Alors que Red Dead Redemption II est sur le point de sortir, réjouissez-vous, car la fin du dossier est sous vos yeux. Rappelez-vous, il s’agit ici de se pencher de manière plus subjective sur le titre de Rockstar en évoquant la narration au travers du scénario (du coup il y aura du spoil hein, mais le jeu à huit ans, calmez vo… J’AI DIT CHUT !), mais également de quelques quêtes secondaires. Il ne s’agit pas de dresser une typologie des quêtes ou de raconter en détail toute l’histoire, mais plutôt d’une sélection d’éléments qui, à mon sens, éclairent le propos global en terme de narration. Ainsi, cette partie se veut plus personnelle et vous invite assez largement à proposer ce qui vous a marqué ainsi que votre analyse du jeu. Bonne lecture !
John Marston, raconte-moi une histoire… DE MARSTON !
Red Dead Redemption se déroule en 1910 dans l’Ouest américain, alors que le Mexique vit sa Révolution et que le gouvernement fédéral entend mettre au pas un territoire qu’il ne maîtrise pas encore très bien. Le chemin de fer gagne du terrain, l’électricité s’installe partout et les pistoleros appartiennent déjà au passé. C’est dans ce contexte que l’on découvre John Marston, ancien membre du gang de Dutch Van Der Linde, chargé par le gouvernement de retrouver et éliminer ses anciens compagnons. Comme moyen de négociation, les fédéraux ont caché et retiennent la femme et le fils de Marston, qui espère être absous de ses crimes en cas de succès. C’est en ce sens que l’on comprend une première fois le sens de Redemption.
Il s’agit donc de la quête d’un criminel cynique, qui cherche à se ranger, ayant bien compris que les gens comme lui étaient voués à disparaître. Malheureusement, dès le début du titre, l’un des anciens camarades, Bill Williamson, le laisse pour mort devant un fort militaire, et il faut tout la bonté de Bonnie MacFarlane, gérante d’un ranch, et malgré des taquets très bien sentis, pour lui éviter une mort certaine. Cette dernière ne pose pas trop de questions et fait confiance à notre personnage malgré son passé qui finit par être dit. À cet instant, on comprend que Marston est un pivot, et que l’histoire se racontera principalement au travers des discussions avec les personnages secondaires, qui nous permettent de mieux comprendre la psychologie de cet anti-héros.
John Marston se présente d’entrée comme un personnage mort à l’intérieur, qui agit mécaniquement, cherchant une paix impossible à atteindre.
Cependant, on remarque tout au long de la progression dans Red Dead Redemption que Marston reste assez seul face à ses démons et que la rédemption passera par tous les moyens possibles, même les moins honnêtes. Si le joueur peut décider d’être bon ou mauvais, l’histoire principale rappelle constamment que cette mission est très égoïste, qu’on le l’accomplit pas pour le bien commun, mais uniquement pour sauver ses miches en espérant pouvoir mener une vie tranquille par la suite.
D’ailleurs, peu importe les personnages rencontrés, il est impossible de retrouver soi-même la famille de Marston, et ce dernier ne le cherche à aucun moment. Pour autant, le personnage semble toujours désabusé des situations qu’il rencontre, et exprime régulièrement son sentiment de ne plus être à sa place dans ce monde qui change si rapidement. C’est particulièrement sensible lorsque l’histoire nous emmène à Blackwater, LA ville industrialisée du titre, que John n’aime pas du tout. On ressent aussi cela lors du chapitre au Mexique, durant lequel on se retrouve embarqué dans la révolution, tout en traitant allègrement les deux camps de débiles profonds, qu’il s’agisse du gouvernement, dur, violent et conservateur, ou des révolutionnaires, jugés naïfs et beaucoup trop idéalistes. Pourtant, dans son intérêt, Marston y participe.
C’est seulement dans le dernier tiers du jeu qu’on commence à se poser des questions. John a retrouvé sa femme et son fils avec qui il entretient des relations conflictuelles, pourtant on lui demande toujours plus. Et alors qu’on se dirige vers une jolie fin, après des séquences père-fils qui semblent indiquer un retour à une vie simple, tout déraille. L’armée est là, aux portes de la ferme. Et dans une séquence qui restera comme l’une des plus poignantes des dix dernières années, Marston comprend que la rédemption n’est pas possible et que tout se termine dans le sang : Red Dead Redemption.
Sa famille s’enfuit et lui fait face une dernière fois à ses fautes et meurt, bêtement, devant sa grange. Une fin pathétique, qui donne un sens à toute l’aventure. En une fraction de seconde, 35 heures de jeu se rappellent au joueur, qui ne peut rien faire, même si Rockstar le lui laisse croire, avec un baroud d’honneur inutile en Dead Eye. Chaque homme a le droit de changer, une chance de pardonner, disait Marston. Il n’aura pu qu’essayer, son fils se chargera d’y parvenir.
Mister, come here ! Red Dead Redemption et la narration parallèle
Ça, c’est pour l’histoire principale, car l’ensemble est ponctué de quêtes secondaires, d’activités et de petits événements, sur lesquels on ne s’attardera pas. Les quêtes secondaires donc, ou plutôt, les services. Au nombre de 19, elles viennent ponctuer l’aventure par des petites histoires, souvent décalées, faisant systématiquement ressortir la folie d’un Ouest en perdition et le caractère désabusé de John. Oh, il n’est pas question de toutes les détailler ici, mais on peut cependant en citer quelques-unes, qui m’ont particulièrement marqué.
Comment, par exemple ne pas penser à ce vieux monsieur, qu’on aide à cueillir des fleurs pour sa bien-aimée, avant de se rendre compte que cette dernière n’est plus qu’un cadavre desséché. Comment oublier également Mr Kinnear, que l’on rencontre au bord d’une falaise et que l’on assiste dans la fabrication d’un prototype de deltaplane. On pense participer à la création d’un objet majeur avant de voir l’homme planer quelques mètres avant de chuter à pic.
Mais, de tous les services, celui ayant le plus retenu l’attention des joueurs, celui ayant généré des dizaines de théories, c’est « Je vous connais ». Le joueur rencontre un homme, fort bien vêtu au demeurant, qui semble parfaitement connaître Marston. Intrigué, notre personnage scrute l’inconnu, qui propose à John d’agir envers ou contre une prostituée, puis disparaît. Tout au long de l’aventure, ses apparitions viennent questionner le joueur tout en lui proposant de résoudre un problème, avec seulement deux options possibles : bien agir, ou laisser faire.
Les missions secondaires offrent un autre point de vue sur l’open world, montrant que John Marston n’est pas seul à y vivre.
Plus on le rencontre, plus ce dernier semble s’enfoncer dans un discours malsain, morbide, avant, lors d’une dernière entrevue, de déclarer un « oui, ici ce sera parfait » alors que les deux hommes sont juchés sur le dévers surplombant la ferme des Marston. Plus tard, les joueurs découvriront qu’il se tenait à l’endroit exact de la sépulture de John. Mais qui est ce personnage ? Certains pensent au Diable lui-même, laissant à John quelques choix possibles, alors que le titre, dans son ensemble, ne raconte qu’un destin inéluctable, avant de le faucher. D’autres pensent qu’il ne s’agit que de la conscience de John, ce qui se défend, sauf quand on se demande comment John pourrait connaître l’existence des choix à faire.
Je ne résiste cependant pas à vous parler de Jenny, la jeune femme discutant de la foi avec un pasteur, ne croyant pas au progrès technologique. On retrouve cette dernière sur la route entre Armadillo et Ridgewood Farm, subissant une isolation. John s’approche alors d’elle, l’écoutant déblatérer un discours sur la mise à l’épreuve de la foi. La jeune dame visiblement mal en point, Marston décide d’aller lui chercher des médicaments après avoir, sans succès, proposé de la ramener en ville. Lorsqu’on lui ramène les soins, Jenny estime que le geste de John est directement lié à la volonté divine. John, n’ayant plus une once d’espoir en l’humanité, se dit qu’elle a perdu la raison, et finit par la laisser là. On ne la reverra jamais.
Ces quelques exemples, absurdes et parfois loufoques, donnent un autre éclairage sur l’écriture du titre, souvent grave et cynique. On sort du cadre établi par les fédéraux, les personnages secondaires et les cibles pour rencontrer un échantillon de ce que New Austin a de plus tordu, de plus pathétique, mais drôle.
Nous voilà donc au bout de ces trois parties dédiées à Red Dead Redemption premier du nom, alors que le second épisode n’a jamais été aussi près et semble pousser encore plus loin l’idée de narration environnementale. Nous avons plongé dans les méandres de sa création, dans sa structure au travers de son monde ouvert avant de voir comment l’ensemble était mis en scène. Cette alchimie constante entre les éléments du jeu, allant jusqu’à sa bande-originale, qui fait de ce titre l’un des plus grands jeux jamais créé. Comment dissocier l’environnement de l’exploration, l’exploration des rencontres, les rencontres de l’écho qu’elles donnent à l’épopée de Marston. Bien sûr, le titre a ses défauts, une certaine inertie dans les déplacements ou un schéma bien lisible. Mais ils sont bien faibles face à la liberté d’interprétation, la multiplicité des angles proposés et à cette ambiance folle, qui aura su me faire aimer le Western. Huit ans après, je n’en démords pas. Red Dead Redemption est un cas d’école, Red Dead Redemption est un chef-d’oeuvre.
Mallory Delicourt
Rebut de l'Education Nationale, il étudie désormais la géographie de la Temeria, la mécanique de Mario Kart et les méthodes d'infiltration des agents augmentés.
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