À peine deux mois après The Callisto Protocol, descendant spirituel de Dead Space censé renouveler la formule du TPS horrifique, le remake de l’épisode original arrive sur nos PC et consoles, sous la houlette de EA Games, et réalisé par la talentueuse équipe de Motive Studios. J’avoue tout : j’avais plutôt misé sur la réussite du titre de Krafton et Striking Distance, et sur le faible intérêt d’un remake pour Dead Space. Félicitations Shift, zéro sur toute la ligne.
Car si The Callisto Protocol n’est pas si raté que ce qu’on a pu lire ici et là, il faut quand même reconnaître que le tableau n’est pas bien reluisant, entre de lourds problèmes techniques à la sortie - qui persistent encore un peu après la vague de patchs de décembre et janvier - des conditions de production très peu recommandables, du personnel absent du générique de fin et des chiffres de ventes très décevants. Et puis, malheureusement pour Striking Distance, The Callisto Protocol est un moins bon jeu que Dead Space 2008, lui-même étant moins bon que ce Dead Space 2023.
Le Retour du Roi
Oui, la bombe est lâchée : Dead Space Remake est une réussite sur quasiment tous les plans, au point qu’à mon sens, il dépasse sans forcer l’original. Je ne referai pas tout l’historique de la licence ni de mon affect pour les deux premiers épisodes, j’ai bien assez insisté dessus dans mon papier sur Callisto. Cependant, même avec cet attachement tout particulier pour le Dead Space de 2008, j’avoue avoir été quelque peu dubitatif à l’annonce du remake. Déjà, et on l’a vu très récemment grâce au mercredi de l’angoisse de Noodles, car l’opus d’origine se tient toujours très bien, que ce soit en termes de technique, de gameplay, d’esthétique ou de sound design, mais surtout car la licence a été torpillée par EA Games, suite aux ventes décevantes de Dead Space 2 et au sabotage de Dead Space 3. Je dois admettre que voir l’éditeur capitaliser sur le remake de la licence qu’il a lui-même achevée il y a tout juste dix ans me faisait craindre un jeu de commande un peu cynique et bâclé. Encore une fois : tout faux.
Commençons par le plus évident : qu’est-ce que c’est beau. Je disais plus haut que la version 2008 se tenait toujours techniquement, et je maintiens, mais deux secondes passées devant un comparatif permettent de prendre conscience du gap visuel qui sépare un AAA de 2008 et un AAA de 2023. Cela paraît complètement évident, formulé comme ça, mais c’est là toute la force de ce remake : il est si fidèle, en termes d’esthétique et d’ambiance, que quand on le lance, il ressemble très précisément aux souvenirs que l’on avait de la version 2008. Quelque part, Dead Space 2023 réécrit quasiment les souvenirs liés à l’original, au point qu’il a su me faire douter de la réécriture ou modification de certaines séquences, du réagencement de certains niveaux d’un jeu que j’ai pourtant poncé durant toute mon adolescence.
Un aspect qui cristallise tout le bien que je pense du travail de Motive : ce remake est d’une précision absolument chirurgicale, conçu par des gens qui ont tout compris de l’œuvre d’origine, qui ont su déterminer à la perfection les points forts à conserver, les points faibles à corriger et les ajouts qui pourraient apporter un peu plus de fluidité et de cohérence à l’ensemble. C’est vrai pour l’aspect graphique (grandement amélioré) et esthétique – presque rien n’a été changé de ce point de vue-là, mais on notera un nombre considérable de petits détails sur les monstres, les environnements, les machines, les tenues, les armes – mais c’est surtout autour du gameplay, de l’écriture et de la structure que le plus gros du travail a été produit.
Le marouflage selon Motive
En termes de gameplay, Dead Space est surtout une amélioration en profondeur de la qualité de vie, pour un noyau de jeu globalement inchangé. Côté combat, on jongle toujours entre la stase, la télékinésie et le « démembrement tactique » des nécromorphes (tirer dans la tête ne sert à rien, il faut couper les membres pour incapaciter des monstres aux morphologies toujours plus cauchemardesques) : tout fonctionnait parfaitement en 2008 et tout fonctionne parfaitement, et à l’identique, en 2023 – à l’exception de certaines armes vaguement modifiées pour l’occasion et du comportement de certains ennemis, qui ajoutent une profondeur bienvenue aux affrontements. C’est du côté du déplacement et des énigmes que le gros du changement se fait, particulièrement autour des phases en zéro gravité, dont le fonctionnement a été repris (et amélioré) sur celui de Dead Space 2, autrement plus agréable à manier. C’est dans ces moments qu’on réalise à quel point le Dead Space d’origine pouvait parfois être rigide et lourd, et que l’on apprécie ce nouveau système.
Une refonte de la navigation en 0G qui impacte également l’appréhension de quelques phases de puzzle, globalement pour le mieux. Avec ces déplacements libres, en lieu et place de petits bonds d’une paroi à une autre, les séquences de réparation de machines, moteurs, antennes prennent un peu plus d’importance, et surtout d’intérêt. Le fameux système de traceur, qui tire une ligne en direction de l’objectif suivant, a ainsi un peu plus souvent tendance à indiquer la pièce entière plutôt que la zone précise, ajoutant un peu d’observation de l’environnement à la résolution des problèmes techniques. Des réparations jamais très compliquées, souvent entrecoupées d'apparitions impromptues de nécromorphes, mais qui accentuent le statut d'ingénieur d'Isaac, que les enchaînements de combats peuvent parfois faire oublier, et surtout améliorent des séquences autrefois assez fastidieuses. De même, on saluera ce très chouette ajout des tableaux de redirection d'énergie, qui nous mettent parfois face à des dilemmes assez délicats («Ah, dans cette salle des machines infestée de monstres, je préfère couper la lumière ou l'oxygène ? »).
Mais les modifications les plus radicales s'opèrent au niveau de l'écriture, des péripéties et de la structure du jeu. Petite révolution, déjà : Isaac a désormais une voix et des répliques, qui s'intègrent dans un mélange de dialogues d'origine et de lignes inédites ou réécrites. Et ça fonctionne, ça fonctionne extrêmement bien, grâce à l'acteur Gunner Wright - qui doublait déjà le personnage dans Dead Space 2 et 3 - mais surtout à un talent d'écriture bien plus subtil et en phase que dans les épisodes précédents. C'est bien simple, au bout de quelques chapitres, on en oublie que le Isaac de 2008 était mutique, tant ses interventions se mêlent bien avec l'ancien contenu. Des dialogues qui donnent d'ailleurs une place bien plus intéressante à notre protagoniste : là où le pauvre Isaac Clarke se faisait balader de mission en mission à coups d'ordres et injonctions par ses interlocuteur·rice·s, celui de 2023 est bien plus sûr de lui. Il analyse, diagnostique, prend des décisions qu'il annonce aux autres, et va ainsi de son propre chef explorer les différentes parties de l'USG Ishimura.
Une exploration du vaisseau d'ailleurs entièrement repensée. Là où le Dead Space de 2008 était conçu comme une expérience linéaire, dont les chapitres étaient associés à une zone et délimités par un voyage en tramway, Motive Studios a envisagé l'USG Ishimura comme une énorme zone ouverte, dans laquelle les allers-retours sont possibles et encouragés, notamment grâce à un système de niveaux de sécurité qui se débloquent au fil de l'aventure, et qui permettent d'ouvrir des zones jusqu'ici inaccessibles, mais aussi de garantir du loot lors de ces revisites volontaires ou forcées par le scénario. Une restructuration qui donne un aspect bien plus organique et crédible à un vaisseau qui avait déjà énormément de personnalité à la base, et qui rend presque obsolète le système de chapitrage - mais dont la nouvelle traduction française restaure le message secret, on ne se plaint pas.
Du côté de chez swarm
Une nouvelle structure et des modifications qui ne sont cependant pas sans quelques - légers - défauts. À commencer par ce système de quêtes annexes, qui vont de pair avec la structure plus ouverte de l'Ishimura et qui font la part belle aux allers-retours. Ces dernières apparaissent au fil de l'aventure, et proposent de retourner dans des zones déjà visitées, pour enquêter plus en profondeur sur la nature et l'origine d'un certain ennemi emblématique, pour récupérer des droits d'accès particuliers, etc. Des quêtes qui sont particulièrement bien récompensées en termes de loot et surtout de lore, mais qui ne sont malheureusement pas très intéressantes à mener, puisqu'elles consistent surtout à faire des allers-retours dans l'Ishimura, à revisiter des coins déjà explorés et re-tuer les mêmes ennemis. Des objectifs heureusement complètement optionnels, mais j'aurais finalement préféré que ces pans de mythologie et de scénario soient intégrés à la quête principale plutôt que cachés derrière des missions facultatives peu passionnantes.
D'autant plus que le rythme de la quête principale pèche lui aussi un peu. Exactement comme dans le Dead Space de 2008, les derniers chapitres nous mettent face à un tunnel de combats assez éprouvant, dont je sors systématiquement lessivé. Je sais que c'est exactement le but recherché : arrivé à la fin, Isaac est surarmé, et le jeu ne peut plus miser que sur le nombre des ennemis pour nous mettre en tension. Il ne se prive donc pas d’enchaîner les hordes de nécromorphes et les séquences de quarantaine, bien décidé à nous épuiser et nous faire paniquer : il est facile dans ces conditions de perdre son sang-froid et de sacrifier ses munitions en tirant dans le tas devant l'urgence de la situation, plutôt que d'analyser et tirer parti de l'environnement et de la télékinésie. J'aurais pu comprendre un tel parti pris pour le chapitre final, car le sentiment de désespoir et d'ensevelissement face à la marée de créatures cauchemardesques est terriblement efficace et utile au propos, mais sur trois chapitres, c'est vraiment long et cela nuit pas mal au rythme.
Un climax qui s'étire donc un peu trop, d'autant qu'il aboutit sur un des autres (rares) défauts du Dead Space d'origine à ne pas avoir été complètement corrigé dans cette version : ses combats de boss. Ils sont heureusement peu nombreux, mais décevaient en 2008 et déçoivent toujours en 2023. Face à ces ennemis titanesques - et petites merveilles de design d'horreur organique - les patterns mollassons et peu inspirés déçoivent un tantinet, et ce qui aurait dû être un affrontement épique n'est qu'une formalité à passer. Il en est de même pour les quelques passages impliquant des canons : s'ils ne sont plus aussi difficiles et désagréables que dans la version originale, ils n'ont toujours pas grand intérêt. C'est bien le seul reproche que l'on pourra faire à ce Dead Space Remake : celui d'avoir conservé les quelques rares égarements et faiblesses de sa version d'origine. Ce qu'on lui pardonne instantanément.
Dead Space a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 5 et Xbox Series.
Quel plaisir, quel immense plaisir, que ce Dead Space version 2023. On pourra râler tout ce qu'on voudra sur le manque de renouvellement de l'industrie, sur cette tendance aux remakes et remasters de tous poils, sur la culpabilité d'EA Games dans le naufrage de la saga Dead Space : la copie de Motive Studios est en tout cas quasiment irréprochable. Il s'agit d'un des remakes les plus solides, les plus ambitieux, les plus fidèles et à la fois créatifs du moment et se hisse facilement comme un des nouveaux modèles du genre. S'il s'égare parfois dans son rythme et ne parvient pas à totalement rattraper quelques défauts de conception de sa version originale, on ne lui en tiendra pas rigueur. On préférera souhaiter une très belle suite de carrière aux équipes de Motive Studios, qui espèrent pouvoir continuer à travailler sur la licence, après des vacances bien méritées.
Les + | Les - |
- Une réussite visuelle et esthétique, Dead Space n'a jamais été aussi gore, cauchemardesque et écœurant | - Une perte de rythme sur les derniers chapitres |
- Écriture et structure revisitées, pour le mieux | - Les quêtes annexes, pas très intéressantes |
- Un gameplay et des puzzles plus agréables | - Des boss toujours pas bien passionnants |
- Le sound design, toujours aussi exceptionnel |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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