Pour beaucoup de joueurs, y compris votre serviteur, Red Dead Redemption a marqué la vie de ceux qui y ont touché. Open world avant-gardiste dans son organisation, précurseur de beaucoup d’autres qui suivront, il a su sublimer un thème pour raconter quelque chose de différent dans un univers familier. La force de ses personnages, de son terrain de jeu et de la cohérence de l’ensemble en font un titre culte inaugurant les années 2010. L’annonce de sa suite est l’occasion pour The Pixel Post de se replonger dans son histoire à travers le développement et ses impairs, ses ambitions, ses mécaniques, son personnage et sa narration. Mais tout d’abord, attaquons-nous aux origines du titre et aux conditions dans lesquelles celui-ci est né.
Red Dead Revolver, un sauvetage comme point de départ
Sorti le 3 mai 2004, Red Dead Revolver, le grand frère de Red Dead Redemption est, avant d’être récupéré par Rockstar, un titre [d’abord] annoncé en 2002 par l’éditeur japonais Capcom. Le character designer, Akira Yosuda, – qui avait déjà officié sur Street Fighter I et II- avait quitté Capcom, mais était finalement revenu pour apporter son aide autour de ce nouveau projet. Red Dead Revolver a d’abord été pensé comme un shooter d’arcade, sans autres prétentions que de fumer du bandit.
Malheureusement, le titre s’est fait de plus en plus discret, la faute à un désaccord flagrant entre Capcom et Angel Studio autour de la direction du développement. Après de nombreuses réunions houleuses, notamment sur la manière de marketer le titre, Capcom décide purement et simplement d’annuler le développement en 2002. Le jeu est alors presque fini. L’éditeur Take-Two l’achète, puis le confie à Rockstar San Diego (né d’Angel Studio) avec pour tâche d’en faire un jeu digne du studio. S’en suit deux ans de travail incluant des modifications au niveau de l’écriture ainsi que l’ajout de cut-scenes, afin d’apporter une touche plus décalée, plus caustique et plus cynique. L’idée d’ajouter une zone ouverte, voir un monde ouvert germe déjà dans l’esprit du studio de San Diego. Pour donner une couche supplémentaire en terme d’immersion, le studio va revoir tous les classiques du Western, et consulter des compositeurs mythiques.
Pour donner plus d’immersion, le studio est allé consulter des compositeurs et réalisateurs de Western
Ainsi ressortent fortement les influences de Sergio Leone, de Sergio Solima et Sergio Corbussi, sans oublier l’empreinte très marquée du travail d’Enio Morricone dans la musique. Avant même la sortie de Red Dead Revolver en 2004, la décision est prise. Le travail sur le jeu a donné énormément d’idées à Rockstar qui a de quoi faire son propre Red Dead du début à la fin : ce qui deviendra Red Dead Redemption est annoncé, et le développement débute dès 2005 sous le nom de Red Dead Revolver 2. Rockstar diffuse une vidéo technique, utilisant les capacités du moteur Rage, ce qui porte à sourire puisque ce moteur a d’abord été utilisé pour Rockstar Table Tennis (qui rappellera aux suiveurs du jeu vidéo le teasing de Red Dead Redemption 2, durant lequel les joueurs ont brièvement envisagé un nouveau Table Tennis).
La presse s’interroge alors quant aux plateformes sur lesquelles le titre sortira car le Rage Engine a été conçu pour la génération 360/PS3 alors que le titre n’est annoncé que pour la PS2 et la Xbox. Finalement le questionnement était justifié puisqu’après trois ans de développement et avec l’aide de Rockstar Canada (renommé Toronto après que Barking Dogs Studio soit devenu Rockstar Vancouver), le studio opère la bascule vers la nouvelle génération (PS3/Xbox 360) en 2008. Le développement aura donc duré 6 ans sous la tutelle de Rockstar North. Ce qui est extrêmement long, même aujourd’hui, dès lors que l’on exclue les arlésiennes finalement sorties que sont The Last Guardian et Final Fantasy XV.
La sortie du jeu est d’abord fixée par le studio au 4 février 2009, mais Rockstar tease finalement une bande-annonce le 29 avril – soit pile une année après la sortie de GTA IV – qui ne sera diffusée que le 6 mai suivant. Le jeu est alors annoncé pour l’automne 2009, repoussé à avril 2010, pour finalement sortir en mai. Mais derrière l’histoire vidéoludique se cache un développement pour le moins chaotique.
Le titre nécessitant pas moins de 4 millions de copies vendues pour que le studio rentre dans ses frais, c’est assez rapidement qu’ont été mis à jour de nombreux problèmes de management. Sur ce point, Take-Two a pu s’endormir sans crainte, Red Dead Redemption a finalement atteint la barre des 12 millions de copies vendues. Un chiffre impressionnant, mais loin des plus de 60 millions de copies vendues de GTA V, carton absolu toujours dans les top des ventes près de 4 ans après sa sortie.
Un management interne problématique.
Alors que Rockstar jouit toujours d’une image extrêmement positive auprès des joueurs, les conditions de travail lors du développement de Red Dead Redemption ont posé de nombreuses questions autour des méthodes de management chez Rockstar et plus largement dans l’industrie. En Amérique du Nord, les États n’ont commencé à se pencher sur la question d’une réglementation pour le jeu vidéo qu’en 2015, après plusieurs cas avérés de Burn-out. On débutera le chapitre sur ces problématiques par la citation de larges extraits de la lettre adressée à Rockstar par les femmes des employés, et publiée dans Gamasutra en mars 2010. Les conditions de travail relatées dans cette missive se seraient largement détériorées alors que débutait la phase de “crunch”, phase intensive de développement. Il semblerait, d’après Erin Hoffmann, siégeant à l’Association Internationale des Développeurs de Jeux, que cette situation résulte chez Rockstar d’un refus de s’intégrer dans la dynamique des autres studios, et que partout ailleurs, les choses avaient considérablement évolué depuis 2004. Nous remettons cette conclusion en doute, car il n’y a pas assez de place ici pour citer les affaires de surmenage attesté dans le jeu vidéo.
« En réponse aux circonstances malheureuses, certaines épouses des employés de Rockstar San Diego se sont réunies pour faire valoir leurs préoccupations et annoncer une réplique nécessaire, sous la forme d’une action immédiate pour améliorer les conditions de travail des employés. Le tournant “pour le pire” est venu à peu près au mois de Mars 2009. Récemment, avec la quantité de stress qui a été produite, il y a eu des manifestations physiques causées par ce stress faisant de la santé une préoccupation. Il est connu que certains employés ont été diagnostiqués avec des symptômes de dépression et au moins un d’entre eux est reconnu pour avoir des tendances suicidaires. »
Il est également avéré que, plutôt de réduire le temps de travail, Rockstar a préféré employer des masseurs… Ce qui ne suffit évidemment pas à faire disparaître le surmenage et révèle un manque cruel de prévention par la médecine du travail.
La lettre des épouse continue ainsi : « Les gestionnaires de Rockstar San Diego continuent, en poussant leurs employés à bout, promettant des espaces entièrement équipés en faisant miroiter la possibilité d’un autre délai juste au dernier moment. Il devient obligatoire de travailler près de douze heures par jour, y compris les samedis, peu importe si un employé a terminé toutes ses tâches avant ou non. Ces aspects sont graves, mais ce qui les rend inacceptables est encore à venir. Sans le temps de récupérer et sans efforts déployés pour atténuer le stress de ces conditions, des problèmes de santé graves apparaissent. Au lieu d’une reconnaissance, de nombreux designers et artistes non exemptés ont eu leurs heures supplémentaires supprimées en raison d’un nombre d’heures “trop élevé” à payer. Il faudrait peut-être que ce soit eux [les managers] qui expliquent à nos enfants et aux proches l’absence de leurs pères. »
Si ces aspects paraissent graves en terme de santé, autant physique que mentale, ils sont malheureusement assez courants dans l’industrie, même si de tels courriers émanant des familles restent trop rares. Aussi rares que les cas de salariés défendant leurs droits dans de telles circonstances. De même la fin de la lettre dévoile les problèmes quand au paiement des dédiées au crush :
« Pendant quatre années consécutives, les augmentations de salaire n’ont pas correctement été ajustées pour couvrir l’inflation. Cela est particulièrement injuste envers ceux qui contribuent de manière significative à des projets. Plus loin que la dépréciation, les employés ne sont pas respectés lorsqu’on leur ment en disant que les jeux Rockstar ne génèrent pas d’argent alors qu’en attendant, le dernier jeu Grand Theft Auto (GTA IV) fait plus d’un milliard de dollars de recettes . « Plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires », alors où est la reconnaissance à ceux, sans qui, un tel succès n’aurait pas été possible ? «
La lettre se conclut d’ailleurs par une menace d’action collective en justice. Celle-ci n’ayant eu lieu, on peut supposer que le coup médiatique a fonctionné et que Rockstar a fini par revoir sa gestion des ressources humaines.
Des tensions à l’échelle de Rockstar
Joystic, média spécialisé anglo-saxon s’était à l’époque emparé du problème et avait obtenu de nombreuses informations chez Rockstar de la part d’une source interne visiblement très bien renseignée. L’une d’elles exprimait que “Le jeu était un désastre complet en 2009 et la plupart des trois années précédentes. Il semblerait que les choses aient fini par aller dans le bon sens, mais les gros problèmes (de management) persistent”. Une autre voix du studio déclarait également que “ Red Dead Redemption a été en production pendant six ans, la majorité sous un management détestable et une faiblesse de la direction à San Diego, guidée par la peur de déplaire à Rockstar New York”. Ambiance. Cette même source va même plus loin quant aux relations avec le siège de New-York. Il décrit les bureaux New-yorkais comme l’Oeil de Sauron. Les studios travaillent de manière totalement indépendante jusqu’au moment où NY s’intéresse au projet et exige des changement radicaux.
Certains déclarent même qu’on peut comparer l’attitude des responsables de New-York à l’Oeil de Sauron dans le Seigneur des Anneaux
L’une de ces sources rajoute enfin : « Toute personne à NY est à craindre car les gens de San Diego savent qu’ils sont instables et directifs… En d’autres termes, si un commentaire vient de NY, il devient prioritaire avant toute chose, indépendamment de la connaissance du développement. »
Pour avoir la paix, certains managers à New-York appelaient les employés le dimanche lorsque les grands pontes décidaient de passer. Ces employés réquisitionnés n’étaient pas payés, ne travaillaient pas vraiment, mais préféraient venir une heure faire acte de présence pour donner une bonne image du développement en cours et ainsi, avoir des semaines plus tranquilles, avec une pression moindre. Rockstar s’en est défendu, au travers de Steve Martin, Manager de Rockstar Diego :
« Comme cela est connu dans le développement, la taille de nos équipes a été fluctuante tout au long de la conception. Avec la transition d’après sortie, les équipes ont été resserrées et affectées aux projets futurs pour travailler au mieux. Nous assurons que tous les employés touchés on été traités avec soin. A l’avenir et jusqu’à la fin du développement des DLC, nous n’aurons aucune autre annonce que « l’équipe ici travaille dur. »
Finalement, moins de deux mois après la sortie, toute une partie de l’équipe démissionna et une autre large partie fût licenciée (environ 40 personnes).
Un accueil au niveau des attentes
Malgré des conditions de travail exécrables, le talent faisant fi des difficultés, Red Dead Redemption est à sa sortie, une véritable claque. Les notes sont dithyrambiques, et le jeu s’écoule à 1,5 million d’exemplaires dans les trois premières semaines de distribution.
Côté américain, IGN salue le jeu de Western que les joueurs attendaient, insistant sur l’aspect total du monde ouvert, ce bac à sable de possibles qui finalement a été le laboratoire des futures mécaniques de jeu de GTA V trois ans plus tard. Quant à Gamespot, il met l’accent sur les personnages et le rythme, jugés quasi-parfaits, relevant tout de même des bugs rares mais violents tels que la disparition des modèles 3D des personnages ou les bugs de collisions coinçant définitivement le personnage. En Europe, l’accueil est quasiment identique. La presse salue unanimement l’univers créé par Rockstar et la liberté d’action. Ainsi, jeuxvideo.com met en exergue l’ambiance du titre et la cohérence de l’open world dans son game design. Même son de cloche chez Gamekult qui place le plaisir du jeu dans la cohérence de son univers et dans l’adaptation réussie de la recette GTA. Finalement, on ne le sait pas encore, mais c’est Red Dead Redemption, encore plus que GTA IV, qui servira pour guider le développement de GTA V.
La presse, les professionnels ont, tout comme les joueurs, dressé des louanges à n’en plus finir à coup de notes supérieures à 9/10 et de récompenses en tout genre
Les joueurs ont également répondu favorablement au titre puisque la note Users de Metacritic place le titre à 9/10 et la moyenne mondiale des lecteurs de sites spécialisés lui donnent un 18,76/20. Évidemment, les récompenses pleuvent. Red Dead Redemption remporte le titre de jeu de l’année, de la chanson ingame, de la meilleure BO et du jeu original aux regrettés Spike Video Game Awards.
De quoi satisfaire malgré tout les équipes de développement, dont les sacrifices sur le plan personnel ont accouché d’un titre marquant. Dans la seconde partie de ce dossier, nous nous intéresserons à Red Dead Redemption en tant monde ouvert avec les caractéristiques de ce dernier en expliquant en quoi il était et reste une référence.
Mallory Delicourt
Rebut de l'Education Nationale, il étudie désormais la géographie de la Temeria, la mécanique de Mario Kart et les méthodes d'infiltration des agents augmentés.
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