L'un des visual novels les plus remarquables de 2024 est une aventure farfelue où l'on incarne un cowboy vampire qui lance un cabinet de consultation psychologique à destination d'autres morts-vivants. Un concept plutôt loufoque, mais servi par un gros travail d'écriture prenant notamment en compte de véritables techniques de thérapie cognitive et comportementale (TCC). À l'occasion de la sortie du jeu, The Pixel Post s'est entretenu avec Cyrus Nemati.
Le réalisateur de Vampire Therapist n'est pas tout à fait un inconnu de nos services. Il est également le comédien ayant prêté sa voix à de nombreux personnages de jeux Supergiant Games (Pyre, Hades), Wadjet Eye Games (Unavowed) ou encore au récent et réjouissant Duck Detective. Connu pour son humour fin et inspiré (entre autres) des Monty Python ou de l'humour absurde de Jemaine Clement et Taika Waititi dans What We Do in the Shadows, Cyrus Nemati était attendu au tournant pour son passage à l'écriture et à la réalisation. Le résultat est, comme nous l'avons évoqué ici, parfaitement réjouissant.
Avant toute chose, est-ce que vous pouvez présenter votre parcours à nos lecteurs ? On vous connaît surtout comme une voix reconnue des jeux indépendants. Qu'est-ce qui vous a poussé à changer de registre et à devenir auteur de votre propre jeu ?
Je n'ai pas toujours travaillé dans les jeux vidéo ! J'ai eu une longue carrière dans le domaine de la communication pour des ONG, avec une spécialité journalistique dans le domaine des politiques technologiques. J'ai finalement fondé Little Bat Games car je pense qu'il n'y a rien de mieux que de travailler avec une équipe passionnée, qui adore ce qu'elle fait. C'est quelque chose qui m'a toujours semblé être le plus important !
Comment en êtes-vous venu à travailler sur un projet tel que Vampire Therapist ? Étiez-vous un fan du genre vampirique à la base, ou était-ce au contraire un champ que vous aviez envie de découvrir et d'explorer ?
Tout a commencé par une simple discussion entre amis sur le fait que les vampires ne font pas grand-chose alors qu'en tant qu'êtres immortels, ils ont pourtant tout le temps du monde pour accomplir de grandes choses ! Et comme j'ai moi-même eu pas mal d'expériences de thérapie, je me suis dit que ce serait intéressant de mélanger ces deux idées.
Je ne me définirais d'ailleurs pas comme un "fan" du genre des récits de vampires, mais je m'intéresse beaucoup aux questions philosophiques qui résultent de leur immortalité. C'est quelque chose que je trouve vraiment passionnant à explorer. Bien entendu, le fait que les vampires soient AUSSI des monstres sexy est totalement la cerise sur le gâteau !
Sur le site internet de Vampire Therapist, on lit que vous avez travaillé avec des professionnels des TCC pour rendre le jeu vraisemblable. Qu'avez-vous conservé de cet aspect dans le jeu ? A-t-il fallu ajouter beaucoup d'éléments pour rendre la thérapie "ludique" et prendre en compte qu'ici, on soigne des gens qui sont aussi des morts-vivants ?
Bonne question ! Dans le jeu, j'ai essayé de véritables principes tirés du champ des thérapies comportementales. Mais en restant parfaitement explicite sur le fait que les difficultés rencontrées par les patients viennent ici du fait que ce sont des créatures immortelles dont la durée de vie, et donc les problèmes mentaux, peuvent s'étendre sur plusieurs générations. Alors oui, les termes et les concepts décrits dans le jeu sont réels. En revanche, leur manière de les mettre en œuvre est complètement fictionnelle. C'est pour ça que nous avons ajouté un avertissement "À ne pas reproduire à la maison !". Blague à part, Vampire Therapist aborde en profondeur la question des distorsions cognitives, un concept que tout le monde devrait selon moi connaître et prendre en compte !
Le jeu a un ton largement tourné vers la comédie. Quelle est votre opinion sur l'humour dans les jeux vidéo ? Il me semble que c'est une approche finalement assez minoritaire, beaucoup de jeux narratifs ayant plutôt recours au registre de la tragédie.
Les jeux qui traitent de la santé mentale ont tendance à le faire avec un ton extrêmement sombre. Je connais beaucoup de jeux qui évoquent les psychoses et la dépression et qui sont extrêmement marquants, cependant ils peuvent aussi être des expériences éprouvantes à parcourir. Je pense que l'humour est une manière très efficace d'aborder ce genre de questions, à condition de faire ça bien ! Et effectivement, c'est très compliqué d'utiliser ce registre dans un jeu vidéo, à cause de la nature interactive du média.
Nous avons donc conçu Vampire Therapist comme un jeu avec une approche très "théâtrale" de la mise en scène plutôt que quelque chose de très "vidéoludique". Il me semble que ça aide pas mal les joueurs et les joueuses à se mettre dans un état d'esprit où iels s'attendent à être "divertis" [note de TPP : le jeu a effectivement une structure évoquant explicitement le théâtre, avec un découpage en scènes, une unité de lieu, des entrées et sorties très marquées des personnages, des effets de rideau qui s'ouvrent et se ferment, etc.].
Vous pensez donc que l'humour est un bon véhicule pour aborder des sujets plus traumatisants ou plus sombres ?
Absolument ! Si j'ai choisi les vampires, c'est parce que ce sont des créatures avec une espérance de vie potentiellement infinie. Comme on le dit parfois, tragédie plus temps égal comédie ! J'ai moi-même ma part de trauma, comme la plupart des gens, mais j'en ris souvent beaucoup. C'est quelque chose qui fait partie de notre humanité, comme on le voit fréquemment dans les périodes de guerre.
A-t-il été difficile d'équilibrer les parties ouvertement comiques et les sujets plus sérieux dans Vampire Therapist ?
Étrangement, l'équilibrage entre comédie et tragédie a été plutôt simple, et s'est fait tout naturellement au cours du développement du jeu. Le sujet principal que nous avons développé au cours du jeu n'est pas tant le processus de soin que la notion de compassion [note de TPP : le personnage principal que l'on incarne, Sam, est en effet un parangon de compassion et est largement motivé par ce trait de caractère pour aider ses semblables]. Le fait d'avoir pris comme point de départ ce sentiment, la compassion, a de manière assez naturelle, rendu les scènes les plus intenses du jeu davantage réconfortantes qu'éprouvantes.
Vampire Therapist sort dans un contexte de production intense pour les visual novels occidentaux. Particulièrement ceux où l'on doit prendre "soin" de patients ou de clients (par exemple Tavern Talk, paru le mois dernier). Pensez-vous que ces jeux ont créé une audience particulière ? D'ailleurs, est-ce que des classiques du genre comme VA-11 Hall-A ou Coffee Talk ont été des inspirations pour vous ?
Je pense que c'est une évolution naturelle de ces jeux qui veulent être des espaces "cosy" où il est plutôt question de narration complexe que juste faire des récoltes et d'offrir des cadeaux à des villageois. À mon sens, ce n'est pas innocent que ce genre de jeux arrivent dans un contexte où l'état du monde est particulièrement éprouvant. Je pense que les moments difficiles créent une demande de divertissement moins tourné vers la violence. En revanche, j'ai moi-même très peu d'expérience dans le domaine des visual novels !
D'ailleurs, si vous deviez convaincre quelqu'un qui n'a jamais fait de visual novel de sa vie de se lancer dans le vôtre, que lui diriez-vous ?
Vampire Therapist n'est un VN au sens classique du terme qu'en apparence ! Ce n'est pas un jeu tourné vers la romance, la plupart des clics que vous allez faire sont en fait des opportunités de réponse à des questions et vous allez apprendre à appliquer de véritables principes de thérapie cognitive ! De plus, le jeu est intégralement doublé ! J'ai vu que quelqu'un le décrivait comme "une comédie à sketch avec des personnages forts et un gros penchant vers la philosophie", et je n'aurais pas dit mieux !
Quel est votre œuvre favorite mettant en scène des vampires ?
Il y en a deux qui arriveraient à égalité : What We Do in the Shadows (le film de 2014) et Dracula, mort et heureux de l'être ! Comme toutes les bonnes parodies, What We Do in the Shadows comprend parfaitement le genre dont il est la parodie et ce qui le rend spécial, et finit par taper très juste sur la véritable nature des vampires ! Quant à Dracula, mort et heureux de l'être !, c'est simplement un film excessivement bête et drôle, qui possède par ailleurs une bande-son inexplicablement efficace.
Enfin, avez-vous un jeu coup de cœur que vous souhaitez partager avec nos lecteurs et nos lectrices ?
Je pense que c'est évident, mais la comédie est un genre primordial pour moi, et particulièrement le jeu des comédiens de doublage dans les jeux axés sur l'humour. Et je pense que personne n'a égalé dans ce domaine The Curse of Monkey Island (1997), et j'ai vraiment fait de mon mieux pour atteindre ce standard de qualité avec Vampire Therapist !
Encore merci à Cyrus Nemati d'avoir répondu aux questions de The Pixel Post !
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Guilty Gear Strive : 3 ans de combo - Entretien avec Ken Miyauchi et Daisuke Ishiwatari
nov. 04, 2024
Environnement et city builders de 1980 à 2010
nov. 01, 2024
Snufkin: Melody of Moominvalley - Entretien avec Are Sundnes, directeur de Hyper Games
juin 14, 2024