J’ai toujours été étonné du faible nombre de jeux dans lesquels le voyage est une fin en soi, et pas un juste un prétexte au déploiement d’un gameplay ou d’une histoire à rebondissements. Que, quelque part, des jeux dont le voyage soit le sujet et non le simple support narratif soient généralement considérés comme des ovnis vidéoludiques à l’instar du légendaire Journey. En s’inscrivant dans la radicalité qu’on leur connait avec leurs jeux contemplatifs et stylisés (Pid, Shelter, Tiny Echo…), le studio suédois Might and Delight tente avec Book of Travels le pari un peu fou de proposer un jeu massivement multijoueur où les rencontres avec d’autres joueurs sont rarissimes, et où marcher en solitaire dans la forêt sans but précis peut s’apprécier sans plus d’attentes. Un titre encore en accès (très très) anticipé, mais qui permet déjà de vivre une vie de pèlerin comme peu l’ont encore proposé avant lui.
Perdre la bagarre et boire le thé
Mes premiers pas dans Book of Travels ont été un petit peu galère : comme je le disais, le jeu est encore à un stade embryonnaire, et il m’a même été difficile de me connecter de manière fluide à un serveur pour créer mon premier personnage. Et autant vous prévenir tout de suite, pour le moment, Book of Travels plante beaucoup, souffre de bugs récurrents et d’un contenu amputé de beaucoup de choses. S’y lancer maintenant, c’est un acte de foi, et c’est accepter que parfois, votre avatar se mettra à glisser au lieu de marcher, que certains boutons fonctionneront mal, que vous ne pourrez pas remapper les touches etc.
Mais en s’accrochant, on arrive tout de même à sa première fiche de personnage, où toute la radicalité assumée du titre s’affiche déjà : ici pas question de déterminer si vous êtes fort en magie ou capable de porter une triple armure de plates, mais plutôt de savoir quelle est votre philosophie, votre moyen de transport favori ou vos paysages préférés. À vous d’écrire le reste et de déterminer pour qui et pour quoi votre avatar taillera la route. Après cette expérience étrange, se terminant par la génération semi-aléatoire d’une identité, me voici sur la route, sans bien savoir ce qu’il faut faire. Mon personnage a débarqué d’un bateau, sur une petite île que je ne connaissais évidemment pas du tout.
Alors très vite, j’ai fait ce que j’aurais fait en vrai : j’ai demandé mon chemin. Certains passants au port m’ont répondu des trucs cryptiques, d’autres m’ont conseillé de me rendre à un village proche, d’autres encore m’ont expliqué qu’il y avait des sentiers agréables à parcourir dans un bois proche. Je suis resté un peu au bord de l’eau, j’ai ramassé quelques coquillages, puis j’ai choisi la forêt. Là, j’ai tenté d’ignorer quelqu’un qui me réclamait un droit de passage de manière un peu véhémente. Il m’a cassé la figure et j’ai dû, clopin-clopant, me traîner jusqu’à une bicoque pas très éloignée où on m’a servi du thé, que j’ai pu payer avec quelques objets trimbalés au fond de mon sac à dos. Alors quelqu’un m’a demandé ce que je faisais ici : je n’en savais rien du tout. Il m’a répondu que puisque j’étais là, à moins d’une heure de marche il y avait un chouette temple où je pouvais me recueillir, pour trouver l’inspiration. Dans Book of Travels, il y a toujours quelqu’un qui vous dira que vous pouvez aller quelque part, mais jamais vraiment personne qui vous dira où aller.
Progresser en progressant
Il m’est ensuite arrivé beaucoup d’autres choses dans Book of Travels : croiser un autre joueur et essayer de m’associer avec lui pour ouvrir un coffre fermé (ça n’a pas marché), prendre une leçon de maniement du bâton auprès d’un maître d’arme, livrer un poème amoureux écrit par un soldat timide ou encore longer la côte sans but précis, juste pour visiter et cueillir quelques champignons (une des spécialités de mon avatar).
Très vite, j’ai réalisé que j’évoluais dans un monde qui ne récompensait pas spécialement les actions classiques des jeux vidéo (se battre, accomplir le travail de quelqu’un, mener à bien une tâche répétitive ou faire quelque chose vite). Non, ce qu’on attendait de moi, c’était de visiter en simple passant anonyme dans cet univers foisonnant. De découvrir des lieux. De ramasser de nouvelles choses. De contempler. D’écouter. Il y a de l’expérience et des compétences, mais assez peu d’entre elles sont liées au fait d’équiper de grosses armures et taper d’autres gens : non, ici on est récompensé quand on a parlé à un enfant curieux dans la rue, serré la main à un marchand ou encore établi un feu de camp pour un ami.
L’expérience est parfois brutale. Book of Travels vous pousse de la falaise sans parachute et vous dit « voyage, maintenant ». Il manque (pour le moment) de choses aussi élémentaires qu’un journal de quête ou des descriptions d’objets qui ne soient pas systématiquement cryptiques. Les tutoriels dispensés laissent parfois plus de questions que de réponses. Mais c’est un parti pris qui semble pleinement assumé : dans la vie d’un voyageur non plus, il n’y a pas d’autre journal de quête que celui que l’on écrit soi-même. J’ai fini par comprendre que personne ne m’aiderait vraiment, le seul signe apparenté à un RPG classique (une barre de progression d’expérience sanctionnant mes passages de niveau) ne se rappelant à moi que quand j’effectuais des actions liées à mon statut de promeneur.
Va, vis et deviens
Heureusement pour lui, Book of Travels propose des décors, une ambiance sonore et plus généralement une direction artistiques absolument sublimes, qui jettent un superbe voile sur le fait que l’on y fait finalement pas grand-chose au sens strict du terme. Car c’est un élément à bien garder en tête avant de commencer l’aventure : Book of Travels est un jeu dans lequel l’avatar que l’on incarne est bien plus souvent spectateur qu’acteur du monde dans lequel il évolue, avec les implications que cela peut avoir en terme de pur gameplay. et nous ne sommes parfois sollicités pendant de longues minutes que pour marcher ou faire défiler une conversation.
À part apprendre à découvrir cet univers sauvage, les règles régissant sa politique, la magie qui l’habite, il n’y a ici pas vraiment d’enjeu (ou du moins je n’en ai pas vraiment croisé). On est là pour avancer, camper, dormir, essayer de comprendre, manger, mirer, et c’est tout. En résulte un très fin équilibre entre contemplation, réflexion et ennui, reproduisant assez fidèlement l’état presque méditatif du randonneur solitaire. On peut ne pas aimer la démarche ou trouver que Book of Travels est un pensum à peine bon à servir de somnifère, ou au contraire embrasser la démarche de Might and Delight et considérer que pour une fois, ce qui nous anime en lançant un jeu vidéo n’est pas d’être arrivé au bout d’une aventure sanctionnant notre capacité à surmonter des épreuves à la difficulté croissante, mais bien d’avoir enrichi notre vie intérieure à chaque étape du périple.
Books of Travels a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Book of Travels est encore un peu jeune pour pouvoir être pleinement jugé en tant qu’objet vidéoludique : les développeurs y apportent actuellement des éléments, patchs et ajouts de fonctionnalités quasi quotidiennement. Mais déjà, on ne peut qu’être saisi par l’originalité de sa démarche. MMORPG presque sans multi, voyage presque sans destination, à la fois simulateur de marche, de survie et de méditation : c’est avec grand plaisir que nous allons suivre les développements d’un des jeux au plus haut potentiel esthétique et philosophique de ce début de décennie.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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