Courte expérience d’épouvante proposant de vous frotter à une bande de fantômes japonais mal intentionnés, Ikai reprend une formule déjà vue dans la série Amnesia : vous lâcher sans défense dans des environnements où la fuite, l’ingéniosité et la furtivité sont vos seules armes.
C’est au studio espagnol Endflame qu’on doit ce jeu horrifique basé sur le folklore asiatique. Oui, encore, c’est une obsession des développeurs occidentaux en ce moment. Dans le cas présent, c’est plus particulièrement au bestiaire du shintoïsme que l’on va faire face. Quelque part entre monde des vivants et monde des morts, vous allez devoir vous frayer un chemin dans le voisinage d’un temple hanté et exorciser les esprits plus ou moins belliqueux de la zone en résolvant des puzzles. Et on va se l’avouer tout de suite : ici, on a moins l’impression d’être dans un film d’épouvante que dans une version vidéoludique de l’escape game du coin, décors en carton et énigmes un peu faciles compris. Attention, car ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais Ikai n’est pas, à mon sens, un jeu d’horreur du tout : il lorgne davantage du côté du pur puzzle game.
La menace fantôme
Endflame est un studio minuscule (trois développeur·euses en tout et pour tout), aussi il ne faut pas s’attendre à des trésors infinis de mise en scène et de pyrotechnie dans l’intrigue, qui a néanmoins le mérite de nous plonger illico presto dans l’action. On y incarne une jeune miko, prêtresse aidant son oncle, prêtre d’un village, à tenir un sanctuaire de montagne. Un beau jour, en revenant de la corvée de linge à la rivière, notre héroïne se retrouve dans une version cauchemardesque de son quotidien. Le temple et la forêt avoisinante semblent soudainement peuplés de yokaïs, de démons et de phénomènes paranormaux. Il va donc falloir exorciser tout ça et, au passage, comprendre ce qui a bien pu se passer. Hélas, un peu comme d’habitude, on va vite se retrouver coincé dans une énième histoire de demoiselle morte, de mariage forcé et de vengeance sur fond de violences matrimoniales, comme si 100% des histoires horrifiques vidéoludiques se sentaient obligées d’en passer par là pour essayer de nous terrifier.
Qu’à cela ne tienne, le scénario est vraiment prétexte à nous faire arpenter le sanctuaire du tonton en long, en large, en travers et dans diverses versions alternatives plus ou moins cauchemardesques et métaphoriques. C’est, à mon sens, la grande force de ce jeu : plutôt que de multiplier à l’excès les environnements, Ikai se contente de nous faire parcourir les deux ou trois même lieux en boucle, dans des versions de plus en plus distordues, conférant très vite une connaissance parfaite de notre environnement. Rapidement, on ne se demande plus « où aller » mais « comment atteindre telle ou telle pièce » dans la version revisitée du sanctuaire correspondant au chapitre en cours. D’ailleurs, Ikai n’est jamais aussi bon que quand il s’en tient à sa proposition de nous faire arpenter le temple à fond : les passages en forêt ou sous terre sont franchement poussifs et pas très intéressants.
Cependant, on s’étonne aussi rapidement de la quasi absence de menace. Un fait pour le moins étrange pour une aventure se définissant elle-même comme un thriller psychologique. En effet, à quelques exceptions près, Ikai ne cherche pas vraiment à faire peur et tient plutôt du décorum de parc d’attraction : luths volants, yeux sur les murs, bruits de clochettes dans le dos, toiles d’araignées ou encore apparitions furtives façon diable dans la boîte… Il y a bien une ou deux séquences plus angoissantes à base de poursuites pour fuir un spectre haineux, ou de cadavre se déplaçant furtivement quand on ne le regarde pas, mais dans l’ensemble, on peine à ne serait-ce que sursauter. Et pour cause : je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’un jeu horrifique mais plutôt d’un « simple » puzzle game relativement assumé et efficace.
À la recherche du pixel hanté
Plutôt que de vous confronter au surnaturel ou à de quelconques menaces véritablement tangibles, Ikai va surtout proposer une série de mécanismes empruntés au point and click ou aux jeux d’évasion. Ici, votre principal ennemi est avant tout constitué d’un ensemble de portes cachées, d’objets dissimulés dans des tiroirs, de serrures verrouillées par des codes, de tangrams à résoudre, etc. Au bout de quelques heures, on se fatigue un peu à revisiter les mêmes pièces, désormais fermées par de nouveaux mécanismes et, hélas, à pas mal tourner en rond à faire de la chasse au pixel ou à essayer de comprendre la logique d’énigmes scriptées à résoudre dans un ordre précis pour exorciser le bestiaire local. L’idée de concentrer l’action dans quelques lieux est bonne, mais on n’échappe pas à quelques redites dans le dernier quart, qu’on aurait aimé un peu plus créatif.
Plus étrange encore : la présence un peu hors sujet de séquences de pur timing proposant par exemple de slalomer entre des flammes jaillissant du sol à intervalles réguliers, ce que le gameplay rigide et balourd ne permet absolument pas de faire de manière fluide. On se contente alors d’essayer en boucle jusqu’à trouver le bon amas de pixel où notre protagoniste sera en sécurité. On a vu plus immersif. Même remarque pour les séquences de furtivité (certes rares), assez ratées et approximatives dans leur exécution, la faute à l’IA extrêmement faible et prévisible des adversaires.
Notons tout de même que dans l’ensemble, les énigmes proposées sont d’un assez bon niveau. Sans être trop complexes, elles demandent de réfléchir un peu en-dehors de la boîte, s’avèrent plutôt variées et souvent agréablement mises en scène. Ikai n’est peut-être qu’un « simple » escape game, mais c’est un escape game aux obstacles globalement bien pensés. On regrettera tout de même que cet aspect, qui aurait pu en faire une petite pépite du jeu de réflexion de 2022 à petit prix (comptez moins de 15€, ce qui est plus qu’honnête), soit assez lourdement plombé par les faibles performances technique de l’ensemble. Voire pire, par des bugs et des problèmes d’ergonomie à la manette assez frustrants.
On ne m’y reverra pas de shinto
Difficile de faire un listing de toutes les petites choses qui parasitent l’expérience dans son état actuel, mais certaines méritent néanmoins d’être notées : à plusieurs reprises, le jeu nous pousse à lire des documents en japonais qui sont mal, ou tout simplement pas sous-titrés, certains dialogues ne s’affichent qu’une fraction de seconde, quelques bugs de collision empêchent de se saisir correctement des objets… Et que dire de la mécanique poussant à dessiner des talismans en suivant des motifs pré-définis ?
S’ils ne poseront aucun problème sur PC, ces puzzles de dessin revenant tout au long du jeu sont une plaie à effectuer à la manette et auraient presque mérité un mode d’assistance ou une manière de les résoudre automatiquement. Il y est question de suivre avec précision les lignes tracées sur des talismans d’exorcisme afin de les enchanter, mécanique déclinée plus tard sur d’autres surfaces. Si, la plupart du temps, Ikai est plutôt permissif et laisse un peu déborder des traits, il demande aussi à certains moments d’être particulièrement précis, ce qui est quasiment impossible à la DualSense et pousse à faire et refaire en boucle les énigmes. Ajoutons à ça quelques bugs mineurs de sauvegarde ou de ralentissements, et on ne peut que vous recommander d’attendre un chouilla les prochains patchs si vous souhaitez découvrir ce jeu sur console de salon ou Switch, Endflame semblant néanmoins y travailler d’arrache-pied.
Ikai a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PlayStation 4, Nintendo Switch et les consoles Xbox.
Il faut prendre Ikai pour ce qu’il est : une série d’énigmes et de puzzles à résoudre sur fond de décor mystico-japonisant un peu convenu. Vendu à prix très modeste, court, parfois ingénieux, il ne vous fera ni transpirer ni frissonner. Tout juste vous frustrera-t-il de temps à autre au gré d’un bug ou d’un puzzle mal fichu. Néanmoins, on ne peut que saluer ce jeu prometteur qui plaira aux amateurs d’escape game et qui devrait permettre au petit studio Endflame d’avoir pas mal de retours critiques et de livrer un second titre un peu plus marquant et moins hésitant.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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