En 1985, le cinéaste Ron Howard imagine dans son film Cocoon l'arrivée d'un artefact alien dans une piscine située à proximité d'une maison de retraite. Une bande de papys s'y baignant par effraction constate alors qu'au contact du mystérieux "cocon" reposant au fond de l'eau, ils retrouvent leur prime jeunesse, la santé et la folie de leur adolescence. Par bien des aspects, FANTASIAN Neo Dimension, récemment sorti sur PC quelques années après une première version pour portable et tablettes, est une sorte de cocon de jouvence. Un OVNI permettant à une bande de papys du JRPG de produire un jeu vidéo à la fois complètement anachronique et délicieusement plaisant comme s'ils étaient encore au XXᵉ siècle. Dans une autre timeline, ça aurait été l'un des meilleurs jeux sortis en 1999, mais qu'est-ce que c'est un quart de siècle de retard au fond ?
Une véritable marche dans le brouillard
Voyageons un peu dans le passé. Brièvement, car cette histoire a déjà été racontée mille et une fois. Au début des années 1980, le jeune Hironobu Sakaguchi est embauché comme développeur chez Squaresoft. Alors que la boîte est en difficulté, il conçoit un projet de la dernière chance, avec notamment le concours d'un jeune musicien de talent, Nobuo Uematsu. Final Fantasy sera la révolution que l'on connaît en 1987, et continue à ce jour d'être une titanesque cash machine pour l'entreprise devenue depuis Square Enix. Tout au long des eighties et jusqu'au début des années 2000, Sakaguchi connaît une ascension régulière et spectaculaire chez Square, au point d'en diriger la branche américaine. Entre-temps, il supervise quelques titres cultes. Chrono Trigger, Bahamut Lagoon, Parasite Eve, son nom devient associé de très près aux triomphes du jeu japonais de cette époque. Quant à Uematsu, il signe certaines des bandes-son les plus cultes de l'histoire du média.
Mais le temps passe, et quelques petits gadins (dont le box-office catastrophique du film d'animation Final Fantasy : Les Créatures de l'esprit) poussent Sakaguchi hors de Square. Il fonde Mistwalker, son propre studio, qui entend bien surfer sur l'immense popularité des JRPG en ce début des années 2000. Là encore, faisons court, mais disons que Mistwalker va surtout affronter ce qui sera une décennie assez catastrophique pour le jeu vidéo japonais dans son ensemble. Un temps courtisé par Microsoft, la scène du jeu de rôle nippon va se manger un mur de problèmes divers et variés, dont un désamour du public et un passage très mal négocié à la génération de machines PS3/Xbox 360. En 2024, tout ceci semble bien loin, tant le JRPG est redevenu un genre majeur, sinon central dans la production vidéoludique. Sauf que cette décennie perdue, c'est celle dans laquelle s'est lancée Mistwalker.
Mistwalker, c'est une boîte qui avait tout pour enchaîner les triomphes : un développeur de légende, un des meilleurs musiciens du milieu, et des mangakas de premier plan comme Akira Toriyama (Dragon Ball) et Takehiko Inoue (Slam Dunk, Vagabond) prêtant leur plume au projet pour le chara design des futures productions de la compagnie. Tout va se passer moins bien que prévu : la série Blue Dragon peinera à convaincre, tandis que le très ambitieux Lost Odyssey (une exclu Xbox de 2007) passera complètement sous les radars. Quant à l'action RPG The Last Story, exclusif à la Wii en 2011, bravo si vous vous en souvenez. À partir de là, Mistwalker va suivre le chemin de nombre de studios de l'archipel de cette époque, et se concentrer sur des petits jeux pour smartphones et tablettes. Mistwalker sort la licence Terra Battle en 2014, un succès conséquent qui le fera fort bien vivre jusqu'en 2020. Fort bien, mais tout de même, la légende du "papa de Final Fantasy" semble désormais un peu ternie, ou du moins un peu lointaine.
Cocooning
La taille relativement modeste de Mistwalker et le côté assez modulable du studio, très structuré autour du volumineux carnet d'adresses de Sakaguchi), permettent néanmoins de tenter divers projets expérimentaux. À la fin de la décennie passée, Sakaguchi signe un deal avec l'Apple Arcade (vous aviez oublié l'Apple Arcade) pour un petit RPG à l'ancienne, surfant sur la nostalgie des grandes années du jeu de rôle nippon à gros polygones sur la première PlayStation. Ce projet, c'est Fantasian, décrit par Sakaguchi lui-même comme une de ses ultimes œuvres avant la retraite, et avec la note d'intention de retrouver les sensations d'un Final Fantasy VI en 1994.
L'équipe assemblée pour l'occasion est d'une modestie certaine, avec une trentaine de personnes directement rattachées au projet. Composée en grande partie de vétérans de l'industrie, elle compte aussi un certain Akira Toriyama, ayant eu le temps de réaliser avant son décès quelques décors sous pseudonyme, et l'inévitable Nobuo Uematsu à la musique. Mais on y compte aussi quelques vétérans de l'industrie de l'audiovisuel japonais, en particulier des réalisateurs d'effets spéciaux de tokusatsu spécialisés dans la confection de maquettes et de diorama. Fantasian intégrait également du sang neuf, qui ne manque plus dans une industrie du JRPG en plein renouveau.
Très modeste, mais aussi très correct, Fantasian a reçu un accueil assez positif à sa sortie (discrète) sur smartphone. Notamment parce qu'il parvenait, avec ses personnages en polygones minimalistes insérés dans des photos de diorama, à capturer cette impression que procuraient les jeux Square de la seconde moitié des années 90. Après quelques péripéties ayant conduit au rabibochage entre Sakaguchi et Square Enix, qui s'étaient quittés en fort mauvais termes, une version beaucoup plus ambitieuse de Fantasian voit le jour chez l'éditeur. Et c'est ce FANTASIAN Neo Dimension qui constitue un véritable petit miracle de Noël fin 2024. Miracle surtout, et même exclusivement, si vous avez par un hasard quelconque (la vieillesse) connu cette époque particulière.
Pépère Castor
FANTASIAN Neo Dimension est une gigantesque anomalie, parce que, loin de s'inspirer du gaming des années 90 comme tant d'autres jeux, il se contente plutôt de le cloner. Ce que Sakaguchi et son équipe ont produit ici, c'est une copie carbone (avec une meilleure résolution d'écran) de ce qui aurait tout à fait pu être un hypothétique Final Fantasy IX-2 sorti début 2000. Du héros amnésique au méchant ténébreux en passant par le système de combat au tour par tour et la jeune fille spécialisée en magie blanche à escorter, tout est là. Les menus semblent surgis d'une quelconque ébauche de jeu Squaresoft de l'époque et les musiques tombées d'un carton de démos inédites volées dans le garage d'Uematsu.
Mais contrairement à des tentatives plutôt ratées dans le même genre comme pouvait l'être le douteux Lost Sphear, ici, ça fonctionne. Bien sûr, tout sent un peu la poussière, et le jeu conserve une taille modeste (comptez 20h pour le finir en ligne droite), mais pour peu qu'on ait connu et aimé FFVIII, Chrono Cross ou Skies of Arcadia, c'est une proposition absolument charmante. Et si le scénario ne raconte rien de follement original, avec son univers pré-apocalyptique lentement rongé par des machines autonomes et un classique seigneur du mal aux cheveux longs, franchement, tout tient assez bien debout. Dans la seconde moitié du jeu, quelques twists de gameplay viennent même enrichir de manière étonnante une proposition déjà bien huilée.
Difficile cependant de rendre un verdict définitif là-dessus. Oui, moi, gamer otaku de 40 berges, ça me parle. Et les avis très positifs de gens comme moi sur Steam tendent à confirmer mon intuition : FANTASIAN Neo Dimension touche parfaitement sa cible. Est-ce que ce truc peut convaincre au-delà des fans des prods Sakaguchi de l'époque ? Je ne sais pas vraiment, il manque à cette œuvre un twist un peu moderne et contemporain pour prétendre se faire une place dans l'écosystème bouillonnant des JRPG modernes.
Mais ce que j'en retiendrais, c'est que pour le studio Mistwalker, cette épopée constituée par Fantasian, puis par cette nouvelle version, a sans nul doute été exactement la cure de jouvence dont il avait besoin. Oubliées les années d'obscurité à travailler sur de nouvelles versions de Terra Battle : Sakaguchi et al. ont livré un jeu digne de leurs plus belles heures de gloire. À la fin de Cocoon, les résidents de la maison de retraite quittaient définitivement la Terre pour aller vivre leur meilleure vie sur la planète des aliens propriétaires du cocon de jouvence. Si Mistwalker ne doit plus rien produire de la sorte dans les prochaines années, et si d'aventure FANTASIAN Neo Dimension était le dernier jeu d'Hironobu Sakaguchi, hé bien laissez-moi vous dire que ce dernier a amplement mérité de retourner sur sa planète.
FANTASIAN Neo Dimension a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox Series et Nintendo Switch.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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