Cette fois-ci dans Partie Rapide, Seastrom fait cracher la poudre magique du bout de ses doigts dans Lone Ruin et Koroviev explore une ville brutaliste dans BABBDI.
Lone Ruin
Après s’être lancé dans l’édition avec le remarquable Grapple Dog, Super Rare Games pourrait bien entrer dans le vif du sujet cette année avec sa liste d’Originals reluisante. On les a pour la plupart repérés sur les réseaux sociaux, gifs et courts extraits de gameplay bien choisis partagés par leurs développeurs, avant qu’ils ne passent sous le giron de cet éditeur à la base spécialisé dans les jeux en boite sur Switch. Ce n’est pas le cas du prochain titre de la sélection qui, prêt à débarquer, pourrait peut-être donner de l’élan à ceux qui le suivront : Lone Ruin est développé par Cuddle Monster Games, studio à un unique membre qu’on connaissait déjà pour Hell is Other Demons, shooter platformer ayant fait transpirer à grosses gouttes ce bon Shift. Second jeu commercial de son développeur et deuxième sortie de l’éditeur qui l’accompagne, Lone Ruin porte les espoirs d’une confirmation pour l’un et l’autre, mais il vaut mieux savoir ce qui nous attend avant de se lancer au risque de déchanter un peu.
Merlin l'Empaleur
Un ou une mage, un donjon, des monstres et roulez. Si son précédent jeu lorgnait déjà dessus, Lone Ruin est encore plus jusqu’au-boutiste dans son désir d’expérience arcade. Comme d’autres de ses contemporains, il profite des dispositions renouvelées du roguelite pour mettre en place sa boucle de gameplay courte, calquée sur une montée progressive de la difficulté jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ou exceptionnellement victoire, mais ne vous leurrez pas, il faudra épuiser quelques runs avant de parvenir à décrocher le Graal, à savoir : un highscore. Cuddle Monster Games fait en effet le choix de donner dès le départ tout ce que le titre a à offrir en termes de contenu et de laisser parler l’action, concentrée qu’elle est sur un noyau bien délimité. Une décision à saluer, à l’heure des contenus interminables, peu respectueux de notre temps limité de joueurs et joueuses, mais qui nécessite de bien cerner ce qu’elle déploie et les limites que cela entend.
Lone Ruin propose deux modes de jeu : la progression linéaire et le mode survie. Le premier nous fait traverser une vingtaine de niveaux répartis sur trois étages, chacun terminé par un boss qui lui est attribué. Dans les niveaux, on affronte des vagues d’ennemis, lesquelles s’enchainent à un rythme régulier, sans attendre qu’on ait terminé de se débarrasser des premiers opposants pour nous envoyer les suivants. Une récompense nous est octroyée à l’issue de la joute, dont la nature change selon l’une des deux salles dans laquelle on avait choisi d’entrer : une amélioration, un sort, un équipement ou des sousous. Parfois, une boutique vient s’intercaler à la place d’une arène, pour peu qu’on ait récolté assez d’argent. Il faut une vingtaine de minutes pour arriver au bout d’une run, ce qui, en difficulté moyenne, n’est pas une sinécure. Les trois modes de difficulté jouent essentiellement sur le nombre de cœurs à disposition, et il faudra être sacrément adroit pour en finir avec le plus élevé, lequel ne vous accorde que trois cœurs. Le mode survie condense la boucle de gameplay sur un unique terrain assez large sur lequel se succèdent les vagues d’ennemis, rythmées par le gain régulier d’une compétence à choisir parmi trois. Clair.
Les contrôles sont ceux d’un top-down shooter tendance bullet hell mais vu de ¾, on a donc tôt fait de prendre le coup de main. Au départ du mode linéaire, il faut opter pour un sort sur les huit à disposition. Vous apprendrez vite à les reconnaitre, aucun ne sera débloqué par la suite. C’est que Lone Ruin est moins porté sur les synergies auxquels le roguelite d’action nous a habitués que sur la maîtrise à avoir de son principe de jeu. Il n’y a pas vraiment de possibilité de trouver des combinaisons abusées entre pouvoirs, et ce malgré les améliorations qui les boostent, même si certains sorts sont évidemment plus efficaces sur certains types d’ennemis ou les boss – le premier d'entre eux, immobile, ne peut pas faire grand-chose contre le sort "boomerang" qui tape sur place tant qu’on ne le rappelle pas. Il va avant tout s’agir de s’adapter en continu à la variété des décors et à l’utilisation qu’on y fait de nos sorts, afin de gérer le bordel grandissant avec la progression. Les ennemis sont assez variés pour l’envergure du jeu, qui a l’intelligence d’encourager à jongler entre les sorts d’une run à l’autre. En même temps, ce n'est pas comme s’il avait le choix, car sans ce besoin d’explorer tout ce que le jeu a à proposer, eh bien il faut dire qu’on en a vite fait le tour.
Ce sentiment de manque de matière, qu’on peut difficilement reprocher tant le game feel de ce qui est présent est ciselé (c’était déjà l’une des forces de Hell is Other Demons), est sans doute appuyé par la boucle vraiment courte des runs. On a l’impression que les options de récompenses sont soit trop nombreuses soit pas assez concentrées autour de l’équipement déjà acquis, et arrive vite la frustration de se savoir sous-équipé quand les choses commencent à se corser, sans avoir eu le temps d’expérimenter ce que notre arsenal avait sous le capot. Bien sûr, il est toujours temps de relancer une partie, avec l’envie d’améliorer son score et de chatouiller celui ou celle qui nous devance sur les highscores en ligne, d’autant qu’artistiquement, Lone Ruin se paie un mélange 2D des sprites/3D des décors de caractère, des effets visuels explosifs et, c’est sûrement le point qui nous a le plus marqués, une musique qui dépote. Certes, à la fin, c’est le chaos à l’écran, si bien qu’il vaut mieux compter sur sa maitrise des événements que sur ses yeux ; mais on sait que c’est exactement là que veut nous emmener Cuddle Monster Games. Pour autant, il ne nous laisse pas assez d’espace pour expérimenter et nous approprier les outils mis à disposition, et c’est certainement moins en nous balançant des monstres baveux par grappes de 20 qu’à cet endroit précis qu’il nous fait le plus mal.
Lone Ruin a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Switch.
Comme un sprinter qui voudrait partir très vite immédiatement, sans se soucier du claquage qui le prendra 10 mètres plus loin, Lone Ruin donne le sentiment d’avoir tout ce qu’il faut pour lui, excepté assez d’air pour le démontrer. C’est aussi joli que ça bouge, au son d’une soundtrack qui lance 2023 sur les chapeaux de roue, mais à trop vouloir chercher l’efficacité, il rate l’occasion de démontrer en jeu tout son potentiel. Peut-être que les joueurs et joueuses cibles, qui ont à cœur de laisser leur nom en haut des scores mondiaux, n’auront aucun mal à faire parler l’habitude du geste sans se lasser, mais ça ne concernera sans doute qu’un public assez restreint.
BABBDI
La grisaille et le crachin hivernaux ne sont pas assez mornes pour vous ? La dépression saisonnière ne vous a pas frappé assez fort ? Il reste encore un peu de chaleur dans votre cœur ? Qu’à cela ne tienne : les frères Lemaitre vous offrent un voyage à Babbdi, où vous aurez tout le loisir de vous complaire dans la froide étreinte du désespoir, pour la modique somme de zéro euro.
Prends un ticket
Car Babbdi n’est pas tout à fait ce que l’on pourrait appeler une ville accueillante. Elle est même tout le contraire : son béton massif et grisâtre s’étend depuis les profondeurs sordides des égouts jusqu’à des hauteurs vertigineuses, s’érigeant en tours moroses et HLM brutalistes. Tout y est sale et austère, voire carrément glauque, et chacun de ses résidents semble habité d’un triste fatalisme.
Si l’on ajoute à cela le fait que tout est à moitié en ruines, il devient facile de deviner pourquoi le personnage que l’on incarne, qui semble avoir encore la vie devant lui, n’a qu’une seule envie : se tirer de là fissa, par le premier train venu. Sauf que voilà : pour cela, il va falloir trouver un ticket. Il y en a sûrement un quelque part, mais où ?
La ville de Babbdi se présente comme un mini monde ouvert, parcouru de corridors, escaliers et tunnels, éclairés par la lumière blafarde des ampoules électriques, qu’il faudra explorer pour mettre la main sur ce précieux ticket et enfin déguerpir. Un labyrinthe de ciment au level design très vertical, qui se transforme souvent en parcours d’obstacles digne d’un jeu de plateformes : on y saute de balcon cassé en rambarde rouillée pour prendre de la hauteur, avant de gambader sur les toits et de se jeter dans le vide pour aller explorer ce petit recoin sombre, là-bas, où l’on est certain d’avoir vu quelque chose briller.
De nombreux outils sont à notre disposition pour explorer le plus librement possible, comme une pioche qui permet d’escalader les murs, un ventilateur-hélicoptère, ou encore un souffleur à feuilles, qui nous propulse et nous fait léviter. De quoi rendre fort agréable l’exploration de ce petit monde très dense, rempli d’endroits cachés et de personnages étranges. Si le jeu de base se boucle en une petite heure, il est possible de partir à la recherche d’objets cachés et de succès à compléter : une petite carotte qui sert de bonne excuse pour explorer la ville de fond en comble.
Personne n’a l’air de se plaire à Babbdi, et chacun est bien obligé de tuer le temps comme il le peut. Une adolescente qui s’ennuie demande à ce qu’on l’impressionne avec une figure de moto, tandis qu’une bande de fêtards danse à corps perdu dans les souterrains de la ville, comme pour oublier sa condition misérable. Des cris résonnent dans les halls d’immeubles, sortes d’appels à des inconnus lancés depuis des fenêtres invisibles, et les volets se claquent à notre approche.
BABBDI a été testé sur PC.
Les visages fatigués des habitants, les textures baveuses et les panneaux indicateurs aux lettres en désordre (probablement générés par intelligence artificielle) donnent une ambiance unique à la ville de Babbdi, open-world miniature au level design intelligent, que l'on se fera un plaisir d'explorer grâce à ses systèmes de déplacement originaux. Une plongée de quelques heures dans la vallée dérangeante, comme un cauchemar éveillé dont les rares issues sont la mort et la folie, et où la fuite tient de la survie.
Koroviev
J'aime l'Eurojank en tous genres, de Stalker à Gothic. Amateur de jeux grisâtres pour dépressifs et d'Immersive Sims, mais avant tout de Half Life 2.
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