites ou burgers pour la quinzième fois. Le tout est agrémenté d’une esthétique et de bruitages mignons et d’une bande-son sautillante, éliminant définitivement toute trace d’austérité.
Économie d’énergie
Ce qui est dommage, c’est qu’Hermes Interactive se soit arrêté en si bon chemin. À commencer par les missions de didacticiel, qui expliquent en général ce que tout le monde sait ou a deviné (sérieusement, le tuto sur l’économie d’énergie arrive au niveau 7, c’est bon, tout le monde a déjà trouvé en testant des trucs, on a pas attendu), mais se gardent bien de donner les vraies informations, celles qui auraient effectivement mérité un niveau explicatif. Les nouvelles recettes, pourtant un point fondamental du jeu, ne disposent pas de beaucoup plus d’indications qu’un vague schéma oubliant bien de préciser quelle machine peut accomplir telle ou telle tâche. C’est pas bien grave, mais quand on conçoit sa chaîne au bloc près car la cuisine est minuscule et qu’on se rend compte qu’on utilise la mauvaise machine, qu’il faut ajouter un bras robotique, un tapis ou que sais-je et donc tout reconfigurer, hé bien on l’a mauvaise.
Encore un peu plus agaçant, c’est le traitement des nouvelles machines. Une fois de temps en temps, un nouveau robot va avoir le droit à son tutoriel détaillé, mais généralement il ne sera que cité par l’I.A. dans son dialogue de début de niveau, voire apparaîtra totalement en scred dans la liste des machines sans la moindre mention. Et ce n’est pas la description – très vague et succincte – de l’outil qui pourra vraiment aider à s’en servir. On se retrouve donc parfois à galérer sur un niveau sans se rendre compte qu’on est censé se servir de cette nouvelle machine apparue dans la discrétion la plus absolue et au fonctionnement quelque peu obscur. Ce n’est pas fondamentalement grave en soi, après quelques tests on finit par comprendre, mais tout cet aspect ressemble plus à une flemme des développeurs d’aller jusqu’au bout de leurs explications qu’à un vrai parti pris de difficulté – pour un jeu qui n’en a de toute façon pas besoin de plus – et le temps passé à tenter de comprendre machines et recettes n’est en rien intéressant ou compliqué ; seulement frustrant et laborieux, comme s’il fallait d’abord retrouver les pages manquantes du manuel avant de vraiment pouvoir commencer à jouer.
Pas de bouffe dans le lit : ayant testé le jeu sur Switch, je suis allé chercher la démo sur Steam, par acquis de conscience, et le verdict est sans appel : si vous avez le choix, tournez-vous vers la version PC. Sans surprise aucune, Automachef est clairement conçu pour être joué à la souris et au clavier, ça passe surprenamment bien à la manette, mais on y perd tout de même en confort, d’autant plus que la version Switch a quelques tendances à ramer et que certaines cuisines un peu grandes deviennent illisibles si la Switch est en configuration portable. Là où Octopath Traveler perdait en qualité sur PC, la tendance se retrouve inversée pour Automachef.
Automachef a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur.
N’attendez pas d’Automachef autre chose qu’un petit jeu de puzzle/gestion de ressources sympathique et bien fichu. Le titre d’Hermes Interactive ne révolutionne jamais rien, mais s’exécute de bien belle manière, grâce à sa campagne variée et assez corsée, son humour et sa facilité d’accès. On regrettera des explications parfois manquantes ou cryptiques rendant certains niveaux plutôt laborieux, mais rien qui ne devrait décourager les amateurs du genre.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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