Développé par 2Awesome Studio, Aeon Drive est un platformer basé sur la précision, la rapidité, la compétition et la complétion. Autant vous le dire tout de suite : des éléments qui tous à leur manière ont tendance à m’indifférer un peu, voire à carrément me rebuter. Son approche assumée de jeu à score et à leaderboard, ses séances brutales mais intenses de virevolte et de morts en boucle dans des environnements hostiles, tout là-dedans me gonfle. Et pourtant, je ne pouvais pas ignorer en jouant que je tenais là une véritable pépite : c’est beau, c’est riche, c’est nerveux, c’est précis, c’est malin, on ne s’ennuie pas, la rejouabilité est forte, le concept est d’une efficacité absolue. Alors, pourquoi ça ne prend pas avec moi ?
J’ai toujours eu besoin qu’on me raconte quelque chose
Depuis que je suis tout petit, je me raconte des histoires. Je vois une statue dans la rue, je me demande à quoi elle pense. J’imagine la suite de mes dessins animés ou de mes livres préférés. Je fais des what if avec mes films chouchous et quand je vous croise dans la rue, je me fais tout un scénario pour savoir où vous allez. C’est comme ça : je Suis Dans la Lune™, comme diraient mes profs de collège.
J’ai toujours eu le même rapport au jeu vidéo : si je suis le premier à admettre qu’un jeu vidéo n’a pas spécialement besoin d’une histoire forte pour fonctionner (j’ai passé des milliers d’heures sur Mario et Tetris), mon cœur a toujours tiré vers les jeux narratifs, ou du moins les jeux bénéficiant d’une esthétique propre et d’un univers affirmé pour dérouler leur gameplay (Super Meat Boy, par exemple, dont chaque univers débordait de personnalité, ou encore le récent Lifeslide). Si vous me donnez le choix entre une bonne narration ou de jolis décors, je choisirai toujours la bonne narration. Certains jeux marient parfaitement les deux. Ce n’est pas l’approche choisie par Aeon Drive, dont les développeurs ont tout axé sur un autre dispositif : l’efficacité pure.
Aeon Drive a bel et bien un scénario et un univers, vous plongeant dans les entrailles de Néo-Barcelone quelques secondes avant la fin des haricots. Vous y incarnez une voltigeuse qui, accompagnée d’une I.A., doit faire du parkour entre les bâtiments de la ville pour y retrouver des bidules et empêcher une grosse catastrophe, le tout dans une Espagne réinventée à coup de néons violets cyberpunks. Un contexte expédié en quelques secondes dont on devine le seul objectif : vous préparer à sauter partout sans vous poser de questions. Une immersion extrêmement efficace, qui ne m’a procuré aucun attachement particulier.
Et en vrai, si c’est pas moi le meilleur, qu’est-ce que ça fait ?
Mon problème avec Aeon Drive, c’est qu’en plus de chercher un univers plus défini et plus immersif, j’ai pas franchement l’esprit de compétition. Or, c’est là encore l’axe choisi par les développeurs du jeu. Et c’est tant mieux : le gameplay s’y prête à merveille.
Qu’est-ce qu’on doit faire, concrètement, quand on lance une partie d’Aeon Drive ? Faire ce que je déteste le plus au monde : se dépêcher. Chaque tableau, bref mais intense, doit impérativement être parcouru en plus ou moins trente secondes. Plus ou moins, dans la mesure où les niveaux sont parsemés d’objets bonus, qui une fois ramassés en quantité suffisante vous permettent de gratter cinq secondes sur le chronomètre de l’apocalypse. Un niveau n’étant d’ailleurs véritablement complété que quand vous y aurez déniché, dans le temps imparti, un collectible (cristal, boite de donnée…) généralement fourré entre deux scies sauteuses balançant des lasers.
Une fois chaque tableau accompli, le verdict tombe, vous classant immédiatement dans une échelle mondiale des gens ayant bouclé le niveau – généralement plus vite que vous, en mourant moins et en y dénichant davantage de secrets. Un système bien rodé, efficace, et qui prend encore plus de sens en lançant une session multi locale pour comparer votre score avec votre voisin ou voisine de manette. Et un système qui personnellement m’ennuie profondément. Oui, j’ai mis 33.57 secondes à terminer le monde 2-8, et ça fait sans doute de moi seulement le 94e meilleur joueur du tableau dans tous les gens ayant possédé l’exécutable du jeu à ce jour. Et après ? Moi tout ce que je voulais, c’était empêcher Néo-Barcelone d’exploser. C’est ce qu’on m’a demandé de faire, au fond, pas d’aller vite pour faire plaisir à des chiffres.
Et puis vous savez quoi ? Les achievements, ça me gonfle
La logique qui finit de faire d’Aeon Drive un excellent jeu (car oui, c’est un excellent jeu, je ne peux juste pas le voir en peinture), c’est que toute cette nervosité, tout ce scoring, toute cette compétition vous poussera forcément à vouloir le plier dans tous les sens si c’est votre truc. Et sous ses aspects de fast platformer assez banal, il propose en fait une grande rejouabilité, dans la mesure où chaque tableau peut et doit s’appréhender de plusieurs manières différentes : le finir, le finir le plus vite possible, le finir en attrapant le cristal, le finir avec ses items cachés, le finir à 100%. Chaque run sera profondément différente et vous forcera à utiliser de manière complémentaire et créative les pouvoirs de l’héroïne : dasher, se téléporter, sauter, rebondir sur les murs ou frapper d’un coup d’épée.
Cette expérience multipliée par la grande variété des niveaux proposés (une centaine, divisée en une dizaine de biomes) donne un jeu qui s’avère extrêmement travaillé et profond, capable d’occuper les esprits les plus compétitifs pendant des heures. Si vous avez la collectionnite dans le sang, Aeon Drive est là pour vous. Mais voilà, moi, j’ai jamais eu envie de finir mes jeux à fond. Mon gamer score, mon taux d’achievements, avoir débloqué chaque easter egg de chaque parcelle d’un jeu, généralement, ça ne m’intéresse que si j’ai la satisfaction d’avoir une récompense concrète : une histoire en plus, un dénouement différent, ou au moins un chapeau rigolo.
Ce n’est pas la logique d’Aeon Drive qui, à la manière d’un coach sportif un peu trop énergique, veut juste que vous fassiez les choses parce que ça prouve que vous êtes devenu balèze. Et autant vous le dire : la courbe du jeu est vraiment pensée pour que vous ressentiez quasiment physiquement cette progression. Le level design se déroule à merveille, les nouveautés y sont introduites pile au bon rythme, et à chaque fois qu’on relance un niveau, on a un peu plus l’impression d’être un boss de la voltige. Seulement, me voici face à mes contradictions internes : je m’en fous complètement et vous recommande néanmoins d’acheter le jeu illico.
Aeon Drive a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 4 et 5, et sur les consoles Xbox.
Rares sont les jeux qui me confrontent à mes propres « limites de gamer » et me font me sentir définitivement trop loin de ma zone de confort. Aeon Drive est un excellent jeu, mais avec lequel je ne pourrai jamais passer un diner en tête à tête, de peur qu’il me tape dans le dos en me disant de devenir le plus beau, le plus fort et le plus intelligent, alors que moi je voulais juste qu’on me borde en me racontant une histoire. C’est pas toi, c’est moi, Aeon Drive. Si tu veux, on reste amis.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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