Récemment arrivé en accès anticipé, Silence of the Siren est le second jeu d'Oxymoron Games après le bien-mais-pas-top Project Hospital, un ersatz inutilement compliqué du mythique Theme Hospital. Leur deuxième proposition part de la même idée : s'inspirer très lourdement d'un classique du PC des années 90, ici le jeu de stratégie Heroes of Might & Magic III. L'approche est cependant très différente, puisqu'il ne s'agit pas tant de proposer une évolution de la formule qu'un clone particulièrement timoré sur les innovations. On remplace les dragons par des robots et les squelettes par des insectoïdes de l'espace, certes, mais sinon tout est là, exactement à sa place. Ce n'est pas un mal, au fond, puisqu'une copie carbone d'un excellent jeu reste souvent un excellent jeu. Et pourtant, une foule de détails fait que cela ne prend pas vraiment, du moins pas pour le moment. Sans doute parce que le projet est encore très peu avancé dans son early access et manque franchement de contenu. Mais aussi en raison d'une question que nombre de studios ont omis de se poser ces dernières années : et si tenter de reproduire la formule Heroes of Might and Magic n'avait plus beaucoup de sens en 2024 ?
Heroes III : tout le monde s'en souvient, peu de gens y ont joué
Il faut d'abord souligner aux plus grabataires d'entre nous (j'en fais partie) que même si nous avons tous·tes l'impression qu'à sa sortie en 1999, Heroes of Might & Magic III fut un immense succès, ce n'est pas tout à fait le cas. Succès critique, il s'est correctement écoulé avec environ un million d'exemplaires vendus l'année de sa sortie. Ni un triomphe, ni un échec, il parvint surtout à consolider le public attiré par le second épisode, ce qui permit la mise en chantier de deux grosses extensions. Et également de transformer ce spin-off d'une série de jeux de rôle très nerd en marque connue du grand public. La franchise Heroes survécut d'ailleurs à la mort de son éditeur (Ubisoft rachète la marque quand 3DO s'écroule en 2003) et même à celle de la licence Might & Magic, disparue dans une indifférence polie dans les années 2010. Certes, cette déclinaison stratégique n'a rien livré de très intéressant depuis son cinquième épisode il y a dix-huit ans. Mais elle a toujours été maintenue en vie à coup de jeux médiocres, de remakes un peu moins médiocres et d'annonces de futurs jeux pour la saga.
Ceci étant dit, le style incarné par les Heroes, aussi efficace et addictif soit-il, n'a jamais atteint les sommets de popularité d'autres licences de jeu de stratégie PC concurrentes de la même époque. Sim City 3000, Civilization II ou encore Age of Empire II cumulèrent davantage de ventes, et surtout de suites à succès. La base de joueurs potentiels pour les autres jeux de la série n'était donc pas si large. Heroes of Might and Magic V, le dernier épisode à avoir été un succès critique, n'atteignit pas le million d'exemplaires vendus à l'époque de sa sortie. Pas plus que les épisodes VII et VIII, essentiellement restés dans les mémoires pour leurs lancements calamiteux, à une époque ou "nouveau jeu Ubisoft" rimait essentiellement avec "vidéo gag des meilleurs glitch visuels et retours Windows intempestifs".
Et pourtant, depuis quelques années, selon un phénomène bien connu de "je refais les jeux qui m'ont marqué quand j'étais gamin", beaucoup de studios tentent de lancer "leur" Heroes of Might & Magic. Parce que même s'ils n'ont pas été le triomphe dont on se souvient, Heroes II et III étaient aussi des jeux de stratégie et de gestion diablement efficaces, à la fois simples, amusants et addictifs. Pourquoi ne voudrait-on pas rejouer à cela aujourd'hui ?
Un équilibre précaire
Revenons à notre Silence of the Siren : comme je le disais, il fait "tout comme papa". La montée en puissance des généraux au fil des combat, la construction des bases avec un bâtiment par jour en plus maximum, les événements aléatoires sur la carte, les pouvoirs des différentes unités, les mines à capturer pour sécuriser des ressources. Tout pareil, à quelques variations près. L'avantage, c'est que si on a connu Heroes III, il n'y a même pas besoin de s'embêter à lancer le tutoriel tant on a l'impression de jouer à un ambitieux mod. Et pourtant, quelque chose ne fonctionne pas tout à fait.
Ici, c'est l'équilibrage du jeu qui fait clairement défaut, du moins à ce stade de l'accès anticipé. L'IA adverse est tout simplement absurdement impitoyable, utilisant en permanence des stratégies hyper optimales et vous prenant de vitesse de manière spectaculaire. Elle n'est pas non plus invincible, mais elle a tendance à optimiser au poil de nez ses armées et ses déplacements pour piller vos ressources avec des colonnes infernales de milliers d'unités sans que vous puissiez y faire grand-chose. À part, bien entendu, stacker vous-même des mobs pendant des semaines jusqu'à l'assaut final. Et donc passer énormément de temps à juste tourner en rond en attendant de pouvoir recruter de nouvelles bestioles au prochain cycle. Fun.
Ce manque d'équilibrage est ici couplé à un certain défaut d'identité propre des différentes factions proposées, qui manquent cruellement de mécaniques spécifiques un peu stimulantes. Certes, quelques efforts ont été faits pour proposer des unités aux pouvoirs vraiment rigolos. Mais la dimension stratégique demeure assez faible : au final c'est toujours l'armée avec les plus gros chiffres qui gagne, sans qu'on puisse vraiment changer le cours d'une confrontation. Au contraire, dans Heroes III, un compromis assez équitable avait été trouvé (du moins dans les campagnes principales) entre "l'IA vous concède un peu de mou et vous laisse tâtonner et explorer" et "si vous faites n'importe quoi, on vous roule dessus à la fin". Et il s'avère que Silence of the Siren n'est pas le seul jeu récent à patauger un peu à retrouver cette "magie Heroes".
Une formule simple, terriblement efficace, mais terriblement datée aussi
C'est même, d'une certaine manière, une épidémie d'héritiers qui s'est abattue sur Steam depuis quelques années. Le sympathique Age of Wonder 4 et son côté un peu générique. L'amusant Hero's Hour et son idée bizarre de remplacer les combats par un système inspiré des auto battlers. Le rapidement oublié Spellforce: Conquest of Eo. Les discrets Songs of Conquest et Songs of Silence ou encore le calamiteux King's Bounty II. Le point commun entre tous ces jeux, bons comme mauvais, c'est qu'aucun ne s'est imposé comme un standard, ni même comme un indispensable du jeu de stratégie contemporain. Au mieux ont-ils reçu un accueil critique et commercial cordial. Aucun n'a été un renouveau de la formule comme, mettons, Celeste a pu être un renouveau du jeu de plateforme ou Baldur's Gate 3 un renouveau du CRPG.
Il me semble qu'à l'image de Silence of the Siren, nombre de ces jeux tentent de générer de la hype autour d'une formule certes fonctionnelle, mais terriblement ancrée dans quelque chose d'un peu révolu. Il faut dire que la stratégie au tour par tour comme le jeu de gestion à l'occidentale ont, eux aussi, connu de sacrées révolutions depuis une dizaine d'années. Difficile, par exemple, de ne pas trouver un peu rouillée la formule Heroes face à la campagne dynamique d'un Wartales. Ou de ne pas s'agacer de l'extrême lenteur des parties face à la fluidité de la campagne d'un Unicorn Overlord. C'est l'exact même problème rencontré par les clones de Civilization : oui, le vénérable modèle est un grand jeu. Mais la simple répétition ne suffit plus à se faire vraiment remarquer.
Être un "simple jeu de niche", ce n'est pas si grave
Toujours est-il que tout ceci n'est au fond pas si grave. Comme beaucoup d'autres tentatives du genre, Silence of the Siren a l'air au moins de contenter les quelques centaines de joueurs concernés par son existence. Je donne cet ordre de grandeur, parce qu'avec une petite soixantaine d'évaluations sur Steam à l'heure où j'écris ces lignes, il semble que ce soit bien de ce genre d'échantillon que l'on parle. C'est extrêmement peu. Mais la quasi-totalité (96% début octobre) de ces évaluations sont positives. Les fans louent la fidélité au modèle, la qualité de la skin SF, l'optimisation exemplaire du moteur (qui tourne en effet sur des petites configs sans problème). Bref, Oxymoron Games enchante son public cible.
Cela me fait penser au monde feutré et discret des point and click à l'ancienne. Cet ancien genre roi du PC ne fait, sauf exception, plus jamais la une d'aucun média, à part ceux qui se sont spécialisés dans le genre. Cependant, c'est une communauté qui n'a jamais disparu et qui trouve chaque année des dizaines de jeux à se mettre sous la dent. The Excavation of Hob's Barrow, The Plague Doctor of Wippra et autres Unavowed n'ont pas été de monumentaux succès médiatiques et n'ont pas rassemblé des millions de joueurs. Eux aussi vivent dans l'ombre de titres qui ont bousculé et modernisé la formule (The Case of The Golden Idol ou World of Horror par exemple). Mais ils ont, incontestablement, trouvé leur public.
Le monde du jeu PC s'est tellement dilaté depuis dix ans que des pans entiers de l'industrie vivent "cachés" à l'ombre des grands succès. Les escape games virtuels, les visual novel, les STR à l'ancienne... Tous continuent à exister, chacun dans leur petite niche concernant quelques centaines ou quelques milliers de joueurs. Et c'est tout à fait réjouissant de se dire que ces publics spécifiques reçoivent régulièrement le produit qu'ils attendent et qui leur convient. Reste néanmoins la question de la viabilité économique de tels projets.
Si on peut imaginer qu'un visual novel de quatre ou cinq heures développé par un micro studio puisse trouver son équilibre avec un pool d'utilisateurs réduit et un succès sur le long terme (et encore), c'est plus douteux pour un jeu de stratégie aussi complexe que Silence of The Siren. Et c'est un problème actuellement complètement insolvable de l'industrie vidéoludique : tout le monde s'accroche à l'espoir de faire partie de la très maigre fraction des jeux dont le succès surprise amortira les coûts de production. Souhaitons au moins à Oxymoron Games, qui n'a pas le luxe d'être chapeauté par un éditeur, de rentrer dans ses frais et de pouvoir mener son accès anticipé à son terme !
Silence of the Siren a été testé sur PC, via une clé fournie par l'éditeur.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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