Traditionnellement, lors de la saison d'automne fort propice aux jeux d'épouvante, je m'enfile un ou deux FPS ou TPS de maison hantée. Un plaisir coupable : ce sous-genre très particulier de l'horreur vidéoludique a tendance à proposer un ratio de jeux indignes terriblement élevé. Ces titres sont souvent moches, opportunistes, mal écrits et pétris de mécaniques de gameplay insupportables. Et pourtant, à chaque fois, je garde espoir.
Commençons par définir, si vous le voulez bien, ce qui constitue, selon moi, un jeu vidéo de maison hantée, tant cette notion peut paraître elle-même assez vague. Il s'agit de toutes ces aventures vous proposant d'incarner quelqu'un (généralement un mec) débarquant dans un bâtiment grand et sinistre (souvent isolé) pour y subir diverses horreurs (infligées par des monstres, des fantômes, des hallucinations…). Des horreurs elles-mêmes fréquemment ancrées dans le passé ou les psychoses du personnage principal dont on apprend à la fin qu'il a probablement fait une grosse bêtise (et c'est trop souvent "j'ai tué ma femme et ma fille"). Nous vous en avons beaucoup parlé sur The Pixel Post au fil des ans, mais ces jeux sont majoritairement assez engoncés dans un mélange de paresse et de médiocrité les rendant assez indiscernables les uns des autres. Mais promis, il faut garder espoir, il y en a des biens.
Ce qu'on ne veut pas : des bugs, des assets moches, des puzzles nuls
Pourquoi tant de studios se lancent-ils dans le sous-genre du FPS de maison hantée ? Parce que ce genre de jeux cumule un public assez fidèle, des clichés bien ancrés et faciles à reconnaitre… Et disons-le tout net, une exigence parfois assez faible en matière de décor et de bestiaire. Après tout, on est là pour voir des trucs moches et effrayants, pas vrai ?
Et quoi de plus moche et effrayant que des graphismes en bouillie approximative ? Alors, on peut tout à fait balancer au joueur des planches vermoulues en basse définition. Du slime pixelisé qui tombe du grenier ou encore des créatures qui sont juste des modèles Unity de base sur lesquels on a ajouté des crocs et des griffes. Non ? Ça ne vous suffit pas ? C'est pourtant un petit peu l'approche qu'avait par exemple un certain Silver Chains, avec ses assets basiques et ses monstres en robe de chambre sommairement modélisés.
Mais la laideur, passe encore : tout le monde n'a pas la chance d'avoir une direction artistique de qualité (ça coûte cher et ça demande du goût). On a plus de mal à accepter ces jeux quand leur cadre plutôt simple et restreint nous est livré farci jusqu'au trognon de bugs indignes. Je reste ainsi assez défavorablement marqué par un certain Someday You'll Return, qui était sorti dans un état presque trop déplorable pour pouvoir être critiqué. Et dans le sous-genre "jeu d'horreur où tu vas dans un endroit et bouh ça fait peur", c'est hélas davantage la norme que l'exception.
On passera aussi volontiers sur ces jeux qui diluent de manière insupportable leur propos, souvent moisi, avec des énigmes fastidieuses : fusibles à changer, mélodies à recomposer sur un piano, codes de carte bleue à chercher en lumière infrarouge sur les décors, tout le monde vous déteste. Dans trop de cas, on se retrouve complètement sorti du délire juste parce qu'on revisite en boucle une maison (ou un temple, ou un labyrinthe, ou un supermarché). Lieu que l'on connait déjà, que l'on connait par cœur, et que l'on doit retourner juste pour dénicher un bout de papier indiquant où Mike a rangé ces satanées ampoules. On a vu plus amusant.
Ce qu'on voudrait, mais mieux : de l'horreur psychologique, un gameplay original, un univers travaillé
Ces éléments affreux étant mis à part, regardons ceux que l'on voudrait surtout voir mieux traités. L'horreur en elle-même, par exemple. Est-il absolument obligatoire de devoir échapper à des figures émaciées de Slenderman ou des poupées de petites filles, métaphores de nos traumatismes passés ? Non, ce que l'on voudrait, c'est de l'horreur un poil plus élaborée et examinant un peu dans le détail les angoisses des protagonistes ou des monstres que l'on rencontre. Un peu moins de la simili-pédophilie affleurant dans The Suicide of Rachel Foster et un peu plus de traumatismes maternels façon Amnesia: Rebirth, par exemple. Ou, dans un genre plus grand-guignol, de tortures mentales sauce Maison Beneviento dans Resident Evil Village.
On apprécierait aussi que tous ces jeux proposent d'autres mécaniques que simplement "se planquer/résoudre une énigme/vider un chargeur sur un monstre moche". Un peu d'audace, que diable ! C'est par exemple la tentative (maladroite) faite par The Devil in Me qui tente de nous faire explorer l'horreur par le son, la lumière ou un aperçu sur les coulisses de la maison hantée.
On aimerait aussi davantage de changements assez radicaux dans la perspective horrifique. C'est par exemple l'approche que proposait l'imparfait, mais original The Medium, avec son hôpital psychiatrique abandonné, que l'on pouvait explorer simultanément via le monde réel et via sa version onirique, en écran splitté. Ou encore par l'étrange, mais intéressant Among the Sleep qui vous proposait d'explorer une maison effrayante à hauteur de jeune enfant, avec tout ce que cela impliquait en matière de vulnérabilité et de circulation dans l'espace.
On aimerait aussi que les histoires d'épouvante en lieux clos essayent de raconter un peu mieux leurs histoires. Mesdames et messieurs les scénaristes, je vous le donne en mille : on peut tout à fait traiter le thème du traumatisme familial sans avoir à recourir à des poncifs éculés ou des facilités à base de féminicide intériorisé. Bien sûr, cela implique de créer un univers moins générique et plus immersif que ceux cités en début d'article. Dans le genre, on pourra citer les très intéressants jeux de la série Layers of Fear avec leur capacité à tordre la réalité, l'espace et les volumes à mesure que l'on s'enfonce dans des toiles maudites et que la santé mentale du protagoniste est mise à rude épreuve.
Ce qu'on aime : la surenchère assumée, une réalisation immersive, un pas de côté vis-à-vis de l'horreur
S'il y a quelque chose qu'on ne pouvait d'ailleurs pas enlever à The Devil in Me, c'est son sens de la surenchère. Et à mon avis, c'est une bonne piste pour obtenir un jeu de maison hantée plus réussi que la moyenne : ne pas oublier qu'on est avant tout là parce qu'on aime les mortes violentes, les squelettes en flammes, les créatures grotesques et les moments de pure angoisse. Assez peu de jeux choisissent de mettre les potards à fond, et c'est selon moi un tort : il faut oser le grand-guignol. C'est à mon sens ce qui fait la force d'une série comme Outlast qui utilise à merveille ses espaces clos et dégoûtants pour vous en mettre plein la vue à coup de cinématiques spectaculaires.
Et le spectacle, parlons-en justement ! Souvent négligée dans ce type de jeux, la mise en scène devrait pourtant être placée au cœur du propos. Si le gameplay de Resident Evil VII n'a pas révolutionné grand-chose à sa sortie, ni même la structure assez banale de sa maison hantée, difficile de ne pas se souvenir du moment de tension extrême constitué par le repas forcé avec l'horrible famille Baker qui s'achève dans une apothéose de violence.
Dans un genre moins connu, on peut citer quelques moments de bravoure du sympathique The Beast Inside qui tente de nous immerger dans son histoire à coup de cinématiques spectaculaires. Ou encore les apparitions spectrales spectaculaires dans le manoir Himuro dans la série Fatal Frame. Trop de jeux de maisons hantées oublient ainsi de travailler sur la question de l'immersion via la narration, nous laissant fréquemment un peu extérieurs à toute cette histoire. Et cela ne nécessite pas forcément de gros moyen : le tout premier Amnesia n'avait besoin que de quelques apparitions furtives et d'une ou deux ellipses inquiétantes pour nous mettre définitivement dans le bain.
Donc : un scénario qui respecte un peu plus notre intelligence, des énigmes et un gameplay qui ne nous sortent pas en permanence du propos, et une mise en scène un minimum ambitieuse. Voilà qui devrait suffire à faire un excellent jeu de maison hantée. Quoi d'autre ? Et si, par exemple, on jetait un œil du côté des jeux qui reprennent tous les codes du genre… pour en faire un récit s'éloignant des stéréotypes de l'horreur. C'est par exemple l'approche choisie par un certain What Remains of Edith Finch, pour qui l'exploration d'une maison vide et par certains côtés effrayante est un prétexte suscitant davantage l'émotion et la compassion que la peur.
C'est aussi l'approche choisie par le méconnu, mais sublime, Brukel qui utilise le cliché de la maison hantée pour raconter l'histoire quasi documentaire d'une famille victime de la guerre. Pourtant, tout est là : éclairage défaillant, apparitions étranges, jump scares, protagoniste flippé… Sauf que ces codes sont ici au service d'un propos différent, à la fois édifiant et immersif. Je n'irai pas jusqu'à dire que les meilleurs jeux de maison hantée sont ceux qui abandonnent complètement le côté épouvante, j'aime trop les monstres dans ma cave pour affirmer cela. Mais, une fois de temps en temps, le fait que ces jeux fassent un petit pas de côté pour s'éloigner de leur zone de confort effrayante ne peut que me réjouir.
Si tant de jeux horrifiques situés dans des bâtiments clos semblent si médiocres, c'est parce qu'ils se reposent souvent sur des facilités : esthétiques et scénaristiques, bien sûr, mais pas uniquement. Trop de ces jeux ne se posent au fond pas deux questions essentielles : qu'est-ce que je veux raconter, et comment je veux le raconter. Sans réponse à ces deux questions, on obtient habituellement des escape games fades et creux, doublés de scénarios misogynes douteux. En revanche, les studios qui choisissent une direction plus tranchée, un propos et un gameplay plus assurés peuvent parfois livrer des productions surprenantes dépassant le simple cadre de l'horreur. Et, même si c'est loin d'être la majorité du genre, cette simple perspective me convainc d'y revenir encore et encore.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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