Cette fois-ci dans Partie Rapide, Shift a parcouru l'angoissant, mais un peu ennuyeux et ringard Children of Silentown, et a jeté frénétiquement des dés dans Slice & Dice.
Children of Silentown
Quand je reçois un point & click en avance, il y a toujours cette même pointe d’inquiétude en entrant la clé : vais-je être capable d’en résoudre les énigmes sans guide ou soluce ? Car oui, je suis plutôt bête face à ce type de jeux, et certaines productions de Daedalic Entertainment me collent encore des sueurs froides, la saga Deponia en tête. Les différentes innovations, pas tant techniques que de conception et de game design, m’ont peu à peu fait baisser mes gardes, face à la démocratisation de systèmes d’indices, d’interfaces accueillantes et de puzzles de plus en plus organiques. Et puis Children of Silentown est venu me rappeler que tout le monde n’avait pas eu le mémo et qu’en 2023, le point & click avait encore quelques représentants désespérément old school.
Silence, on joue (mais on s'ennuie)
Je dois l’avouer, j’ai été attiré et trompé par la plastique et l’atmosphère du titre de Elf Games. Conçu avec l’aide des deux artistes et vidéastes italien·ne·s Fraffrog et RichardHTT, Children of Silentown déploie une esthétique et une ambiance délicieusement inquiétantes, privilégiant une étrangeté constante et oppressante à des effets horrifiques plus frontaux. Une atmosphère largement épaulée par une direction artistique à la fois superbe – ces couleurs ! – et dérangeante – ces personnages aux yeux vides, brrr. Ainsi, si l’écriture n’est pas particulièrement le point fort de Children of Silentown, l’univers déroulé fonctionne particulièrement bien avec son petit village perdu au milieu des bois, condamné à rester dans le silence et la peur des monstres qui rôdent et menacent d’enlever quiconque ferait trop de bruit ou oserait sortir la nuit.
Le titre pioche facilement dans des films d’épouvante comme Le Village ou Le village des damnés, que ce soit en termes d’esthétique ou d’éléments scénaristiques, mais parvient à s’éloigner rapidement de la citation pour partir sur ses propres thèmes. J’ai même été assez surpris par les directions prises dans le dernier acte, et, si les sujets et tropes abordés restent assez convenus, quelques péripéties font mouche et font sortir des rails un récit autrement très classique dans ses premiers chapitres. Un dernier acte d’ailleurs un poil trop court, dont la nouvelle mécanique n’est que trop peu exploitée, et dont la fin à choix ouvre un new game + pour tenter de débloquer les quatre conclusions possibles.
Et, c’est là qu’on arrive au principal problème du jeu : j’aurais bien eu envie de voir les autres fins possibles et de trouver les stickers et notes de musiques manquantes. Mais Children of Silentown est malheureusement assez peu accueillant, un peu trop long, un peu trop lent et surtout rempli de puzzles aussi éculés que pénibles à résoudre. Il y a pourtant de bonnes idées sur le papier, à commencer par la mécanique du chant, qui s’intègre par ailleurs très bien dans le scénario. Tout au long de l’aventure, il sera possible de trouver des notes de musique, qui, une fois combinées, forment une mélodie, chacune ayant un pouvoir particulier, permettant de résoudre certaines énigmes, ou juste développer un peu de lore. Le souci, c’est que ces mélodies amorcent quasi systématiquement un mini-jeu, à base d’engrenages, de chemins à tracer, bref, du mini-jeu au concept vraiment basique, digne du pire des séquences de piratage, et de plus en plus corsé et pénible à mesure que le scénario avance. C’est non seulement assez paresseux en termes de mécaniques, mais ces mini-jeux sont surtout beaucoup trop fréquents et nuisent terriblement au rythme de l’aventure – tester le chant sur tous les personnages est déjà suffisamment laborieux en soi.
Une aventure qui n’avait déjà pas spécialement besoin de ça à la base, puisque son intrigue est constamment interrompue par des activités très peu passionnantes – collecter les courses pour sa mère, jouer à cache-cache avec ses copains, préparer le repas pendant que son père reste le cul dans son fauteuil, faire descendre le chat de l’arbre – et que ces péripéties sont en plus l’occasion de dérouler un petit best of des mécaniques ringardes du point & click. Objets farfelus à combiner et utiliser, quêtes à tiroirs inutiles, leviers à tirer pour aligner gouttières et engrenages : c’est désuet, c’est pénible et donne souvent une impression désagréable de remplissage, d’autant plus frustrante que la fin est complètement téléphonée, alors qu’elle était bien plus intéressante, en termes de scénario comme de mécaniques. Une frustration à laquelle s’ajoute une absence totale d’indices et d’aides, ne serait-ce que pour savoir quels éléments du décor sont cliquables ou non.
Children of Silentown a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
C’est malheureusement ce qui reste de Children of Silentown, une fois le générique déroulé : celui d’avoir parcouru une intrigue certes intéressante, mais diluée dans des péripéties insipides et des puzzles éculés, et plombée par une absence d’accessibilité presque inacceptable en 2023. Le titre de Elf Games est certes très joli, parfois pas loin d’être fascinant, amorce quelques bonnes idées, mais s’avère bien trop ringard et désagréable dans ses mécaniques pour le recommander à d’autres personnes que des adeptes du point & click à l’ancienne.
Slice & Dice
Alors que ma fin d'année s'est vue bousculée par l'excellent The Case of the Golden Idol, inspiré du tout aussi excellent Return of the Obra Dinn et recommandé par Lucas Pope lui-même, c'est au tour d'une deuxième recommandation de la part d'un de mes autres concepteurs chouchous de venir mettre la pagaille dans mon backlog. Il s'agit cette fois de Slice & Dice, modeste roguelike/tactical porté par son unique développeur tann, et dont la découverte est due, pour ma part, aux recommandations de Terry Dicey Dungeons Cavanagh. Évidemment que nous allions parler de Dicey Dungeons.
Dungeon Gambler
Le concept de Slice & Dice est simplissime. Vingt niveaux, vingt combats au tour par tour nous emmenant à chaque fois un peu plus loin dans un donjon, le tout généré à chaque nouvelle partie. L'efficacité (l'addictivité) du titre provient de son système de combat, basé sur des lancers de dés. À chaque membre de notre équipe correspond un dé, dont la composition dépend de la classe et de l'équipement dudit personnage. Le dé du chevalier aura des faces d'attaque au corps à corps et de défense, celui de la mage des faces de mana et de soin, celui de l'archer des faces d'attaque à distance, etc.
Chaque tour permet de lancer (et relancer un nombre limité de fois) les dés de certains (ou tous) de nos personnages, et ainsi de planifier l'attaque et la défense face à l'équipe adverse, dont, à la manière d'un Slay the Spire, les actions à venir sont toujours annoncées. C'est la grande force du jeu : celle de ne jamais nous prendre en traître ou par surprise. La base du combat, forcément aléatoire puisque basée sur des lancers de dés - qui peuvent effectivement s'avérer terriblement injustes - est rattrapée sur le plan tactique par la possibilité d'anticiper toutes les attaques à venir, d'annuler et recommencer à l'infini toutes les actions d'un tour avant de les valider, d'examiner les effets de chaque face de dés pour nos personnages et ennemis, et surtout de pouvoir modeler au fur et à mesure des niveaux les dés de son équipe, et ainsi limiter les risques de mauvais tirages.
Une mécanique à rapprocher du très bon jeu de société Dice Forge, qui propose, au fil des tours, de "forger" ses dés, c'est-à-dire d'en modifier les faces, pour les adapter à sa stratégie et à celle de ses adversaires. Équiper un objet sur un personnage pourra modifier une ou plusieurs faces de son dé, appliquer un modificateur, ou proposer un nouveau pouvoir, quand monter de niveau permettra de changer entièrement de classe, et donc de changer entièrement son dé. Les objets trouvés et les classes disponibles étant différents d'une partie à l'autre, on se retrouve vite face à un potentiel de variété et de rejouabilité assez vertigineux, que la présence de custom modes et différents niveaux de difficulté ne viennent pas arranger : si toutes les mécaniques prises séparément sont simples, leur assemblage produit un système incroyablement riche et varié et permet une réelle profondeur stratégique, que les joueurs et joueuses se sont fait un plaisir d'explorer et exploiter.
Peu de choses à dire sur ce Slice & Dice, si ce n'est : jouez-y. Si vous aimez les systèmes simples à aborder, mais complexes à maîtriser, si vous aimez Dicey Dungeons, si vous recherchez de la profondeur tactique tout en étant malmené·e par de l'aléatoire, jouez à Slice & Dice, donnez les quelques euros nécessaires à son développeur tann et son associé pixel artist a3um, et, si le sujet vous intéresse, plongez-vous dans le passionnant post mortem rédigé peu après la sortie de la version 2.0, en attendant les futures mises à jour gratuites promises par l'équipe.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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