Cette fois-ci dans Partie Rapide, Zali s'ennuie un peu dans le jeu de restauration d'écosystème Distant Bloom et Shift s'est plongé dans le perturbant Mediterranea Inferno.
Distant Bloom
Sur le papier, le premier jeu du studio suédois Ember Trail a tout pour plaire, tant il coche toutes les cases de trucs et de machins à la mode dans le jeu vidéo indé. Un ton bienveillant, un message écolo, des mécaniques inspirées des jeux d'agriculture et de survie, et des personnages mignons et rigolos. Et la promesse d'une aventure plutôt chill, sans combats ni périls mortels. Et, de fait, Distant Bloom n'a pas vraiment de défauts très visibles. Mon seul problème avec ce jeu, c'est qu'il n'a pas non plus de qualités extrêmement saillantes. C'est intéressant, mais on roupille un peu.
Les longs blooms
L'idée principale derrière Distant Bloom, c'est de vous placer dans la peau d'explorateurs de l'espace, échoués sur une planète visiblement dévastée. Cependant, grâce à vos super talents de botanistes et vos imprimantes 3D du futur, vous allez pouvoir restaurer petit à petit l'écosystème local, de manière de plus en plus efficace à mesure que vous débloquez de nouvelles graines. Certaines plantes se bénéficient mutuellement, élargissant ainsi de manière exponentielle les espaces restaurés. Et, bien sûr, elles peuvent au passage vous servir de ponts, d'échelles, de tunnels, et ainsi de suite.
Plus vous restaurez d'espaces et plus vous nettoyez de zones, et plus vous pouvez aller loin de votre camp de base, et débloquer de nouvelles fonctionnalités dans ce dernier. La boucle de gameplay est simple comme bonjour : récolter, planter, explorer, améliorer votre base, recommencer. À chaque étape, vous découvrirez des survivants ou des semences qui vont vous permettre d'améliorer votre ordinaire, et donc votre potentiel d'exploration. À mesure que votre aventure progresse, vous allez commencer à comprendre pourquoi la planète est dans ce triste état, et tenter de réparer ce qui peut l'être. Le tout en approfondissant les liens (pas bien palpitants, mais mignons) avec le reste de l'équipage.
Il faut reconnaitre à Distant Bloom qu'il a le mérite de ne pas s'éparpiller, et de proposer une intrigue qui, à la place d'un antagoniste artificiel, vous propose en guise de tension narrative d'élucider un mystère. C'est une jolie façon de créer de la tension narrative, ça, on ne peut pas lui enlever. Et si son message écologique reste centré sur l'accumulation et le stockage de ressources, faisant de votre capacité à ramasser plein de trucs le salut de la planète, au moins le fond est intéressant. Il s'intéresse de manière simple, mais juste, à la manière dont fonctionnent les écosystèmes, au moins végétaux, et à la manière dont les monocultures peuvent s'avérer néfastes et improductives. Alors certes, c'est de la biodiversité totalement manufacturée par la main de l'homme (enfin, de l'alien), mais c'est mieux que le tas d'ordures que vous trouvez en arrivant.
En revanche, que ce soit dans ses mécaniques de jeu, sa direction artistique ou le déroulé de ses péripéties, Distant Bloom manque presque toujours du petit quelque chose qui pousse à y revenir ou à nous intéresser à ses personnages. Tout ce qu'on y fait est mine de rien assez répétitif et monotone, l'exploration de la planète n'est pas bien palpitante, et le scénario peine à dégager des moments marquants. Il n'y a parfois qu'une frontière très fine entre la relaxation et l'ennui, et le titre d'Ember Trail tombe souvent du mauvais côté de la tartine.
Distant Bloom a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Distant Bloom est une honnête proposition voulant agréger des propositions venues de plein de genres de jeux différents. Tantôt puzzle game, tantôt jeu d'exploration, tantôt simulateur agricole simplifié, il porte un message relativement simple, mais juste, sur des notions telles que l'agriculture raisonnée ou les interactions écosystémiques. Pour arriver à convaincre tout à fait, il aurait sans doute fallu un rythme un peu densifié, une aventure à la structure un peu moins répétitive et des personnages un poil plus profonds. Mais au moins, l'intention est louable et le propos est intéressant.
Mediterranea Inferno
Trois amis en vacances dans la région des Pouilles, une représentation colorée de l’été italien, une bande-son electro planante, un récit profondément queer et Gen Z : Mediterranea Inferno est, sur le papier, la promesse d’une expérience chill et ensoleillée, entre glandouille à la plage et promenades au marché. C’est surtout une des expériences les plus nihilistes et désespérées qu’il m’ait été donné de parcourir, et si j’ai globalement aimé ce que j’ai vu et lu, je me dois de prévenir de la radicalité de l’œuvre de Lorenzo Redaelli.
Aux couleurs de l'été italien
Car ces trois amis, Claudio, Mida et Andrea, traînent chacun leur bagage de doutes, de mal-être et de crises identitaires et existentielles, que le covid et le confinement n’ont fait qu’amplifier. Et derrière cette sublime esthétique à base d’aplats de rouge, orange, rose et jaune saturés et les nappes entêtantes de claviers, ce sont toutes les angoisses d’une génération qui voit le mur approcher à vitesse grand V qui sont représentées.
Se réfugier dans le passé pour ne pas affronter un futur sans espoir, tout en détestant les anciens pour le monde qu’ils nous ont laissé, noyer son mal-être et sa solitude dans une sur-socialisation et une sexualité débridée, chercher l’approbation et le respect de ses proches quoi qu’il en coûte, quitte à faire des compromis avec son identité et son intégrité : les problématiques des trois jeunes hommes sont concrètes, tapent fort et juste et n’ont malheureusement pas de réponse ou de résolution. Ce qui, attention, n’est pas un défaut du jeu ou de son scénario. Ça se saurait s’il y avait une réponse convaincante à des angoisses telles que "À quoi bon m’impliquer dans des projets de vie puisque les générations précédentes nous propulsent vers la fin du monde ?". Enfin oui, si, la fin immédiate du capitalisme et de la surproduction, ce serait un bon début, mais apparemment ce n’est pas au programme.
Il faudra cependant composer avec un trio de protagonistes qui, au-delà de leurs angoisses et traumatismes qui sont indéniablement des circonstances aggravantes, sont de mauvaises personnes, qui font souffrir les autres, et entretiennent des rapports toxiques et destructeurs avec leurs proches. C’est clairement le propos de Mediterranea Inferno, et cette découverte progressive des relations malsaines au sein du groupe est un des enjeux narratifs du titre, mais aussi une de ses limites. En étant aussi radical dans son écriture et sa représentation des rapports sociaux (mais parfois un peu réducteur, en tentant de faire rentrer un grand nombre de problématiques dans si peu d’heures et de personnages), le titre peut sembler un peu vain.
Cette représentation d’une jeunesse perdue et désespérée sonne juste et donne lieu à VN fascinant, à l’ambiance oppressante et au dernier acte cauchemardesque, mais ne va pas plus loin, ne peut pas aller plus loin, limitée par son message profondément nihiliste. Ce n’est pas nécessairement un problème, selon ce qu’on vient chercher dans un VN, mais il faut a minima savoir où l’on met les pieds, d’autant qu’en plus, le titre s’avère assez frontal et graphique dans l’horreur et le body horror et, potentiellement plus dérangeant encore, dans la représentation d’agressions sexuelles. Il y a du TW à tous les étages, et ce ne sont pas des avertissements inutiles.
Je terminerai tout de même sur une note plus positive : si le jeu baigne dans un mal-être et une ambiance sordides, c’est également une œuvre très queer, dans laquelle l’homosexualité des personnages est probablement le seul aspect de leur identité à ne pas être représenté de manière négative ou anxiogène. Être gay est au centre de leur construction et de leurs discussions et c’est un des seuls points lumineux auquel se raccrocher dans un scénario autrement très sombre. C’est un aspect que l’on retrouve dans de plus en plus d’œuvres LGBTQ+ récentes, à l’image de films comme Bottoms, et qui autorisent enfin des personnages ouvertement queer à exister et à être développés de manière complexe, via autre chose que leur genre ou orientation sexuelle, dans des médias qui les ont souvent limités à des clichés, brossant des personnages unidimensionnels dont le seul rôle est d’être gay. Ça aura pris le temps.
J’aimerais recommander Mediterranea Inferno à tout le monde pour ses merveilleuses illustrations, sa BO qui enchaîne les bangers, ses dialogues parfois hilarants parfois glaçants, qui tapent toujours juste – malgré quelques coquilles, en anglais comme en français – et sa célébration d’une esthétique et identité résolument queer. Je ne vais pas faire ça, car son propos profondément nihiliste et désespéré est sans concessions, et pourra facilement choquer ou déprimer un public sensible ou déjà angoissé par les thématiques abordées. Prenez soin de vous, et ne tentez l’expérience que si vous vous en sentez capable.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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