Paradox Interactive est passé en quelques années du statut de développeur de jeux de grande stratégie pour nerds historiques hardcores, à celui d’un des éditeurs les plus influents sur la scène PC. D’un œil extérieur les jeux Paradox restent toujours ces bons vieux simulateurs de tableaux Excel, avec des cartes du monde et parfois un peu de texte. Mais c’est vite oublier que la branche éditeur de l’entreprise suédoise a balancé certains des plus gros succès de la scène PC des trois dernières années : Cities Skyline, Pillars of Eternity, Magicka, Tyranny et j’en passe.
Comment un studio, né de la faillite d’un éditeur de jeux de plateau, a pu passer en 22 ans de confidentiels développeurs de jeux pour historiens fous, au 4ème éditeur Suédois (en revenus) derrière EA-Dice (et loin derrière Mojang et King) ? Nous allons essayer de comprendre les raisons du succès, en creusant un petit peu du côté de leur business model, à base de DLC et de sorties parfaitement ciblées.
De target à Paradox : petite histoire d’un petit studio
L’histoire de Paradox commence sur les ruines fumantes de l’éditeur de jeux de rôle et de jeux de plateau Target Games en 1999. Si le studio a été fondé en 1995, c’est bien après la chute de leur compagnie mère que Paradox commence à se faire remarquer avec la sortie en 2000 du premier épisode de leur saga phare : Europa Universalis. On y retrouve le début de ce qui deviendra l’ADN de Paradox (côté développement) : une carte du monde détaillée, une simulation aussi précise que possible de la gestion d’un empire de la Renaissance à l’ère Industrielle, et plein de tableaux. Suivront coup sur coup en 2002 Europa Universalis II, ainsi que le premier opus de leur simulation de Seconde Guerre mondiale Hearts of Iron. En 2007 Paradox inaugure son moteur maison, uniquement conçu pour la grande stratégie, le Clausewitz Engine (du nom d’un général prussien) avec Europa Universalis III. La seconde version du moteur, totalement en 3D et bien plus modulable sera inauguré par Sengoku en 2011, mais brillera particulièrement avec leurs deux plus gros jeux en date : Crusader Kings II (2012) et Europa Universalis IV (2013). En 2016 Paradox s’éloigne de son ADN historique avec Stellaris, mélange de 4X classique et de sa recette de grande stratégie propre. Côté édition la consécration vient en 2015 avec les sorties de deux de leurs plus grands succès en date : Cities Skyline et Pillars of Eternity.
Côté business Paradox Interactive a toujours réussi à garder une certaine indépendance. D’abord une compagnie modeste non cotée, l’entreprise profite des succès immenses de Cities Skylines et Pillars of Eternity en 2015, ainsi que les résultats solides de ses jeux maison (Crusader Kings II et Europa Universalis IV) pour s’introduire en bourse le 31 mai 2016. Peu avant, Tencent, le géant Chinois, avait acheté 5% des parts de l’entreprise. Aujourd’hui Paradox reste en majeure partie la propriété de son PDG original, Fredrik Wester qui détient toujours 33.3% des parts de l’entreprise. En deux ans, entre 2014 et 2016, l’entreprise a pratiquement multiplié par 4 son chiffre d’affaire (2014 : 18 millions d’euros. 2016 : 68 millions), et multiplié par sept son bénéfice net d’impôt sur la même période (2014 : 3 millions d’euros. 2016 : 25 millions). En bref l’entreprise se porte à merveille. Mais comment que pourquoi ?
Des jeux maison prévus pour durer
On peut commencer à dater le changement de philosophie chez Paradox avec la sortie de Crusader Kings II, en 2012. Auparavant leurs jeux avaient deux ou trois extensions, avant de passer directement au numéro suivant. Par exemple Europa Universalis III a eu 4 extensions entre 2007 et 2010, tandis que Hearts of Iron 3 en a eu 3. Avec Crusader Kings II le développeur suédois a totalement changé son fusil d’épaule. Adoptant une approche similaire aux MMOs, leur simulateur de vie médiévale s’est vu ainsi doté de 13 DLC entre 2012 et 2017. Idem pour Europa Universalis IV qui accumule 11 extensions sur une période de 4 ans. Leurs jeux sont donc en définitive des bases sur lesquelles les développeurs peuvent bâtir, en changeant du tout au tout certaines mécaniques qui pouvaient ne pas forcément fonctionner à la sortie. En sortant du contenu téléchargeable de manière régulière Paradox s’assure ainsi un revenu plus stable qu’en se contentant de deux ou trois extensions sur la même période, tout en assurant que leurs jeux soient toujours attractifs.
On pourrait facilement penser que Paradox assure ainsi le service minimum lors de la sortie day one, en proposant une expérience amputée de mécaniques importantes, pour pouvoir vendre plus de DLC plus tard. Si dans certains cas les jeux du studio sont décevants à la sortie (Stellaris proposait l’an dernier une expérience intéressante, mais finalement trop vite vide), les DLC ne sont pas forcément nécessaires pour améliorer significativement l’expérience de jeu. Ainsi Paradox met un point d’honneur à sortir un patch gratuit pour tous les joueurs, en même temps que les DLC. Ces patchs offrent dans la plupart des cas toutes les modifications de gameplay profondes que l’extension propose. Par exemple au fil des DLC la carte de Crusader Kings II s’est étendue. Auparavant limitée à l’Europe et au Moyen-Orient, le jeu a ainsi agrandi son terrain de jeu vers l’Est. Pour jouer les pays d’Inde vous devez posséder le DLC correspondant, mais en revanche l’Inde est bien présente dans le jeu vanilla, et vous pouvez tout à fait étendre votre influence jusque là. Autre exemple concernant Europa Universalis IV où la guerre s’est vue profondément modifiée au fil des sorties, les DLC n’offrant que les options stratégiques les plus précises, les patchs gratuits eux se contentant de modifier la manière dont fonctionne la conquête. Ainsi le Crusader Kings II de 2017 est totalement différent de celui de 2012, même si vous ne possédez aucun contenu supplémentaire.
Des choix éditoriaux bien ciblés
L’autre corde à l’arc (long) de Paradox c’est leur branche édition. Au début de l’entreprise ils n’éditaient que des petits titres, souvent dérivés de leurs jeux originaux (comme Darkest Hour, un mod du second Hearts of Iron qui étendait la période de 1914 à 1947 et ajoutait en profondeur) ou bien des titres similaires au niveau de la philosophie. En 2011 Paradox publie Magicka, un titre bien loin de leurs jeux habituels. Anomalie dans leur catalogue, le jeu est un action-rpg rigolo. C’est en 2015 que Paradox touche le jackpot avec l’édition coup sur coup de deux des jeux les plus vendus des dernières années sur PC : le RPG old-school d’Obsidian, Pillars of Eternity, et le city-builder tueur de Sim City de Colossal Order, Cities Skyline. A eux deux ils représentent à ce jour près de 4 millions de ventes cumulées (à en croire Steam Spy, ce qui ne compte donc pas forcément les ventes sur le store de Paradox et sur GoG pour Pillars). Plus que leurs jeux maison, c’est bien ces deux là qui ont propulsé Paradox sur le devant de la scène. La cause du succès de ces deux titres est simple : pour Pillars, il s’agit bien sûr de surfer sur la nostalgie des Baldur’s Gate et le renom du studio Obsidian. Concernant Cities Skyline le jeu répond directement à l’échec monumental de Sim City 2013, qui a déçu plus d’un joueur (tous). Et, sur le modèle des jeux maisons de Paradox, Cities accumule peu à peu les DLC.
Et là nous retrouvons pile ce qui fait la force de Paradox : le choix de titre à éditer et la philosophie très stricte que s’impose le studio avant d’éditer un jeu. Dans un entretien accordé à Kotaku UK Fredrik Wester, le PDG, explique qu’ils choisissent leurs jeux en fonction de plusieurs critères simples : le jeu doit être rejouable au maximum, et il doit présenter un challenge intellectuel. Les derniers débauchages de l’entreprise continuent dans ce sens : en mai Paradox a ainsi engagé le lead de Civilization 5, tout auréolé de la non sortie de son jeu kickstarté, At The Gates (le monsieur ne confirme d’ailleurs même pas si Paradox éditera le titre). Et fin juin ils se sont offert Triumph Studio, connu pour leur série Age of Wonders (des 4X Medieval-Fantastique) et Overlord. Encore une fois des jeux pour PCiste, rejouables et intellectuellement satisfaisants.
Paradox a su grandir en s’assurant une base solide. D’abord en s’imposant comme un studio de niche, satisfaisant la soif d’une poignée de fans d’Histoire, ils ont su s’étendre et gagner en renommée par des choix malins. Si leur branche édition brille grâce aux deux étoiles que sont les RPG d’Obsidian et Cities Skyline, c’est leur modèle économique de jeux maison évolutifs qui assure la rentabilité et la stabilité de l’entreprise. Reste à voir les résultats des titres à venir dont ils sont l’éditeur, dont l’intriguant BattleTech (un Xcom Like avec des mechas) prévu pour 2017 et Surviving Mars (2018), le prochain jeu de gestion des papas de Tropico qui profitent du nouvel engouement pour Mars et la survie en milieu hostile. Paradox n’a pas fini de nous faire cogiter et de nous abreuver de tableaux Excel à peine déguisés.
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
follow me :
Articles similaires
Guilty Gear Strive : 3 ans de combo - Entretien avec Ken Miyauchi et Daisuke Ishiwatari
nov. 04, 2024
Environnement et city builders de 1980 à 2010
nov. 01, 2024
Vampire Therapist - Entretien avec Cyrus Nemati, directeur de la création de Little Bat Games
juil. 29, 2024