C’est à l’occasion d’un énième visionnage de la trilogie du Seigneur des Anneaux que j’ai repensé à certains élans philosophiques de la saga. Un amour des petits bonheurs les plus simples face à l’instoppable course du temps. De quoi former facilement un lien avec l’incroyable Outer Wilds.
GOTY de nombreux joueurs et joueuses en 2019, Outer Wilds est, il faut le reconnaître, un jeu à part : un parcours de création semé d’anecdotes, une proposition de gameplay presque unique, ou encore l’immanquable effet hypnotique après quelques heures de jeu. Presque deux ans plus tard, beaucoup lui cherchent encore un successeur. Des GOTY en 2020, il y en a eu (Hades tu méritais bro) mais pas de production aussi marquante. Et sauf grosse surprise, en 2021, personne n’arrivera non plus à proposer quelque chose du même calibre. Outer Wilds est une expérience qui dépasse le seul cadre vidéoludique, et une de ses grandes réussites tient à sa maîtrise du temps qui passe. Ce qui m’amène ainsi à parler de Stephen Hawking… Gandalf.
Une brève histoire du temps
Si le contexte n’est bien sûr pas tout à fait le même, on constate certaines similitudes avec la mécanique majeure du titre de Mobius Digital. Pas besoin d’avoir joué à Outer Wilds pour le savoir, l’exploration est une des pierres angulaires du titre. Mais ici, c’est bien le temps qui sera la donnée essentielle. Pourquoi ? Tout simplement par son incidence sur le gameplay. Une variable qu’il est absolument nécessaire de prendre en compte, car c’est à la fois une contrainte et une aide précieuse.
Tout ce que nous avons à décider, c’est ce que nous devons faire du temps qui nous est imparti.
- Gandalf à Frodon (adaptation par Peter Jackson du Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau de J.R.R. Tolkien)
Contrainte car il nous pousse à agir sous la menace inexorable d’une supernova mortelle. Une explosion stellaire qui relance l’inlassable boucle temporelle de 22 minutes. Celle-là même qui ramène notre personnage au lieu de départ de l’aventure, sur sa planète natale. Plus que nous faire agir sous pression, le temps nous oblige à freiner des recherches, des découvertes, des raisonnements. Soumis à son pouvoir, nos explorations les plus ambitieuses demandent davantage de préparations. Or, ces mêmes préparations ne peuvent se faire sans tâtonnements et, fatalement, sans échecs… car liés à ce temps imparti. Cela va même jusqu’à affecter la musique. Celle démarrant lors de l’imminence de la fin des 22 minutes fait naître une appréhension terrible. De sorte que ses premières notes finissent par sonner comme le début d’une alarme morbide. Et puis vient un moment où l’on cherche à faire s’imbriquer la masse d’informations acquises.
Jusque-là, le temps était une contrainte. Il se mue désormais en aide. Une aide précieuse car le temps est, comme je l’ai dit plus haut, un facteur essentiel. C’est lui qui structure l’univers car c’est son écoulement qui permet de situer tous les événements qui se déroulent sur chaque astre du système solaire. Il rend finalement le monde d’Outer Wilds plus compréhensible pour le joueur ou la joueuse en posant des règles fixes. Ce sont ces paramètres qui serviront de base à la résolution des grandes énigmes. Il nous permet de connaître le moment du dégel de l’Intrus, des effondrements importants de Cravité et surtout, le délai d’activation des planètes jumelles.
Ces dernières, astucieusement nommées Sablière Rouge et Sablière Noire, sont d’ailleurs une parfaite représentation de ce temps limité. Le sable qui s’écoule de la Noire vers la Rouge renvoie l’image d’un gigantesque sablier cosmique. Et, ultime symbolisme, c’est au cœur de chacune que se cachent les plus grands secrets du jeu sur le bouleversement du temps et le destin de l’Univers.
La première citation était là pour appuyer l’idée du temps comme force implacable. Une puissance qui oblige à une forme de soumission si on souhaite s’en faire une alliée. Mais elle possède évidemment aussi un sens plus profond : admettre ses propres limites pour mieux profiter de ce que l’on peut contrôler. Et cette résonance si particulière avec le titre de Mobius Digital se retrouve peut-être plus encore dans une autre citation de Gandalf.
Relativisme dans un univers de relativité
Un clan de Nomaï, race ancienne, curieuse et avide de savoir, a vu son destin bouleversé lorsqu’il a capté un signal inconnu plus ancien que l’Univers lui-même. Cet “Œil de l’Univers” comme ils l’appellent, fut leur raison d’être. Au point que, à l’instar des Nains de Tolkien, ils vont “creuser trop profondément”. En témoigne leur arrivée précipitée et catastrophique dans un système solaire qui plus tard, signera la fin de leur civilisation. Ce même système solaire où notre personnage évoluera, plus de 200 000 ans après ces événements.
Obnubilés par la localisation du signal, certains lui vouaient une fascination quasi religieuse. Cela est allé jusqu’à la fabrication du controversé projet de la Sablière Noire et la création d’incroyables technologies. S’ils n’atteignirent jamais l’Œil lui-même, ils mirent finalement tout en place pour qu’ait lieu cette boucle temporelle dans laquelle nous, en tant que joueur ou joueuse, sommes bloqués. Car ils n’avaient pas prévu que la supernova qui déclencherait leur grand projet serait naturelle. L’ultime précédant la fin de l’Univers.
Mais vous savez assez bien à présent que le commencement est une revendication trop grande pour quiconque, et que tout héros ne joue qu’un petit rôle dans les grandes actions.
- Gandalf à Frodon (Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’Anneau, J.R.R. Tolkien)
Lorsqu’on prend peu à peu conscience de tout cela, du destin des Nomaï et des événements en cours, Outer Wilds acquiert une dimension nouvelle. Le rapport au temps évolue et il n’est plus juste un outil de gameplay. On s’extrait de la dimension purement ludique, car pris de vertige devant ce à quoi on assiste. Il ne s’agit plus d’être uniquement un xéno-archéologue qui explore et complète son journal de bord de savoirs antiques : nous voilà désormais le témoin des derniers instants de l’Univers.
Un petit rôle dans ces grandes mécaniques spatiales, mais déterminant car la boucle temporelle a figé l’Univers dans un état imprévu. Et puisque la lutte contre le temps ne peut être que vaine, c’est à nous de prendre la décision de déclencher la véritable fin. Par chance, stopper cet infini recommencement est aussi l’unique moyen pour atteindre l’Œil de l’Univers. La boucle est alors stoppée, on atteint l’Œil et alors que le jeu se termine en musique, on relativise.
On relativise car on a vécu des instants d’évasion, d’émerveillement, de surprise. On relativise car c’est ainsi que les choses devaient se dérouler. Les Nomaï l’ont découvert à leurs dépens et toutes leurs prouesses scientifiques n’ont pas pu les protéger de la mort. Cette inéluctabilité nous pousse donc à relativiser sur le déroulement du temps lui-même et la faible emprise que l’on a sur lui.
Autour d’un feu de camp étaient des amis
Le relativisme d’Outer Wilds offre une vision du temps qui est cyclique, déterministe et fondamentalement positive. Elle s’exprime d’ailleurs à merveille dans les derniers instants du jeu et spécifiquement à travers les propos de Riebeck, l’Âtrien guitariste :
J’ai appris beaucoup, à la fin de tout. Le passé est passé, à présent, mais bon… C’est comme ça, quoi ! Il ne disparaît jamais complètement. Même si on ne le verra pas, l’avenir repose sur les fondations du passé. Mais bon, il est… Il est temps de faire place à quelque chose de nouveau.
- Riebeck, Outer Wilds de Mobius Digital
Ainsi, le passé ne disparaît pas totalement, il s’estompera toujours en servant de fondation au futur. Alors, puisqu’on ne sera jamais en mesure d’apercevoir cet avenir et qu’on ne peut rien y changer, il vaut mieux apprécier la simplicité des petites choses.
On retrouve ici un peu de l’esprit présent dans les citations de Gandalf. Or celles-ci font aussi écho à la propre philosophie de Tolkien. Un homme qui préférait la douceur de la campagne anglaise aux démesures des grandes villes modernes. Un homme qui aimait la lenteur des balades en forêt, plutôt que les technologies en constant progrès. Un homme pour qui ce que l’on peut faire de mieux, c’est d’apprécier le quotidien d’une vie simple. Comme l’existence tranquille d’un Hobbit. Ou comme se poser avec des amis au coin du feu, bercé par quelques notes de musique pendant que grillent des marshmallows.
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