Troisième gros opus de la saga To the Moon – on ne comptera pas les deux minisodes gratuits du premier volet ni A Bird Story, court préquel du deuxième jeu de la licence, Finding Paradise -, Impostor Factory continue de développer le discret univers de science-fiction mené par Kan Gao et Freebird Games depuis maintenant dix ans. Et si aucune révolution dans la formule n’est à attendre avec ce nouvel épisode, Impostor Factory est en revanche probablement le titre le plus abouti et à la proposition la plus radicale depuis le commencement de la saga, autant du côté des mécaniques que de la mise en scène ou du scénario. Une bonne occasion pour revenir sur les éléments majeurs de la – pour le moment – trilogie.
Car oui, To the Moon est certes auréolé d’un petit succès critique et commercial, mais le reste de la série est globalement sorti dans une indifférence tristement générale côté presse et si les personnes ayant joué à A Bird Story et Finding Paradise ont tout autant apprécié le voyage que la première fois, ces épisodes sont restés plutôt de niche, quand le premier opus n’est désormais remémoré qu’à l’occasion d’un quelconque top des meilleurs jeux narratifs. C’est assez dommage – et ce n’est pas près de s’arrêter, puisqu’Impostor Factory a eu la mauvaise idée de sortir le 30 septembre, en même temps que 400 000 autres jeux – mais somme toute assez compréhensible : la recette To the Moon est assez particulière, clairement pas calibrée pour le grand public – ni vraiment d’ailleurs pour un public de joueurs·euses – et tend en plus à se répéter d’un épisode à l’autre. Pour être assez honnête, je ne sais pas tellement ce qu’elle fait là, cette série To the Moon, mais je sais qu’elle me plaît beaucoup et occupe une place privilégiée dans ma ludothèque autrement chargée de plateformers sadiques et jeux d’aventure.
Et c’est très pratique, qu’Impostor Factory soit le troisième titre d’une saga, car je vais pouvoir en expliquer tranquillement le concept sans parler du tout du scénario et des ressorts du dernier épisode. Pratique, car je m’en voudrais de spoiler l’histoire et les rebondissements, quand il s’agit peu ou prou du seul intérêt du jeu – bon, ça et sa forme tout de même, qui allie un pixel art particulièrement fin et joli à une bande-son certes assez prescriptive, mais aussi belle qu’efficace – et surtout car ce serait d’une terrible confusion. Kan Gao se disait soulagé de pouvoir cesser d’essayer de raconter son jeu pour le laisser parler de lui-même et je l’annonce : je ne tenterai même pas l’exercice, tant il me paraît aussi vain que compliqué – et que tout devient parfaitement clair une fois le titre entre les mains.
Dans To the Moon et ses suites, l’humanité se trouve dans un futur assez proche et similaire au nôtre, si ce n’est deux, trois inventions telles que des rice cookers parlants – et préparant le meilleur riz du monde -, des sols auto-nettoyants ou… des machines permettant de réécrire les souvenirs. À la manière de la compagnie Lacuna d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind – dont la série de Freebird Games s’inspire délibérément -, une entreprise du nom de Sigmund Corp (subtil, je sais) tire parti de cette technologie pour vendre à des personnes en fin de vie une réécriture de leur mémoire, leur permettant d’effectuer le dernier voyage libres de tout regret ou remord. To the Moon nous introduisait aux professeurs Eva Rosalene et Neil Watts, envoyés chez un vieil homme dont le principal regret était de ne pas être allé sur la Lune. La structure était simple : le duo remontait dans les souvenirs de leur patient, en partant des plus récents pour remonter aux plus anciens, afin de trouver l’élément-clé à changer pour qu’un nouveau souvenir émerge, et que la mémoire soit reparcourue dans le sens contraire – structure conservée dans la suite, Finding Paradise, avec un autre patient.
Un postulat de science-fiction très sympathique – même si traité un peu partout ailleurs – mais qui s’avère surtout être un prétexte pour dérouler de larges fresques humaines, condensant en 5/6h de tranches de vie l’existence d’un être humain et de ses proches. C’est ce point précis qui avait provoqué le succès de To the Moon : l’écriture toute en finesse du titre, parfois très drôle, souvent touchante, et surtout particulièrement propice à la méga chiale. Évitant les grosses ficelles du tire-larmes, le scénario prenait son temps pour développer avec justesse ses personnages et dérouler leurs contradictions, leurs sentiments, leurs dynamiques et relations, pour frapper en plein cœur une fois tout ce petit monde installé. Ainsi, To the Moon s’éloignait finalement très vite de ses promesses de SF et de voyage spatial, pour se concentrer sur la banalité de la vie quotidienne du couple Johnny et River.
Et c’est là qu’Impostor Factory vient un peu chambouler la structure bien rodée des deux premiers épisodes, tout en conservant strictement la même formule. En s’éloignant de Sigmund Corp, des professeurs Rosalene et Watts et de leur étrange machine, le titre s’affranchit du schéma habituel du voyage dans les souvenirs d’une personne âgée dans l’optique de les reconfigurer, pour partir dans une toute autre direction, en compagnie de tout autres personnages. Un ressort scénaristique intéressant pour la série, qui permet aux nouveaux et nouvelles venue·s de prendre le train en marche sans la moindre connaissance de l’univers et de ses personnages, tout en apportant un peu de fraîcheur à celles et ceux qui suivraient la saga depuis 10 ans.
La formule reste cependant la même : on ne fait rien d’autre que lire, regarder et écouter dans Impostor Factory, on en fait même moins que dans les épisodes précédents, qui proposaient parfois quelques petits puzzles ou séquences d’action (au demeurant pas terribles et ralentissant le rythme d’une narration sinon impeccable). Ici, et malgré la mention tenace – et injustifiée – de RPG sur la fiche Steam, les seules actions notables seront de déplacer notre personnage d’une scénette à une autre et, en de très rares occasions, répondre à un choix de dialogue. Une absence de gameplay qui peut être décourageante pour qui n’aime pas le genre du VN, mais qui s’avère finalement plus efficace que les interruptions d’un gameplay presque hors-sujet pour se concentrer sur une mise en scène, certes toujours assez discrète, mais un peu plus marquante et sujette à quelques chouettes fulgurances. D’autant que cette certaine passivité imposée à son public se trouve être en adéquation avec le personnage incarné, puisque Quincy est autant spectateur des événements que nous, quand les professeurs Rosalene et Watts avaient un véritable impact sur les souvenirs parcourus.
Impostor Factory a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Ainsi, Freebird Games, visiblement conscient·es de ne s’adresser qu’à un public très restreint, n’ont pas seulement peaufiné leur formule mais ont considérablement radicalisé leur vision et la direction formelle que prend la saga. La structure en aller-retour mémoriel est pulvérisée au profit de trois actes déséquilibrés ; l’atmosphère douce-amère est toujours là mais s’aventure parfois dans des climats bien plus angoissants ou psychédéliques, s’autorisant même quelques séquences flirtant avec l’horrifique ; et le scénario, bien que toujours autant concentré sur ses personnages et leurs relations et porté par cette éternelle tendresse que semble avoir Kan Gao pour ses protagonistes, ose partir dans des bails de boucles temporelles (visiblement la mode de mi-2021), de thriller et d’empilement de réalités, pour un résultat parfois à la limite du poussif, mais dont les péripéties et les concepts finissent par s’imbriquer avec élégance – et dans la chiale absolue, il faut bien garder une ligne directrice. De ce fait, Impostor Factory laissera probablement un paquet de monde sur le carreau, de par sa troublante variation de tons et sa quasi absence de gameplay. Pour les autres, il s’agit d’une très belle histoire prenant place dans un univers passionnant, peuplé de personnages complexes et attachants, mais surtout le titre le plus abouti et le plus radical produit par Freebird Games pour la saga To The Moon. Et nous attendons déjà la suite avec impatience.
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