En 1994, Adeline Software International, la société de Frédérick Raynal (réalisateur d'Alone in the Dark) sort Little Big Adventure, une proposition extrêmement atypique pour son époque. Totalement inclassable avec son univers de fantasy franchouillard et son gameplay avant tout axé sur la plateforme et l'infiltration, le jeu se vend modestement, mais devient culte avec le temps. À la sortie, la presse française est dithyrambique, soulignant le scénario ambitieux, les graphismes extrêmement détaillés et le doublage intégral (une prouesse pour l'époque). Moins amatrice de baguette-croissant, la presse anglophone souligna néanmoins la 3D isométrique assez injouable, les combats farfelus et le système de déplacement du héros, Twinsen, pour le moins bordélique avec sa nécessité de passer par des menus à chaque changement d'attitude. Et puis le temps a passé, et Little Big Adventure est incontestablement resté dans les mémoires des gamers de l'époque, malgré un consensus sur son côté légèrement, disons, difficile à prendre en main. Le parcours du jeu est ensuite un peu chaotique, en raison de divers problèmes de droits. Retenons simplement que le studio 2.21 en a assuré un portage amélioré en 2015, puis un remake complet paru il y a quelques jours. L'enjeu était double : arriver à rendre agréable une expérience qui ne l'était pas même selon les standards de l'époque, et moderniser la narration d'une histoire à la structure potentiellement un peu datée. Le résultat de ce Little Big Adventure – Twinsen’s Quest est inégal, certes, mais m'a plongé dans une masse de souvenirs perdus.
Le remake impossible
Je pense qu'il faut avant tout féliciter 2.21 sur un point précis : les nostalgiques de Little Big Adventure ADORENT ce remake. Avec 90% d'évaluations positives sur Steam, et une pléthore de vieux de la vieille qui retrouvent leur doudou, cette nouvelle version atteint sa cible. Il faut dire que sur pas mal de points, c'est effectivement absolument charmant. Le style graphique a été revu et modernisé de fond en comble tout en restant dans l'esprit de l'original. Le scénario a été légèrement réécrit et remanié et gagne à la fois en rythme et en cohérence. Le level design a été peaufiné et clarifié. Quant à la direction sonore, on ne peut que saluer le gros travail de réécriture de la bande-son et de redoublage des dialogues, plus professionnels qu'en 1994, mais arrivant à conserver leur côté cartoon un peu déjanté.
Tout n'est pas rose non plus : par bien des aspects, moderniser Little Big Adventure tenait du chantier impossible, ou du moins quasiment interminable. Encore une fois, on parle d'une œuvre qui frôlait déjà l'injouable au moment de sa sortie. Mais des efforts conséquents ont tout de même été accomplis. Exit le système de menu pour changer de posture, par exemple. Mais hélas, ce n'est pas suffisant, et certains aspects du jeu, en particulier les combats, demeurent assez ridicules, et parfois extrêmement frustrants par leur côté approximatif.
Pire : Little Big Adventure – Twinsen’s Quest a très clairement manqué de temps de peaufinage. Le jeu reste à ce jour une énorme pile de bugs, de problèmes de collision et de freeze intempestifs. Il est incroyablement facile de softlocker sa partie parce qu'un ennemi invincible repoppe juste derrière une sauvegarde automatique et autres joyeusetés du genre. Rien qui fera reculer les fans les plus acharnés du jeu d'origine, mais tout de même trop pour embarquer une nouvelle génération dans la quête de Twinsen. Néanmoins, alors que la plupart du temps, cette pelletée de bugs m'aurait fait métaphoriquement jeter ma manette en travers de la pièce, elle n'a ici pas vraiment entaché ma bonne humeur. Pourquoi ? Parce que je me suis souvenu de pourquoi j'aime tant LBA. Pas tant parce que c'est un bon jeu, en réalité. Mais parce qu'il m'évoque au moins deux excellents souvenirs.
Le visiteur du mercredi
La première fois que j'ai joué à Little Big Adventure, j'avais 11 ans, en 1995. J'avais bavé pendant plus d'une année dans la presse sur les images du jeu, mais je n'avais chez moi aucune machine pour le faire tourner, le modeste PC familial étant bien trop faiblard pour cela. Mais j'avais un ami, appelons-le Ralph, dont le papa était un dingue d'informatique. Le genre à toujours avoir quatre PC à la maison, à avoir eu Internet en 1997, à acheter le dernier gadget à la mode et à pirater toutes les disquettes possibles et imaginables.
Le papa de Ralph était un type plutôt sévère, gentil, mais un peu inquiétant, au physique de géant ténébreux. Son rejeton n'avait le droit de jouer sur le PC (même à des jeux adaptés à son âge) qu'à des conditions assez strictes, qui pouvaient même varier selon les jours. Par exemple, le mercredi, où j'allais souvent chez Ralph, il fallait d'abord faire nos devoirs, puis ranger des trucs, nourrir les animaux, distraire le petit frère de Ralph qui avait 6 ans en jouant avec lui dans le jardin, puis prendre le goûter en silence. Une fois tout ceci fait, Ralph avait alors le droit de passer une heure sur l'ordinateur familial qui trônait dans la cuisine ouverte. Et nous n'avions pas le choix du titre, c'était le papa qui décidait à quoi nous étions autorisés à jouer. Ainsi, pendant de très nombreux mercredis de 1994, de 16h00 à 17h00 pile, j'ai joué à LBA avec Ralph.
Le jeu nous fascinait, avec son monde qui avait l'air immense, ses doublages en français et le fait qu'avancer dans l'intrigue était littéralement impossible pour nous, puisque nous n'avions pas de soluce à disposition… Et que Little Big Adventure était globalement incompréhensible pour des enfants de 11 ans. Rien que le système de déplacement et ses quatre "modes" avait bien dû nous occuper trois après-midi entières à tourner en rond sur la première map pour comprendre le principe.
Nous n'avons jamais été au bout de l'épopée. Notamment parce que chaque semaine, il fallait occuper une partie de notre temps à essayer de se remettre les commandes en main, se souvenir de ce qu'il fallait faire, et échouer massivement à le faire. Mais une fois que nous devions rendre le PC, nous passions du temps à imaginer la suite des aventures de Twinsen, à faire des dessins inspirés de l'univers et à imaginer des stratégies pour optimiser notre temps de jeu la fois suivante. Bien entendu, cela ne fonctionnait jamais. J'en ai tiré l'impression que LBA était un jeu sinon infini, au moins infinissable.
Seul avec ma (carte) mémoire
Quelques années plus tard, Little Big Adventure est ressorti sur PlayStation. J'avais alors 15 ou 16 ans, une télé et une console dans ma chambre, et des facilités scolaires. Je veux dire par là que je pouvais passer beaucoup de temps à glander sur ma PS1 sans bosser à l'école et sans que mes parents ne constatent une baisse particulière dans mes notes. J'ai donc acheté Little Big Adventure et là, je l'ai fait pour de bon.
Je me souviens avoir constaté que toutes ces après-midi passées chez Ralph m'avaient totalement préparé à cette deuxième expérience. J'ai progressé dans le jeu sans difficulté particulière, et je me souvenais encore parfaitement d'une grosse partie des secrets dénichés par hasard quand j'étais plus petit. Et je me souviens également de l'immense joie de dépasser le stade auquel j'avais arrêté mes parties avec Ralph, et de découvrir toute la seconde moitié du jeu. Comme si je pouvais enfin vivre cette "petite grande aventure" dans son intégralité. J'ai alors mis un point d'honneur à ne pas utiliser de solution pour arriver à la fin de l'histoire. Passez-moi l'expression, mais j'en ai bavé des ronds de chapeau, tant la première version de Little Big Adventure était parfois injuste, cryptique et bizarre dans sa manière de faire avancer l'intrigue.
Mais finalement, je l'ai vu, ce générique de fin, après des semaines d'acharnement. Et c'est sans doute un des jeux qui m'est le plus resté en mémoire de toute ma vie. Parce que c'est un jeu spécial, avec son univers unique et son scénario mémorable, certes. Mais aussi parce que c'est un jeu que j'ai fait dans des conditions toutes particulières, propres à s'imprimer durablement au plus profond de ma mémoire. Je me méfie souvent de la nostalgie, qui est une forme un peu trop confortable et paresseuse des souvenirs à mon goût. Mais Little Big Adventure – Twinsen’s Quest m'a forcément provoqué un sentiment approchant, en me remettant en mémoire d'autres époques de ma vie de joueur.
Et c'est sans doute la plus belle chose réalisée par 2.21 sur ce remake : arriver à produire une version entièrement nouvelle du jeu dans son aspect, sa narration et (partiellement) dans son gameplay tout en conservant les points exacts donnant l'impression de rejouer au titre de 1994. C'est formidable, et c'est probablement une des manières les plus pertinentes de produire un remake.
Little Big Adventure – Twinsen’s Quest a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur les consoles Xbox et sur Nintendo Switch.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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